Si l’interdiction des ordinateurs en cabine n’était destinée qu’à soutenir les compagnies américaines ?
L'interdiction par Washington et Londres d'embarquer en cabine tablettes et ordinateurs sur certains vols fait déjà grincer des dents les compagnies aériennes des pays visés. La croissance rapide de ses compagnies ces dernières années a été permise par la hausse du trafic des classes affaires, particulièrement rentables. Au point que certains se demandent si cette mesure n’est pas en réalité destinée à protéger les compagnies américaines face à leurs concurrentes du Golfe.
Washington a décidé d'interdire tous les appareils électroniques plus gros qu'un téléphone portable en cabine pour les vols directs entre les États-Unis et sept pays arabes ainsi que la Turquie. La Grande-Bretagne a pris la même décision pour cinq pays, dont les pays du Maghreb. Une cinquantaine de vols quotidiens de neuf compagnies aériennes sont affectés par la décision, dont Royal Air Maroc, Egyptair et Tunis Air ; Air Algérie n’assurant pas de vols directs vers le Royaume-Uni ou les États-Unis.
« Il est inhabituel d'avoir une mesure de sûreté qui est sélective géographiquement », souligne à l'AFP Bertrand Mouly-Aigrot, associé au cabinet Archery Strategy Consulting. L'« un des effets induits probables c'est que certains voyageurs se tournent vers d'autres compagnies » pour se rendre aux États-Unis, mais « si menace il y a, elle pourrait se reporter sur d'autres vols avec correspondance », estime-t-il.
D’autres experts cités par le Point notamment vont plus loin en voyant dans cette décision une réponse de l’administration Trump à l’inquiétude des compagnies aériennes américaine. « Est-ce un hasard si, il y a moins de quinze jours, Donald Trump a reçu les dirigeants de la plupart des compagnies aériennes américaines et leur a promis qu'il ferait en sorte de corriger “une situation parfaitement injuste pour leur industrie” », se demande Michel Colomès, ancien directeur de la rédaction du magazine français.
Risque accru dans les bagages en soute
En effet, les lignes qui desservent Washington depuis les pays du Golfe transportent beaucoup d'hommes d'affaires qui ne voyagent souvent qu'avec un bagage cabine et utilisent le temps de vol pour faire avancer leurs dossiers. Le temps d'attente supplémentaire du bagage mis en soute, cumulé à la frustration de ne pas pouvoir travailler à bord, dans des avions souvent connectés au WiFi, risque de provoquer la grogne de ces passagers à haute valeur ajoutée. D’autant plus que d’importants investissements ont été consentis pour équiper les avions de connexion haut débit permettant aux passagers d’avoir accès à internet durant leur vol.
Ces interdictions ont du mal à se justifier du point de vue sécuritaire. Le niveau de « sûreté est variable selon les aéroports » cités dans le plan américain, souligne Ben Vogel de l'IHS Jane's Airport Review. Donc le placement en soute ne serait pas forcément synonyme de sécurité renforcée. L’effet pourrait même être inverse puisqu’une personne malveillante pourrait actionner à distance un engin explosif, alors qu’en cas d’incendie en cabine, le personnel navigant peut intervenir rapidement.
« Dans une certaine mesure, cette décision est un peu mal conçue, car elle ne fait rien pour des endroits comme la France qui ont beaucoup souffert ces dernières années du terrorisme », remarque Saj Ahmad, analyste du centre de recherche StrategicAero, basé à Londres.
« On voit bien qu'on est au milieu d'une joute politique sur les droits de trafic, les enjeux liés au pétrole, des enjeux politiques qui dépassent largement le problème du portable dans le transport aérien », estime pour sa part Didier Brechemier, expert en transport aérien au cabinet de conseil Roland-Berger.
R.C