Point de vue. Est-ce la fin de la Ve République en France ?
La Ve République est plus malmenée que jamais en France au point qu’on s’interroge depuis quelque temps sur le passage à une VIe République en vue d’une meilleure clarification politique en rapport avec les besoins actuels de la vie citoyenne.
Jamais les institutions françaises de la Ve République n’ont vécu une telle dérive, une telle instabilité, une telle absence dramatique de majorité, une telle dévalorisation du pouvoir présidentiel.
Même à l’époque des cohabitations (Mitterrand-Chirac ; Chirac-Jospin), il y avait deux majorités claires, l’une au parlement-gouvernement, l’autre à la présidence. Une collaboration minimale et responsable entre les deux « incompatibles » majorités sur l’essentiel pouvait à ce moment-là permettre à l’Etat de fonctionner et d’éviter d’éventuelles crises politiques.
Et si ces majorités pouvaient se constituer à l’époque, malgré la cohabitation, c’est qu’il y avait de grands partis républicains traditionnels de droite et de gauche, qui pouvaient permettre au gouvernement (avec l’appui du parlement) de gouverner et au président de la République de présider, de stabiliser relativement le régime politique et d’écarter éventuellement les extrêmes ou les minorités de blocage.
Ce n’est plus le cas aujourd’hui, où c’est la politique inverse qui prévaut. Le pouvoir de blocage des partis extrémistes et l’affaiblissement des partis républicains modérés, conjugués à l’isolement du président, soulèvent désormais des inquiétudes quant à la stabilité et la viabilité des institutions de la Ve République.
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Depuis, en effet, la réélection de Macron, voire depuis les manifestations des Gilets jaunes lors de son premier mandat, les partis situés aux extrêmes de la sphère politique, comme la droite populiste (Rassemblement national) ou la gauche radicale (La France insoumise et alliés), ont considérablement renforcé leur poids.
Ces partis ont une stratégie d’opposition systématique, frontale, face aux projets de loi du gouvernement (retraites, budget, etc.), rendant difficile toute gouvernance fluide, surtout en l’absence de majorité absolue à l’Assemblée nationale. Leur rhétorique anti-système, de type mélenchonien ou lepenien, séduit une partie importante de la population, renforçant leur capacité à mobiliser contre les institutions établies.
Ces extrêmes ont prospéré à la faveur de la fragmentation de la majorité présidentielle, de la dissolution hasardeuse de l’Assemblée par Macron, de l’éclatement des partis qui s’en est suivi après les législatives, et des gouvernements successifs éphémères. L’échec des alliances solides ou des compromis transpartisans n’a fait qu’exacerber cette situation.
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Par ailleurs, les partis traditionnels, comme Les Républicains (LR) et le Parti Socialiste (PS), souffrent d’une perte d’identité et de leadership depuis la première élection de Macron en 2017.
Ces formations, autrefois piliers du système, peinent aujourd’hui à se positionner face à un centre incarné par Emmanuel Macron et à rivaliser avec le discours plus radical des extrêmes, qui capte l’attention médiatique et le mécontentement populaire.
L’absence d’un contre-pouvoir crédible au centre ou d’une force politique capable de fédérer les modérés fragilise davantage le paysage politique.
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La Ve République est bâtie autour de l’autorité incontestée, censée être forte, du couple président-gouvernement, soutenu par une majorité partisane fidèle au parlement, gage de stabilité politique. C’est ainsi que de Gaulle l’a voulu en tout cas.
S’il arrive que cette autorité décline, surtout dans la durée, la crise politique frapperait alors de plein fouet tout le régime, son socle de base étant touché. Or, Emmanuel Macron et ses gouvernements successifs ne parviennent plus à avoir ou à s’appuyer sur une majorité absolue.
Situation qui oblige le gouvernement à recourir à des outils expéditifs, comme l’article 49.3, perçu comme antidémocratique et brutal, minant davantage la légitimité de l’exécutif.
Élu avec des scores souvent tributaires à des votes de barrage contre les extrêmes, le président Macron peine à être perçu comme représentatif de la majorité des Français. On entre dans une crise de représentativité majeure.
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Ces éléments ne signifient pas nécessairement la fin imminente de la Ve République, mais ils mettent en évidence ses limites dans un contexte de crise de gouvernabilité. La paralysie législative est telle que si l’incapacité à trouver des compromis se prolonge, cela pourrait nourrir une demande de refonte institutionnelle.
D’ailleurs, de plus en plus de voix, notamment à gauche, appellent à une refonte constitutionnelle pour limiter les pouvoirs du président et renforcer la représentation parlementaire.
Jean-Luc Mélenchon, leader du mouvement La France Insoumise, défend même depuis quelques années l’idée de passer à une VIe République en France. Il considère que l’actuelle Ve République, mise en place en 1958, est devenue inadaptée aux besoins démocratiques modernes.
Elle accorde beaucoup de pouvoir au président, ce qui, selon lui, crée un déséquilibre entre les institutions et affaiblit la démocratie. Cette hyper-présidentialisation limite le rôle du Parlement et des citoyens dans les prises de décisions importantes.
Les institutions actuelles ne représentent pas suffisamment les citoyens. Le mode de scrutin législatif favorise plutôt les grands partis au détriment d’une meilleure représentation de la diversité politique. Il faudrait alors opter pour le scrutin proportionnel.
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La VIe République proposée par Mélenchon, non sans relents populistes, vise à donner plus de pouvoir direct aux citoyens, notamment à travers l’instauration du référendum d’initiative citoyenne (RIC), à révoquer des élus en cours de mandat (réhabilitation du mandat impératif), outre à une refonte des mécanismes pour que les citoyens soient davantage impliqués dans les décisions publiques.
Pour Mélenchon, la VIe République ne se limite pas à des réformes institutionnelles. Elle serait aussi un cadre pour engager une transformation écologique et sociale, en s’attaquant aux inégalités et en rendant l’État plus transparent et efficace.
Cette démarche symbolise en tout cas, pour lui, la volonté de rompre avec le système actuel en impliquant directement le peuple.
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On pourrait certes gloser sur les atouts de la Ve République, qui se fonde notamment sur une Constitution flexible qui a déjà permis des ajustements politiques, sur un appareil administratif et institutionnel capable de maintenir une certaine continuité politique en cas de crise politique, sur une tradition politique qui favorise la recherche de compromis (ou plutôt de collaboration) dans les moments critiques.
Mais les rapports de force, le système des partis et des alliances, le sens de la responsabilité de la classe politique ne sont plus ce qu’ils étaient (judiciarisation de la politique, climat de corruption, dilution du consensus sur la démocratie).
Le défi maintenant de cette Ve République serait de surmonter cette montée aux extrêmes, cette détestation des hommes politiques et des partis les uns envers les autres, même à l’intérieur de chaque camp, au point d’empêcher toute collaboration entre eux sur l’essentiel, d’amadouer le populisme ambiant, de droite et de gauche.
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Il faut savoir que si la classe politique française a su faire quelques compromis, plus ou moins surmontables dans le passé, comme la cohabitation entre deux majorités opposées au sein de l’exécutif et du législatif (un test de solidité constitutionnelle), elle est moins portée aux grands compromis idéologiques, des compromis d’équilibre, notamment entre la droite et la gauche, sur le modèle allemand.
La culture de compromis, politique ou sociale, ne parvient pas encore à bousculer la culture rousseauiste et absolutiste de majorité.
Depuis Bonaparte, ce sont les chefs incontestés qui stabilisent la vie politique en France, pas les accommodements conjoncturels.