Point de vue. Pour un seul mandat ferme
La logique libérale et démocratique va toujours dans le sens de la limitation du pouvoir. La réduction des mandats des présidents et premiers ministres à un seul mandat va encore dans ce sens.
Tous les pays démocratiques, présidentiels ou parlementaires, devraient réfléchir sur l’idée d’un seul mandat ferme de l’homme au pouvoir, à titre personnel (président ou premier ministre), en leur interdisant toute forme de rééligibilité.
À ma connaissance, le principe d’un seul mandat pour un tel homme n’existe nulle part. La démocratie ne devrait pas permettre à un homme au pouvoir, quel qu’il soit, de s’y éterniser, et partant, d’éviter d’avance l’usure du pouvoir. C’est ce que nous enseigne la philosophie libérale depuis le XVIIe siècle. C’est aussi une manière moderne de limiter les pouvoirs.
Les députés peuvent toujours être réélus, ils n’ont pas assez de pouvoirs à titre individuel. Les majorités partisanes ont également le droit d’être reconduites, mais elles doivent changer les hommes à leurs têtes, à la présidence ou au gouvernement, selon les régimes.
À l’ère moderne des mutations et des communications rapides, de la gouvernance complexe, il ne faut plus croire aux hommes qui se croient indispensables sans en avoir les moyens, qui veulent s’éterniser et qui prétendent avoir besoin d’un deuxième mandat pour parachever leurs réformes, impossibles à réaliser, d’après eux, dans un seul mandat.
En réalité, ce qu’ils n’ont pu faire durant un mandat, ils ne pourront vraisemblablement pas le faire en deux mandats. Même s’ils n’ont pas abusé de leurs pouvoirs durant leur mandat. La règle vaudrait pour tous.
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D’ailleurs, aujourd’hui on voit un peu trop les dirigeants, dans les réseaux sociaux, dans les vidéos en boucle, à la TV, aux chaînes d’informations en continu. A l’évidence, ça use vite l’opinion et aussi l’homme au pouvoir, qui subit lui-même le contrecoup de l’usure médiatique.
On a l’impression que les hommes au pouvoir ne s’occupent plus de l’essentiel, mais de tout et de rien, de la haute comme de la petite politique.
Avec la multiplication des problèmes de gouvernance, de plus en plus complexes, ils veulent être à la fois chefs d’Etat et chefs de gouvernement. Comme s’ils n’avaient plus confiance dans les institutions et dans leurs propres collaborateurs. Un indice qui ne trompe pas.
Ils veulent être partout, suivre au jour le jour les moindres humeurs de l’opinion et des réseaux sociaux, avoir une opinion sur tout, communiquer à outrance. Ils voudraient tant avoir ce don d’ubiquité, qu’ils ne se rendent pas compte qu’ils banalisent désormais leur pouvoir et la fonction politique suprême de l’Etat.
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L’expérience atteste d’ailleurs qu’il y a très souvent usure au second mandat d’un homme au pouvoir, même dans les grandes démocraties. Macron en est le dernier exemple. Il n’a plus de majorité dans son second mandat où il est devenu impopulaire aussitôt réélu.
Trump s’est usé tout en usant les Américains par ses outrances anarcho-populistes en un seul mandat, Bolsonaro de même au Brésil. Tous les deux, pourtant, n’ont exercé qu’un court mandat de quatre ans.
Kais Saied en Tunisie n’échappe pas à cette usure, ayant confisqué tous les pouvoirs, accaparé les médias de masse et monopolisé la parole. L’urne a été désertée à plusieurs reprises après le coup d’Etat.
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Si l’idée de la limitation du pouvoir du chef politique à un seul mandat paraît théorique, réductrice, allant contre la volonté populaire, elle a toutefois de meilleures chances de conforter justement cette même volonté populaire. Le peuple pourrait se réapproprier ainsi sa souveraineté et sa liberté, puisque l’homme au pouvoir devrait à chaque fois quitter le pouvoir au bout d’un mandat, renforçant du coup sa liberté de choix.
Cette idée, les Anglais la mettent souvent en pratique depuis longtemps, spontanément et traditionnellement, dans le jeu institutionnel: écourter les mandats des chefs de gouvernement et de leurs majorités partisanes par des élections anticipées (à la suite de motions de censure, démission, impopularité ou retournement de l’opinion). Si bien que rares sont les premiers ministres anglais qui parviennent à faire deux mandats parlementaires, ou même qui vont jusqu’au bout de la première législature.
Cela s’appelle « The Government by opinion », qui dépend sans cesse de l’évolution de l’opinion et de l’arbitrage des électeurs. Les Anglais en ont ainsi inventé le modèle.
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Cinq ans, ça suffit largement pour faire ses preuves et démontrer ses capacités ou incapacités, son efficacité ou inefficacité dans la réalisation des réformes. L’opinion change vite à l’époque moderne.
Tout utilisateur des réseaux sociaux se croit à la fois gouverné éclairé et gouvernant efficace, acteur indirect et « influenceur » permanent. Tout gouvernant se croit à son tour surpuissant du fait du nombre de followers et d’abonnés dans les réseaux sociaux et non du fait de ses propres réalisations.
Les problèmes contemporains de chômage, de croissance économique, d’endettement, d’inflation, d’environnement, de mondialisation, de qualité de vie, de migration, accroissent la lassitude de l’opinion pour les pouvoirs en place, tous incapables de venir à bout de ces problèmes, et attisent le besoin de changement. Alors que les gouvernants veulent, eux, s’incruster à contre-temps.