Chroniques à Budapest : « Un air suffocant de Budapest à l’Ile-Saint-Denis »

 Chroniques à Budapest : « Un air suffocant de Budapest à l’Ile-Saint-Denis »

Cet immeuble situé à la cité Maurice Thorez a pris feu aujourd’hui. crédit photo Salah Dendoune.

Notre journaliste Nadir Dendoune est à Budapest en Hongrie pour couvrir les championnats du monde d’athlétisme. Il a appris aujourd’hui qu’un incendie avait causé la mort à trois personnes à la cité Maurice Thorez à l’Ile-Saint-Denis. L’immeuble qui a pris le feu est l’immeuble où il a grandi, juste en face où vit toujours sa mère.

Ce samedi, j’avais prévu des tas de trucs. Couvrir un championnat du monde d’athlétisme, surtout quand tu es à l’étranger, -en l’occurence, ici, à Budapest, en Hongrie, surtout quand tu travailles pour un petit média, où tu dois te démerder tout seul pour tout, le logement, la bouffe, les transports, n’est pas de tout repos. Il faut une concentration maximale et préparer des papiers à l’avance pour ne pas être débordé. A 10h ce matin, une amie d’enfance exilée dans le sud de la France a tenté de me joindre. J’étais déjà au stade. Elle a insisté et je n’ai pas répondu. Elle m’a envoyé une vidéo où je voyais au loin un incendie. Je voyais du feu mais je ne voyais pas le bâtiment. Je n’ai pas reconnu le lieu.

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Feu à la « Tour »

J’ai coupé mon téléphone pour être au calme et pour pouvoir écrire. Quand je l’ai rallumé une heure plus tard, ma messagerie était pleine. Le feu, l’incendie, avait lieu à la « Tour » de la cité Maurice Thorez, la plus haute de toutes, 12 étages, dans ce bloc à briques rouges, où j’ai grandi, dans cette immeuble de mon enfance, de mes premiers rêves, de mes premières bagarres. J’ai revu le 5e étage où j’habitais, le 6e, où vivaient les Paleau, le 9e avec les Zankifo, les Khediri, les Kitoune au 10, le 1er avec les Ouarti, les Cissé, le 2e les Amarouche, le 3e les Fernandez, le 7e avec les Yahiaoui, le 11e avec Yannick, le 12e avec Feu Laurent…

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« Ta mère va bien »

C’est comme si que le feu avait pénétré chez moi, dans mon intimité. J’ai appelé ma mère et son téléphone sonnait dans le vide. J’ai rappelé 10 fois. J’étais inquiet. Ma mère vit à la cité dans l’immeuble d’en face, à 10m sur l’Ile-Saint-Denis. Alors, je me suis imaginé les pires trucs. On s’imagine le pire quand on est loin. D’emblée, je m’en suis voulu d’être parti. De ne pas être auprès d’elle dans ce terrible moment. Je l’ai imaginée avoir peur, peut-être crier, je l’ai imaginée à son balcon en train d’apercevoir l’appartement du 9e étage se consumer. Je l’ai imaginée effrayée alors que la fillette de 13 ans sautait par la fenêtre. J’ai appelé mes soeurs et elles étaient injoignables aussi. J’en pouvais plus.

Et puis, une voisine m’a écrit : « Je suis passé voir ta mère, tout va bien ». Et puis, mon cousin Abdel m’a appelé : « Je suis passé à la cité, ta mère va bien ». Et puis, ma mère a répondu, ma nièce était à ses côtés. Elle avait réussi à forcer le barrage.

Les pompiers, la police et la moitié des médias de France était sur place. BFM faisait des directs, comme à chaque fait divers.

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Du mal à respirer à l’Ile-Saint-Denis et en Hongrie

J’ai respiré de nouveau malgré l’air suffocant de Budapest. Il fait très chaud ici et l’humidité y est très forte. C’était une accalmie de courte durée quand j’ai appris que trois personnes avaient trouvé la mort, dont S. que j’ai toujours connu. Un peu plus jeune que moi, je connais toute sa famille. Il y avait aussi le fils de S. parmi les victimes. J’ai appelé dix fois pour être certain qu’ils faisaient partie des victimes. Je ne voulais pas y croire. J’ai pensé à cet incendie qui avait lieu dans ce même immeuble il y a un peu plus d’un an. Des familles avaient été évacuées avant qu’elles puissent de nouveau réintégrer leur appartement. Aucune victime n’avait été à déplorer ce jour-là. Et aujourd’hui, le feu nous avait pris trois personnes.

J’ai suffoqué de nouveau et j’ai pensé à la famille des disparus. J’ai imaginé leur désespoir tandis que ma mère, ce que j’ai de plus précieux, était toujours vivante. J’ai voulu faire mes bagages et rentrer.

Et puis j’ai écris de nouveau. J’ai écrit car je ne sais pas quoi faire d’autre…

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