Affaire Ben Barka – Poupées russes

 Affaire Ben Barka – Poupées russes

Mehdi Ben Barka, en 1959. DSK / AFP FILES / AFP

Comme les poupées russes (sans jeu de mots), où encore un diable en boîte, l’affaire BenBarka n’en finit pas de rebondir. Dans une excellente enquête de Vincent Jauvert dans le Nouvel Obs, de nouvelles révélations nous apprennent que non seulement Ben Barka travaillait bien pour les services secrets tchèques mais de plus, à la suite de son enlèvement en 1965, ces mêmes services avaient monté une vaste opération de désinformation pour montrer que les services américains étaient fortement impliqués dans ce kidnapping à la suite duquel le charismatique opposant marocain ne sera jamais retrouvé.

 

Dans ce dossier qui se lit comme un thriller Jauvert qui a pris le temps de compulser les archives de la StB désormais déclassifiées, nous apprend que Jean Clémentin, l’une des grandes plumes de l’hebdomadaire satirique Le Canard enchaîné sous le pseudonyme de Jean Manan, rémunéré par les services secrets tchécoslovaques a publié, dans ce journal, de fausses informations sur la fameuse affaire.

Enregistré à la StB sous le nom de code Pipa, Clémentin publiera une série d’articles basés sur de fausses informations dès le 29 octobre, sur cette affaire. L’objectif essentiel de l’opération « Start » était de montrer que « les services secrets américains sont impliqués dans l’enlèvement ».

Selon l’historien Jan Koura, qui avait notamment révélé que Ben Barka travaillait pour les services secrets tchèques contre rémunération, la StB a donné ses instructions à onze de ses agents infiltrés dans de grandes rédactions dans le monde.

A Paris, c’est Clémentin qui use des éléments que ses chefs souhaitent voir publier dans « Le Canard » et, dès le 17 novembre, un article intitulé « la Guerre du Rififi : c’est la fête à PP ». Pipa écrivait « La police et les services spéciaux du Maroc sont « entre les mains de la CIA ». D’ailleurs, ajoute-t-il, « Dlimi [le chef de la sûreté marocaine] sort de l’école de la CIA à Washington. Il a pour conseiller privé un certain Eleger, qui a pris un nom arabe au Maroc, ancien officier de l’Abwehr [espionnage militaire allemand] […] qu’on retrouve à Rabat comme officier… américain. Motl (l’agent traitant du journaliste) est ravi, et donne 600 francs au journaliste lors de leur rencontre suivante ». `

Depuis, l’affaire Ben Barka va assurer « la fortune du « Canard » » comme le racontait l’historien Laurent Mar- tin, auteur du livre « »Le Canard enchaîné ». Histoire d’un journal satirique » (Flammarion).

Qu’est-ce qui est scandaleux dans cette affaire, qu’un journaliste ait pendant longtemps manipulé ses chefs et écrit des articles de propagande dans le journal le plus respecté de France, ou que des journalistes soient rémunérés par des services secrets pour relayer des fakes news ?

Signe des temps, l’arme du mensonge dont les services secrets faisaient usage avec modération à l’époque, craignant les réactions imprévisibles d’une opinion publique attachée à la recherche de la vérité et aux valeurs de déontologie journalistique, est aujourd’hui pratiquée allègrement par la plupart des médias.

Embedded (embarqués) bien malgré eux dans des guerres qui ne sont pas les leurs, les médias sont souvent sommés de travestir la réalité au mieux, et au pire, de pratiquer le mensonge comme ce qu’on a vécu avec les (fausses) fameuses armes de destruction massives de Saddam Hussein. Ce fut à l’époque une gigantesque manipulation orchestrée par les spin doctors de l’administration Bush.

La presse malade du mensonge ? Comment pourrait-il en être autrement, au moment où les tartuffes de la plume sont dépassés par les grosses couleuvres servies à profusion par ceux qui nous gouvernent, quand les experts se relaient pour nous dire la chose et juste après son contraire, alors que dans ce bal des menteurs, plus on se réclame de la vérité et plus on fait preuve de duplicité.

Ce n’est pas pour rien qu’un chef d’Etat (Donald Trump) fut élu grâce à un nombre incalculable de mensonges et qu’au cours de chaque campagne électorale, on s’étonne encore de ce que des repris de justice notoires aient le culot de se présenter.