A Paris, les rêves de grandeur du président Saïed
Au Sommet pour un nouveau pacte financier mondial organisé à Paris les 22 et 23 juin 2023, le président tunisien Kais Saïed a abondamment puisé dans un registre altermondialiste à l’adresse des bailleurs de fonds occidentaux de la Tunisie et de l’Afrique. Un discours rendu incohérent par la réalité de certaines pratiques répressives et autoritaires sur le plan national.
« Je vais commencer par une boutade : après Charlie Chaplin, vient le temps de Laurel et Hardy. Vous vous souvenez peut-être de la chanson au début de chaque film de ce duo : c’est moi Laurel et toi Hardy, c’est moi le grand et toi le petit. Mesdames et messieurs, avec cet esprit de grands et de petits on ne peut pas aller vers un monde meilleur. Mesdames et messieurs, on n’est pas petit ».
C’est par cette analogie insolite que le président Saïed a entamé son intervention, une étrange introduction qui, si elle a causé quelques sourires gênés parmi l’audience, n’est pas du goût de tout le monde. Ainsi l’opposante et avocate Dalila Ben Mbarek a-t-elle ironisé : « Mais qui donc évoque Laurel et Hardy en pareille occasion à vocation solennelle et internationale ?! ».
On peut en effet se poser la question de la pertinence d’une telle figure de style, quand on sait que l’objet du Sommet en lui-même. Ce dernier consiste précisément en une reconnaissance implicite de la relative obsolescence du modèle économique régissant les rapports nord /sud. Une caducité réitérée d’ailleurs par le président français Emmanuel Macron, qui a reconnu dans un entretien sous forme de bilan de ce sommet que le temps était venu pour revoir en profondeur les modalités de l’endettement des pays africains.
Vacuité des slogans égalitaires
Pour autant est-ce une victoire à mettre à l’actif de la rhétorique présidentielle de « salut de l’Humanité toute entière », martelée par Saïed depuis son accession au pouvoir en 2019 puis son accaparement de tous les pouvoirs en 2021 ? Rien n’est moins sûr. Car outre le fait que le Sommet de Paris fait la part belle à l’axe du changement climatique, le président tunisien n’a fait tout au long de ces quatre années que verbaliser un projet d’alternative économique aux contours extrêmement flous, hormis la mise en place des entreprises coopératives de type mutuelliste.
Or, pour nombre d’économistes, ce modèle collectiviste qui se présente comme innovant n’est autre qu’une vieille idée qui sous-entend que certaines régions intérieures sont fatalement incapables de générer des richesses en dehors de schémas mutuellistes éculés.
Mais ce qui interpelle davantage encore que cette incongruité, c’est le contraste saisissant entre les utopies vertueuses affichées à Paris et la réalité de la répression à Tunis. « Au moment où le chef de l’Etat se rêve en nouveau Mahatma Gandhi ou Nelson Mandela, cette lubie ne résiste pas à l’épreuve des faits, où les opposants sont incarcérés par dizaines », a rappelé la défense de Chaima Issa, militante politique anti Saïed dont le Parquet a fait appel vendredi de la mise en liberté décidée par un juge d’instruction.
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Reprendre aux riches pour donner aux pauvres, c’est aussi le credo que se propose l’autre grande idée du très légaliste président Kais Saïed dans le cadre de la Commission nationale pour la conciliation pénale, une entité dont il a écrit le texte de loi la régissant et choisi les membres, magistrats de formation pour la plupart d’entre eux. Sauf que depuis la semaine écoulée, cette commission vire à la farce, voire au grand bêtisier, à mesure qu’elle multiplie les couacs et autres formes d’incompétence.
Censée selon Carthage récupérer la coquette somme de 13 milliards de dinars tunisiens auprès d’hommes d’affaires suspectés de corruption, de sorte de réinvestir ces fonds dans les régions défavorisées, elle n’a à ce jour pu récolter que la somme dérisoire de 5 millions de dinars (1,5 million d’euros) après de longs mois de travail, la prolongation de son mandat, et l’éviction de son président.
Le 20 juin, Fatma Yaakoubi, membre de la Commission, annonçait sans sourciller au président Saïed qu’un détenu propose 30 milliards de dinars, « 10 milliards de dollars US », précise-t-elle à plusieurs reprises via l’anglicisme « billions », et qu’il demande de le rencontrer. Pas peu fier de cette annonce, Kais Saïed avance que cet argent pourrait dispenser le pays de s’endetter auprès de quelconques institutions financières internationales (la Tunisie est toujours en négociations pour obtenir 1,9 milliards de dollars auprès du FMI). La vidéo de cette visite en apparence inopinée de la Commission est aussitôt publiée par la page officielle de la présidence de la République où elle totalise près de 300 mille vues.
On se dit alors qu’un parent de Bill Gates ou d’Elon Musk croupit dans une prison tunisienne, puisque la somme extravagante avoisinerait les 20% du PIB tunisien. Mais les promesses de jackpot et de prospérité miraculeuse n’ont été que de courte durée. Les avocats du couple prétendument détenteur de cette fortune digne du top 10 du magazine Forbes ont dès le lendemain contacté le juge d’instruction et la Commission pour leur signifier que leur principal client est sans le sou.
« Il souffre de troubles mentaux, de l’aveu de ses proches. Il était président d’un club sportif local, poursuivi notamment pour l’émission de chèques sans provision… Il a 0 millimes, pas un rond ! La banque centrale peut confirmer cela », a ajouté le frère de l’accusé.
Reste l’enseignement de cet épisode surréaliste : comme la mythomanie et le charlatanisme, meilleurs alliés du populisme, qui vendent du rêve, certains responsables servent aux dirigeants autoritaires ce qu’ils veulent entendre, en attendant l’eldorado prospère égalitaire que l’on promet au bon peuple.