Laila Hida : « Le public sera là si on trouve notre propre modalité de diffusion et d’expression de l’art dans l’espace »

 Laila Hida : « Le public sera là si on trouve notre propre modalité de diffusion et d’expression de l’art dans l’espace »

Le catamaran Art Explorer, amarré au port de Tanger, est le premier bateau-musée au monde. Il peut accueillir 2000 visiteurs par jour et propose une exposition immersive en collaboration avec le musée du Louvre. Photo : Salaheddine El Bouaiachi

Après Venise, La Valette (Malte), puis Marseille et Tanger, voilà qu’Art Explora accoste sur les rives du Bouregreg. Piloté par la fondation éponyme, le catamaran, qui a commencé son périple méditerranéen au printemps dernier, fait escale à Rabat du 11 au 17 octobre après une première halte marocaine à Tanger.

 

Laila Hida, l’une des curatrices les plus dynamiques du royaume, a pris en charge la programmation de ces deux étapes. Elle explique sa démarche et dévoile les moments phares du festival, accessible à tous gratuitement.

Laila Hida, curatrice, est responsable de la gestion et de l’organisation du Festival Art Explora à Tanger (septembre 2024) et à Rabat (octobre 2024), un événement dédié à la promotion de l’art et de la culture. Photo : DR

LCDL : Qu’avez-vous voulu mettre en lumière lors des deux escales marocaines d’Art Explora ?

Laila Hida : À Tanger, l’idée était de créer une place du village comme un centre où convergent des pratiques et des gens. Les dispositifs « bateau », « pavillon » et « programmation publique » se sont très bien imbriqués et ont transformé l’espace en moussem de 10 jours où les visiteurs sont venus plusieurs fois, de jour comme de nuit. Si bien que la scène Agora n’a jamais désempli, même pour les propositions les plus alternatives.

Rabat sera le pendant du festival de Tanger et donnera à voir et à réfléchir aussi aux formes de diffusion et de présentation possibles, ainsi qu’à leur potentiel.

À mon sens, chaque ville infuse sa propre énergie et offre ses possibilités qui découlent des pratiques sociales, de l’urbanisme, de la mobilité dans la ville, des lieux potentiels pour donner lieu et vie à une proposition plutôt qu’à une autre.

Tanger – Exposition immersive consacrée aux femmes de la Méditerranée, conçue en collaboration avec le Musée du Louvre. Photo : Salaheddine El Bouaiachi

La préparation des deux programmations s’est faite sur plus d’une année pour aboutir au format qui me semblait le plus juste, même quand il redevient contenu et intimiste.

Par ailleurs, la notion d’échelle constituait lors des deux étapes un élément central que nous avons voulu maîtriser, même dans le village de 4 000 m² pour le cas de Tanger.

Pour cela, nous avons pensé plusieurs micro-espaces. Ainsi, la tente caïdale a accueilli les talks ou les sessions d’écoute, de manière à recréer constamment une proximité entre l’audience et les intervenants.

Festival Art Explora – Tanger (20-29 septembre 2024). Photo : Salaheddine El Bouaiachi

Quel bilan tirez-vous de l’escale tangéroise ?

Un bilan très positif tant au niveau artistique que de la réception du public et de la fréquentation. Nous avons eu énormément de visiteurs en continu sur les dix jours, avec des pics les week-ends et en soirée lors des programmes publics. En tout, des dizaines de milliers de visiteurs.

Pour moi, c’est une première en programmation de festival et le grand défi a été de créer une proposition diversifiée dans les pratiques et les approches, mais aussi harmonieuse.

Cet aspect est primordial car c’est ce qui permet de comprendre le propos, même s’il n’est pas directement énoncé. Par exemple, la présence du féminin et de la « aïta » (genre musical marocain populaire, ndlr) est clairement une façon d’insister sur les formes de résistance.

À l’honneur lors du festival Art Explora à Tanger, l’Aïta, « le cri » ou « l’appel », est une musique qui a rythmé la vie rurale lors des fêtes et moussems, mais aussi un chant de résistance à certaines époques. Photo : Salaheddine El Bouaiachi

Il y avait aussi, de manière transversale, cette fameuse question de la frontière entre les disciplines et les gens, en engageant un dialogue entre des projets singuliers et expérimentaux mis en perspective avec ce qu’on appelle communément une programmation grand public.

Même si j’estime que ce terme est problématique, car le grand public n’existe pas. Nous devons dépasser ces distinctions qui laissent penser qu’il existe des publics pour la musique et d’autres pour l’art contemporain.

Je pense que le public sera là si on trouve notre propre modalité de diffusion et d’expression de l’art dans l’espace. À Tanger, l’espace public a démontré sa capacité à fédérer dans un esprit radicalement convivial.

Festival Art Explora – Tanger (20-29 septembre 2024) : Performance de la troupe féminine Bnat Louz. Photo : Salaheddine El Bouaiachi

Quels seront les moments phares de l’escale à Rabat ?

Dans la capitale, la programmation sera plus intimiste par sa forme uniquement, car toujours dans la continuité de Tanger, comme une suite de parcours qui s’émancipe du village.

Depuis le départ, l’idée était dans la déambulation qui commencerait à Tanger et se terminerait à Rabat, et pas du tout une reprise de la programmation.

D’autre part, j’étais intéressée à recalibrer le propos en changeant de ville, en invitant à la balade et au mouvement, et en réduisant le nombre de propositions afin de laisser le temps aux visiteurs de se déplacer et de profiter de tout le programme.

Festival Art Explora – Tanger (20-29 septembre 2024). Photo : Salaheddine El Bouaiachi

Comme pour Tanger, c’est un imaginaire qui a présidé à mes propositions et m’a amenée à répondre avec des invitations qui offrent une nouvelle perspective sur la ville ou sur notre rapport à l’espace public.

Ainsi, certains projets sont des commandes, tels que Act.1_Brise, une réflexion qui prend la forme d’une installation éphémère et évolutive de structures volantes, inspirée par les pratiques informelles urbaines telles que les vendeurs ambulants, musiciens, conteurs, magiciens et loueurs de petites voitures.

Cette installation sera présentée à l’issue d’une série d’ateliers avec les étudiants du cirque Shems’y au Chapiteau à Salé.

Le catamaran Art Explorer amarré au port de Tanger. Photo: Salaheddine El Bouaiachi

Un autre moment fort sera le lancement du projet éditorial Space is the Place, en partenariat avec les éditions Kulte, qui vient enrichir les propositions mises en œuvre pour les étapes marocaines de Tanger et de Rabat.

Le lancement de la publication se fera en présence de Madani Ait Ouhanni, dernier membre vivant de l’équipage du RA II, une expédition légendaire menée à bord d’un navire en papyrus, qui partit du port de Safi en mai 1970.

Mentionnons aussi, le jour de la clôture, le 17 octobre, une déambulation entre le Bouregreg et le foundouk Benaicha, pensée en réponse au thème par la compagnie Irtijal.

Il s’agit d’une traversée poétique des lieux au cours de laquelle chacun est invité à ramasser, rassembler, recréer des bouts d’histoires.

Propos recueillis par Fadwa Miadi

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