A Genève, des Tunisiens réclament la libération de Abderazak Kilani

 A Genève, des Tunisiens réclament la libération de Abderazak Kilani

Le juriste et ancien bâtonnier de l’ordre des avocats tunisiens, Abderazak Kilani, est incarcéré depuis le 2 mars dernier. Une décision jugée inique par des opposants au nouveau pouvoir tunisien, dont certains ont protesté ce weekend en Suisse et saisi des instances internationales à ce sujet.

 

La détention de Kilani (67 ans) fut décidée pour rappel à l’issue de sa comparution devant un juge d’instruction du Tribunal militaire de première instance de Tunis pour, notamment, avoir pris part à « un attroupement de nature à troubler la paix publique et dont l’objet est de commettre une infraction ou de s’opposer à l’exécution d’une loi, d’une contrainte ou d’un jugement. »

Abderazak Kilani faisait en effet partie du comité de défense du député Ennahdha et ancien ministre de la Justice, Noureddine Bhiri. Il s’était déplacé à ce titre début janvier avec d’autres avocats au lendemain de l’hospitalisation de ce dernier, lui-même à l’époque assigné à résidence et en grève de la faim. Aux abords de l’Hôpital régional de Bizerte, Kilani avait enjoint les forces de l’ordre à « désobéir aux ordres d’un pouvoir non légitime ». Le ministre de l’Intérieur Taoufik Charfeddine avait alors promis lors d’une conférence de presse de ne pas laisser ces propos impunis. L’avocat est aujourd’hui également poursuivi pour appel à la rébellion.

« Nous n’avons à aucun moment pensé que la justice militaire irait jusqu’à émettre un mandat de dépôt contre notre client », s’est indigné Samir Dilou, l’un des avocats de Kilani qui ont tous décidé de boycotter le juge d’instruction. « Il a décidé de ne pas recourir à une demande de libération provisoire, préférant se focaliser sur le fond de ce dossier vide », a-t-il ajouté.

 

Internationalisation de l’affaire

Dès le 5 mars, le Conseil national des barreaux français (CNB) annonce avoir saisi les Nations Unies concernant le dossier Kilani, qui ne cesse de prendre de l’ampleur. Dans un communiqué, le CNB déclare « avoir saisi officiellement le rapporteur spécial des Nations Unies sur l’indépendance des juges et des avocats », expliquant ainsi « soutenir les confrères tunisiens en difficulté, vigie des libertés publiques et individuelles, particulièrement exposés dans le contexte politique tunisien actuel ».

« Nous suivons avec une attention particulière la situation des avocats menacés dans le cadre de leurs fonctions », poursuit le Conseil.

« Aucune personne critiquant la prise de pouvoir du président ne semble être à l’abri », titre pour sa part aujourd’hui 14 mars l’ONG Human Rights Watch. « L’emprisonnement d’un avocat de premier plan, pour s’être querellé avec des membres des forces de sécurité, est une nouvelle étape alarmante dans la confiscation des libertés civiques depuis que le président tunisien Kais Saïed s’est arrogé des pouvoirs extraordinaires le 25 juillet 2021 », déplore l’organisation, au moment où Carthage continue d’assurer à l’opinion nationale et internationale que les libertés seront préservées.

Absorbés par des guerres idéologiques et de clans, les avocats tunisiens, traditionnellement en pointe contre les régimes autoritaires qui ont autrefois dirigé le pays, sont cette fois divisés et ne se mobilisent pas unanimement dans le dossier Kilani, entre silence complice, soutiens au président Saïed, et pourfendeurs des dispositions exceptionnelles du 25 juillet.