En Tunisie, les évacuations de migrants subsahariens s’accélèrent

 En Tunisie, les évacuations de migrants subsahariens s’accélèrent

Quartier d’affaires des Berges du Lac de Tunis, samedi 4 mai 2024

C’est sans doute la plus importante vague d’évacuations forcées de migrants originaires d’Afrique subsaharienne depuis le déclenchement de la crise migratoire dans le pays qui dure depuis plus d’un an. Plusieurs milliers d’entre eux ont été évacués par les forces spéciales tunisiennes ce weekend de campements, notamment installés devant des agences onusiennes à Tunis ainsi qu’à Sfax, puis « déportés vers la frontière algérienne », selon une source du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES).

 

 

Prudent changement notable dans la communication des autorités tunisiennes : à grand renfort de musique d’ambiance héroïque, le ministère de l’Intérieur n’est pas peu fier des opérations menées par des unités cagoulées au petit matin pour déloger des centaines de campeurs dans les quartiers résidentiels des Berges du Lac de Tunis et de la Marsa, puis démolir leurs campements de fortune, mais sans jamais citer le mot de migrants ni évoquer leurs origines subsahariennes.

On parle ainsi dans la page du ministère de simple « rétablissement de l’ordre » et de vague « lutte contre l’insalubrité et les squats ». Probablement échaudé par les polémiques sémantiques causées par le président Kais Saïed en février 2023 qui parlait de « plan de grand remplacement de la démographie arabo-islamique du peuple tunisien par des hordes », le pouvoir même populiste apprend de ses erreurs et se sait surveillé de près par l’opinion internationale.

 

Mise en scène politique

Mais à quelques mois de la prochaine élection présidentielle, l’opposition tunisienne n’est pas dupe : elle reproche d’une part aux autorités de n’avoir réagi qu’après un pourrissement interminable qui a laissé la situation s’envenimer à nouveau après les premières évacuations de masse durant l’été 2023, pour créer un effet d’annonce en s’attelant tardivement à évacuer les vagues de nouveaux venus de façon électoraliste, sans transparence quant à la destination finale des migrants concernés.

Si les médias officiels libyens épinglent régulièrement la Tunisie pour des renvois anarchiques et massifs vers ses frontières, il en va autrement pour le pouvoir tunisien qui se garde de pointer la responsabilité de l’Algérie dans la perméabilité de ses frontières, principal point d’arrivée de ces migrants aspirant à l’Europe pour certains, à une résidence sine die en Tunisie pour d’autres.

 

Colère du FTDES

« En une nuit, ce sont au moins 300 migrants, dont des réfugiés et demandeurs d’asile, des femmes et des enfants, qui ont été évacués par la force », a indiqué le porte-parole de l’ONG Romdhane Ben Amor, précisant que « des dizaines d’autres, alertés, ont pris la fuite au préalable, par crainte d’opérations de déportation ».

Outre une vidéo montrant des policiers extraire des migrants de tentes et en détruire certaines et des agents d’entretien ramassant des déchets et remettant en ordre un parc, sur une autre séquence, des dizaines de migrants marchent en rangs serrés en pleine nuit dans une rue, vers une destination inconnue, sous encadrement étroit de la police. D’après le FTDES, trois campements improvisés, installés depuis au moins l’été dernier devant les sièges du Haut-commissariat aux réfugiés (HCR) et de l’Organisation mondiale des migrations (OIM) ainsi que dans un jardin dans la zone du Lac, ont été vidés de leurs occupants.

Entre 500 et 700 personnes y vivaient sans eau courante, ni électricité, ni sanitaires, beaucoup après avoir été chassées de leur logement et travail au cours des mois ayant suivi un violent discours anti-migrants su pouvoir. Des autobus escortés par la police ont emmené les personnes pour « les transférer vers la frontière algérienne », selon des témoignages recueillis par le FTDES.

L’ONG se dit préoccupée « sachant que parmi eux il y a des populations vulnérables (…) des gens ayant besoin d’assistance médicale, qui vivaient déjà dans des conditions inhumaines depuis des mois », a souligné Ben Amor. Selon le porte-parole, ces opérations font par ailleurs directement suite à une réunion jeudi à Rome des ministres de l’Intérieur d’Italie, Tunisie, Algérie et Libye.

La cheffe du gouvernement italien Giorgia Meloni avait effectué à la mi-avril une visite en Tunisie pour renforcer la coopération bilatérale dans la lutte contre l’immigration clandestine. La Tunisie reste en effet l’un des principaux points de départ avec la Libye de l’émigration clandestine vers l’Italie. Meloni sera la tête de liste de son parti d’extrême droite Fratelli d’Italia aux élections européennes de début juin où le dossier migratoire sera dans tous les esprits.

 

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