Jean-Luc Mélenchon : « La religion sert de prétexte au racisme »
Identité et racisme en France, Maroc, Proche-Orient,.. Jean-Luc Mélenchon, fondateur de la France Insoumise, ancien candidat à la présidentielle et auteur de “Faites Mieux ! Vers la Révolution Citoyenne” revient pour le Courrier de l’Atlas sur les grands enjeux géostratégiques et politiques que traversent l’Hexagone et le monde. (interview en deux parties. Voir aussi : Jean-Luc Mélenchon : « A Gaza, il s’agit d’un génocide » (2/2)
Lors de notre dernier entretien en 2016, vous étiez l’un des rares députés à avoir contesté la déchéance de nationalité proposée par Manuel Valls et François Hollande. Comment concevez-vous la question de l’identité française ?
Jean-Luc Mélenchon : Je m’en tiens à la position historique. Qui nait sur le sol de France est français. Il s’agit d’une disposition apparue dans le droit en 1315 sous l’Ancien Régime, confirmé par un arrêt du parlement de Paris de 1515. Elle a été complétée et amplifiée par la grande révolution de 1789. La France est une construction politique millénaire. A la différence de nos voisins allemands, qui se considèrent comme une nation ethnique liée par le droit du sang, nous nous définissons comme une nation liée par un contrat politique sur le modèle des cités romaines. Il est résumé par la devise « liberté égalité fraternité ». Au demeurant la déchéance de nationalité, tirée du programme du Rassemblement National est inapplicable. Le droit international exclut la « création » d’apatrides. Cela a d’ailleurs été de nouveau censurée par le Conseil constitutionnel dans la loi immigration de Darmanin. Ceux qui reviennent à la charge font de la gesticulation.
Comprenez-vous que les franco-maghrébins soient inquiets de cette remise en question ?
Jean-Luc Mélenchon : Bien sûr. Ils ont raison : la dérive vers l’extrême droite de Macron à Le Pen les menace. Qu’ils soient binationaux ou franco-maghrébins comme moi, ils ont des raisons d’être très inquiets. La supposée « identité » défendue par l’extrême droite est un mythe raciste. Nous devions déjà supporter les préjugés racisant, et s’y ajouterait un discours selon lequel nous pourrions être exclus de l’identité française ! Comment la France pourrait elle renier ses enfants ?
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L’extrême-droite l’utilise justement pour séparer les français entre eux.
Jean-Luc Mélenchon : L’oligarchie financière, a juste la crainte d’une puissance : le peuple. Faute de légitimité historique, elle ne peut maintenir sa domination sans construire un puissant rempart idéologique. Elle agit donc sans trêve pour fragmenter le peuple. C’est le rôle du racisme et de l’islamophobie. Leur objectif est de bloquer la possibilité de l’unité populaire. La classe médiatique a joué un rôle terrible dans cette construction. Elle a permis à ce discours d’entrer dans les maisons des Français. Les franco-maghrébins sont de plein droit des Français. Menacer de leur nier leur statut de Français c’est déjà leur fait subir une violence absolument incroyable. La France est un concept politique exigeant. La République est fondée sur la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.
Vous concevez donc la France dans un environnement mondial…
Jean-Luc Mélenchon : Je soutiens l’idée qu’existe un peuple humain, fondé sur la similitude de ses besoins et de sa dépendance au même écosystème. L’émergence d’une civilisation mondiale vient en confirmation de cette idée. Nous regardons les mêmes images, avons des modes de vies comparables de bien des façons. Un processus de créolisation mondial est à l’œuvre et les aires langagières en sont de puissants vecteurs. Nous avons 850 mots empruntés à l’italien, 400 à l’espagnol, 400 à l’arabe, 100 au russe ainsi que des mots hébreux, persans, chinois ou hindi. Près de 30 pays composent l’espace francophone dans le monde. Ce sont autant de possibilités d’interactions entre êtres humains et cultures, donc de créolisation. Toute symbiose de comportements ou de normes permettent aux êtres humains de produire du commun, du neuf, ensemble. Aucune distance ne sera jamais assez grande pour les en empêcher. Cette créolisation concrète permanente invalide le racisme. Elle rend possible l’émergence politique d’un peuple humain. Ici la compréhension héritée des lumières rejoint l’intuition religieuse et le sens commun.
L’Islam occupe une part surréaliste des échanges politiques en France. Quel regard portez-vous sur ces débats ?
Jean-Luc Mélenchon : La religion sert de prétexte au racisme. Elle permet de mettre en scène le mythe d’un « choc des civilisations », pour instaurer une fragmentation insurmontable de l’espèce humaine. En France, le camp réactionnaire et conservateur n’est républicain que de fraiche date. Je rappelle que l’Église catholique n’a reconnu du bout des lèvres la République en France que depuis 1920. En réalité les racistes, haïssent les Arabes. L’islam est pour eux un prétexte auquel ils ne connaissent rien le plus souvent. A cette occasion, ils font de la laïcité une sorte d’athéisme d’État. Elle ne l’est aucunement. La religion est vue comme un fait intime très personnel. Elle impose donc une séparation stricte : l’Etat ne se mêle pas de la religion et la religion ne se mêle pas de la gestion politique de l’Etat. Mais évidemment chaque conscience construit ses décisions et ses votes d’après ses propres convictions. La République demande à chacun de faire avancer ce qui est bon pour tous et pas seulement pour soi.
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Quel est l’objectif de ce racisme antimusulman ?
Jean-Luc Mélenchon : Si beaucoup préfèrent s’en prendre à l’islam c’est pour ne pas avoir à répondre de leurs responsabilités économiques et morales dans la mise en danger de notre espèce. Ce prétexte est un moyen extrêmement confortable pour les dominants et leur classe médiatique de parvenir à diviser le peuple français, composé de religion différentes mais confrontés aux mêmes difficultés. L’Islam est la deuxième religion de France. L’Histoire nous a suffisamment appris la cruauté sans fin des guerres de religion avec trois siècles de conflits entre catholiques et protestants. Tout cela était assez monstrueux pour que l’on s’en souvienne. Le racisme antimusulman est le plus souvent ignorant de l’Islam lui-même et procède par des assimilations ridicules. L’équation utilisée par les racistes est que les musulmans sont voués à être des terroristes. Cela permet de traiter en suspect une population de 6 millions de croyants. Et c’est déjà une méconnaissance complète du terrain qui voudrait que les musulmans aient tous les mêmes convictions politiques. Quand on montre du doigt les musulmans, on désigne des gens de toutes les catégories sociales et de toutes les opinions. Nous vivons une saison politique déplorable. Il faut faire preuve de sang-froid. Les populations de religion musulmane, d’ailleurs, en font preuve de beaucoup, compte tenu des mauvais traitements qui leur sont faits. L’union populaire sur nos revendications sociales et culturelles communes est le meilleur rempart contre le racisme et l’islamophobie.
Vous êtes né à Tanger, une ville internationale à cette époque. Est-ce que cela a eu une influence sur votre vision politique plus large que la France uniquement ?
Jean-Luc Mélenchon : Sans aucun doute. J’ai quitté le Maroc à mes 11 ans. J’ai eu avant une vie commune avec des gens d’origines et de religions différentes dans un pays en majorité musulman. Je n’y ai jamais croisé la moindre forme de violence religieuse. Il y a moins de catholiques aujourd’hui mais le Maroc respecte et protège la diversité religieuse. Par certains aspects, les gens que j’ai vus au Maroc sont bien plus laïques d’esprit que certains que je croise en France. Les Marocains ne font pas de la religion de l’autre une assignation infamante. Je n’ai jamais entendu quelqu’un arguer de la religion contre un catholique au Maroc.
Tanger, c’est aussi le Maroc, un pays qui a beaucoup changé depuis votre naissance. Qu’est-ce que vous inspire ce pays dans sa trajectoire de développement ?
Jean-Luc Mélenchon : C’est spectaculaire. En 1950, il y avait 9 millions de Marocains. Ils sont dorénavant 37 millions. C’est une évolution numérique considérable. Dans mon livre, je donne au nombre une place importante comme facteur explicatif de l’Histoire et de sa dynamique. Le pays s’est radicalement transformé. En 1950, 35% des marocains habitaient en ville. Maintenant, ils sont à 65%. La condition humaine urbaine est différente de celle de la ruralité, vivant souvent en autosuffisance et à l’écart de tous les réseaux collectifs. Sur le plan technique le bond en avant est inouï. Le Maroc a développé un programme satellitaire pour aider l’agriculture à s’adapter au changement climatique. La France devrait proposer la coopération pour créer un espace de coopération spatiale commun. Près de la moitié de la population marocaine a moins de 25 ans. Nous avons besoin d’elle pour aider les nations vieillissante comme la notre a faire face aux défis écologique par exemple.
Le Maroc lance un grand programme de sécurité sociale. Faut-il passer par une collectivisation des droits humains (santé, eau, etc.) ?
Jean-Luc Mélenchon : Pendant ce temps la France détruit le sien ! La trajectoire marocaine est plus moderne. L’eau, la terre, l’air, la santé, le savoir… sont autant de facteurs essentiels pour la reproduction matérielle et immatérielle des êtres humains. En faire un bien commun c’est assumer l’évidence et la nécessité. Vous pouvez décider d’ignorer le sort des autres et de ne vous occuper que de vous uniquement. Les expériences de la vie font vite changer d’avis. Quand on est malade, on est content d’être soigné en fonction de sa carte vitale et non de sa carte bancaire. La supériorité de ce type de systèmes collectivistes est mille fois démontrée. Le système de santé français était encore considéré, il n’y a pas longtemps, comme le meilleur du monde. Il reposait sur la sécurité sociale. Il est en voie de privatisation et d’effondrement. On meurt aux urgences en France. Comment en est-on arrivé là ? La cupidité est un poison foudroyant : elle paralyse très vite ce qu’elle touche. Les abus ne sont pas venus des malades mais des trusts et lobbys pharmaceutiques et d’une certaine industrie privée de la santé.
Le secteur privé ne peut-il donc pas répondre comme le secteur public ?
Jean-Luc Mélenchon : On a vu les limites d’un remplacement par le marché d’un service public. Cela va s’aggraver. Le nombre de brevets déposés chaque année dans le monde a plus que triplé depuis les années 1990. Le principe d’un brevet est d’empêcher la circulation d’une connaissance. Après quoi Pfizer et Moderna ont engrangé jusqu’à 1000 dollars de profits par seconde, uniquement sur leurs vaccins anti-Covid. Au bout d’un an, seulement 0,1% des doses étaient allés aux 50% pays les plus pauvres. Le défi du changement climatique met tout le monde au pied du mur. À l’heure de l’incertitude écologique, la transmission des données et la culture cumulative sont nécessaires pour modéliser sur une base de données massive et prendre les décisions d’action préventive ou réparatrices sur les systèmes naturels. La santé humaine est donc entièrement liée à la capacité pour un pays d’avoir des services publics.
L’unification des modes de vie au niveau mondial met en place des problèmes similaires. Il en va de même pour le mode de l’alimentation et le modèle agro-alimentaire dominant en Europe et aux Etats-Unis. Nous faisons face à des épidémies de diabète, d’obésité et de maladies cardio-vasculaires inconnues des générations précédentes. Si vous voulez une nourriture saine, il faut une agriculture relocalisée vers les taches alimentaires nationales, non pas tournée vers le marché mondial. La France était un pays souverain dans les années 70. Aujourd’hui elle ne produit pas plus de 20% de son alimentation, et a peine la moitié de ses fruits et légumes.
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Tanger enfin, c’est aussi la porte d’ouverture de la Méditerranée. Votre famille vient d’ailleurs d’Espagne, d’Algérie et d’Italie. Devons-nous inventer une nouvelle politique méditerranéenne à plus petite échelle comme on l’a fait avec l’Europe ?
Jean-Luc Mélenchon : La Méditerranée est le berceau de notre civilisation commune. Le Maghreb est lié à l’Europe de façon civilisationnelle. Seuls les racistes et les ignorants peuvent penser que le Maghreb vivait de son côté sans contacts. Les berbères sont liés à l’histoire de l’Antiquité romaine et grecque. Les arabes sont montés jusqu’à Poitier et Vienne. Le méli-mélo dure depuis plus de 3000 ans. Les cathédrales sont impossibles sans la physique, les mathématiques, la chimie, transmises par les musulmans pendant les croisades! Le mélange des deux rives n’a jamais cessé dans une séquence de créolisation intense, notamment pendant 8 siècles à Al Andalus en Espagne. Actuellement, je plaide pour la création d’un espace politique du petit bassin méditerranéen. Il y a déjà eu une expérience commune. C’était l’Union du Maghreb Arabe d’un côté et de l’autre les quatre riverains européens du petit bassin. C’était le 4+5. Il a été a été éteint sous les coups de boutoir des Allemands et des Etatsuniens.
Pourtant, Le président Nicolas Sarkozy a créé l’Union pour la Méditerranée.
Jean-Luc Mélenchon : Les Allemands s’en sont encore mêlés. Ils ont, de ce point de vue, une position totalement constante pour demander que l’Europe reste sur son rivage. Ils restent obsédés par l’expansion à l’est de l’Europe. Pourtant plus de 500 millions d’êtres humains sont reliés par la Méditerranée, dont plus d’un tiers sont directement installés sur le rivage. Du fait de la concentration de la population à cet endroit-là, nous devrions commencer par en maitriser les conséquences avec une nouvelle union méditerranéenne. Je pense aux rejets, évacuations en mer, zones halieutiques ou à la sauvegarde de l’écosystème méditerranéen. 600 000 tonnes de plastiques continuent d’être déversée chaque année dans la Méditerranée !. Si rien n’est fait, elle concentrera en 2050 plus de plastiques que de poissons. Une politique commune est la clé pour sauver notre mer commune. Construire un espace politique autour du petit bassin a des raisons objectives urgentes d’exister.
Le Maroc a choisi une trajectoire vers l’Afrique au moment où la France semble se désengager. Quelles leçons tirez-vous de l’expérience marocaine et de l’Afrique dans la zone d’influence française ?
Jean-Luc Mélenchon : Le Maroc agit sagement. Il lui se sera plus profitable de se tourner vers la zone de dynamique démographique et culturelle africaine plutôt que vers l’Europe croupissante. Tout d’abord, mieux vaut abandonner la logique de la quête d’influence. Très rapidement, elle tourne à la compétition avec les autres puissances et elle inclut des rapports de dominations toujours stérilisant. La France n’a pas su épouser le tournant africain de la fin du siècle précédent. Quand la population subsaharienne a explosé, certaines élites françaises l’ont ressenti comme un danger. L’audience française est souvent passée par la langue. Or la langue appartient à ceux qui la parlent. La dynamique de l’espace francophone viendra donc de plus en plus d’Afrique. Pour les relations entre États et entre les peuples, mieux vaut ne plus penser ni agir comme par le passé. Une autre méthode est nécessaire. Mettons plutôt en partage des projets communs et agissons pour des causes communes.
Quels sont les sujets d’intérêt général humain qui pourraient correspondre ?
Jean-Luc Mélenchon : Cela va de l’état de la mer Méditerranée aux taches de sécurité civile ou d’éducation scientifiques. Nous avons donc aussi besoin d’une intensification des échanges d’étudiants. De son côté la France doit renoncer aux mesures blessantes comme lors de la loi immigration, heureusement censurée par le Conseil constitutionnel ! Quelle bêtise de demander une caution à des étudiants pour les obliger à repartir dans leurs pays ensuite. Notre intérêt est qu’ils restent le temps qui leur convient. De la même manière nous avons un intérêt à avoir une présence française en Afrique dans des activités de coopération et d’entraide plutôt que sur des objectifs militaires. On voit ici le contresens d’une politique nationale dominatrice. Ça ne mène nulle part sauf à des erreurs dont nous sommes les premiers victimes. Je mets au défi de dire quel meilleur partenaire maghrébin que le Maroc la France trouve en ce moment ! Surtout s’il s’agit de relations africaines apaisées. Il faut donc le respecter.
S’agit-il d’une arrogance française sur la connaissance des évolutions de l’autre rive ?
Jean-Luc Mélenchon : Hélas, souvent les gouvernements français n’ont pas fait preuve de clairvoyance. Par opportunisme et lâcheté politique interne, ils se sont abaissés à des comportements offensants. Imposer des quotas aux demandes de visas pour nos voisins les plus proches au Maghreb est méprisant en plus d’être contre performant. Hélas, le mal était fait. Quand il survient un tremblement de terre au Maroc, le comportement de la classe médiatique française a été d’une incroyable arrogance. Les journalistes n’ont pas pris la mesure de leurs responsabilités. Pourtant les capacités d’auto-organisation et d’entraide du peuple marocain devraient être une source d’inspiration considérable pour nous, qui sommes déjà confrontés à des drames climatiques intenses. Lorsque le Royaume a différé l’aide de la France, aucun média ni aucun politique n’a considéré que le Maroc étaient en mesure de s’en sortir seuls. Et cela aussi en organisant une entrée en scène graduelle et maitrisée de l’aide internationale. Tout cela s’est passé dans une séquence médiatique calamiteuse de règlements de compte politiques. Le jour du tremblement de terre, on a vu des articles offensants contre les autorités marocaines et même d’une manière très personnalisée contre le roi du Maroc. Il s’agit d’une désinvolture et d’un paternalisme néo colonial très actif dans la classe médiatique française. Qui le supporte ? Se rend-elle compte que la population marocaine lit, regarde la télévision et les réseaux sociaux ? Les soi-disant grands esprits français devraient se remettre en cause. Ils vivent coupés d’une vie commune et d’échanges pourtant déjà très actifs.
Lire la suite de l’interview ici : Jean-Luc Mélenchon : « A Gaza, il s’agit d’un génocide » (2/2)
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