Ecologie : Sand to Green verdit le désert

 Ecologie : Sand to Green verdit le désert

L’équipe de Sand To Green (copyright Romane Labeyrie)

Après 3 ans de recherches et développement, la start-up franco-marocaine parvient à rendre rentable des plantations dans les zones arides et semi-arides. Avec une levée de fonds d’un million de dollars, ses solutions basées sur les principes de l’agroforesterie et du dessalement d’eau, pourraient bouleverser le futur de la sécurité alimentaire des pays désertiques.

Ceux ou celles qui ont voulu végétaliser le désert ressemblaient à des doux utopistes. Et pourtant, une start-up franco-marocaine, Sand to Green est sur le point de franchir le palier décisif d’une agriculture viable et résiliante en milieu désertique. Les fondateurs, Benjamin Rombaut, Gautier de Carcouët et Wisssal Ben Moussa, sont partis d’un constat simple : puiser dans les solutions de l’agriculture traditionnelle en y ajoutant une dose de modernité et d’ingéniosité.

Ils accompagnent aussi leur modèle de ferme du futur d’une complémentarité entre recettes et dépenses pour les agriculteurs, le tout en s’appuyant sur le dessalement d’eau. Implanté dans une zone semi-aride, le domaine Nzaha à Guelmim dans le sud du Maroc fait office d’oasis avec ses arbres endémiques et sa végétation diversifiée. Une réussite que l’on doit à Wissal Ben Moussa, la « magicienne » du désert mais aussi aux cofondateurs français qui suivent le projet de près et lui apportent financements et technologies.

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La « Madame Bio » de Guelmim

Pour tout le monde à Guelmim, Wissal Ben Moussa, c’était « Madame Bio », celle qui a quitté la grande ville pour venir tenter l’aventure agricole dans le sud marocain. Née de parents marrakchis, elle découvre très jeune ce qui n’est encore qu’un village. « Durant son service militaire, mon père est tombé amoureux de la ville et de la région, indique l’agricultrice. Passionné de chasse et de pêche, il est devenu le premier pharmacien à s’installer sur place. Il nous a transmis ce goût de la nature. »

Ayant vécu à Agadir et Guelmim, Wissal suit ensuite des études d’ingénieure en industries agro-alimentaires à l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II et à l’Agro Paris Tech. Un chemin qui va l’amener tout naturellement au sein de ce secteur clé au Maroc où elle travaillera notamment pour Unilever. « Mes études n’étaient pas orientées à devenir agronome. Je voulais développer des produits alimentaires en faisant de la recherche et développement pour offrir aux gens des bons produits. Je me suis rendu compte que l’industrie n’était pas forcément ce qui me correspondait. J’ai démissionné sur un coup de tête et me suis installé deux jours après sur un terrain familial à Guelmim en 2017. »

Se faisant « un point d’honneur » de vivre sur place, elle réaménage un vieil hangar et découvre la permaculture. Son verger et potager commencent à produire au bout d’un an. Elle vend ses légumes dans des restaurants et sur la côte. Puis en 2019, sa ferme commerciale connaît soudain un coup d’arrêt. « La sécheresse et le chergui continu ont été terribles. Sur les deux puits que je possédais, l’un s’est tari. Mon système n’était pas assez résilient. Pourtant autour du domaine, plusieurs arbres restaient verts et les cactus fournissaient encore des fruits ! Ca a été mes premiers pas dans l’agroforesterie.»

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« L’horreur » des champs à perte de vue

De son coté, Benjamin Rombaut fait partie de cette génération avide d’intervenir pour inverser la tendance du réchauffement climatique. Né en 1990 dans le Nord de la France, ce passionné de sports en extérieur se rend vite compte des drames de l’agriculture intensive. « Quand tu te ballades en dehors de Lille, tu te rends compte de ces kilomètres de champ sans un seul arbre. C’est horrible et dommageable pour l’environnement. On passe à côté du super pouvoir des arbres ! »

Diplômé d’une école de commerce, Benjamin travaille durant plusieurs années pour des entreprises multinationales et des start-ups dans le sport et l’innovation. Lors d’un passage à Montréal, il se trouve en décalage entre son travail et les valeurs qu’il souhaite défendre. « Je traversais le Canada jusqu’à Vancouver pour un rendez-vous d’une heure. Cela n’avait pas de sens. Je devais changer mes valeurs et comportements. Mes lectures sur le dessalement et le cycle de l’eau ont modifié ma vision.»

Avec Gautier de Carcouët, il rencontre Wissal Ben Moussa, par l’entremise du réseau Enactus en 2019. Les trois décident de lancer ensemble Sand to Green. « Wissal cultivait déjà à petite échelle. C’était un peu notre « magicienne ». Nous avons fondé l’entreprise avec des capitaux propres avec pour ambition de nourrir l’humanité tout en gardant à l’esprit le réchauffement climatique. »

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Un terrain de football de forêt perdu par seconde

Revoir l’agriculture comme un ensemble est sans doute la révolution qu’apporte l’agroforesterie. Ce regain d’intérêt provient aussi des déforestations importantes de notre planète. « On estime que l’on perd 13 millions d’hectares de forêt par an, soit l’équivalent d’un terrain de football par seconde, relève le CEO de Sand to Green. L’humanité ressent le besoin de trouver de nouvelles terres arables. Outre le CO2 produit par la déforestation, on tue la biodiversité et perturbe le cycle de l’eau.  Pour stopper la désertification, il faut d’autres systèmes d’agricultures, de ceux qui régénèrent la terre. »

Pour Benjamin, il est important de ne pas faire de la monoculture. Les plantes ont besoin de s’inscrire dans un monde plus large. « Il faut recréer de la symbiose entre les arbres, les plantes intermédiaires, le sol et le monde animal. Economiquement, c’est rentable. On obtient 30% de rendements supplémentaires avec la combinaison de ces différents espaces de cultures.»

Depuis deux ans, le domaine Nzaha a vu apparaître caroubiers, acacias, arganiers, grenadiers et figuiers. Ils poussent à vue d’œil protégeant du chergui et de la chaleur, les cultures maraichères. « Le système agro forestier a toujours existé depuis des siècles à travers le monde, explique Wissal Ben Moussa. L’un des exemples est l’oasis créé par l’homme autour d’une source d’eau et qui ne pourrait subsister sans lui. »

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Le coup de boost pour le sol

Pour les fondateurs de Sand to Green, il était important de cultiver des plantes endémiques. 90% des arbres sont d’origine marocaine. « Les plantes connaissent ces sols mieux que nous, affirme l’agricultrice. Un caroubier ou jujubier possède dans son ADN, la gestion des vents violents et chauds, les hausses de températures ou la salinité des sols. On a aussi testé le margousier (ou neem tree), venant des déserts d’Asie qui s’est bien adapté au climat marocain. »

Dans des zones arides ou semi arides, les précipitations sont faibles mais aussi l’évapotranspiration des arbres qui assure le transfert d’eau du sol et de la végétation vers l’atmosphère. « Il faut juste redonner un coup de boost à la nature. Sous les arbres, on cultive des plantes qui vont fixer l’azote comme la féverole ou la vesce. Cela va permettre d’aérer le sol et d’augmenter la capacité de récupération de l’eau. Les nodules contenus dans leurs racines sont des usines qui vont redonner vie dans le sol à des micro-organismes, bactéries et champignons. Avec ce coup de boost, la terre devient équilibrée en nutriments ! En dehors des terrains pollués ou trop salés, on peut régénérer n’importe quel sol. En Afrique, cela représente 80% des sols dégradés qui pourraient retrouver vie ! »

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La solution pour la saumure

Pour Sand to Green, le but n’est pas juste de faire de la lutte contre la désertification. La start-up souhaite que la solution soit viable économiquement parlant. Avec ses bureaux en France et au Maroc, elle a pu avoir accès à des financements mais aussi à des aides européennes pour l’environnement.

Après 3 ans de recherche et développement, la structure a pu effectuer une levée de fonds d’un million de dollars avec l’entrée de différents Business Angels et deux fonds VC (Katapult, Catalyst Fund). « L’agriculture au Maroc est déterminante, indique Benjamin Rombaut. Cela représente 15% du PIB et 40% des emplois. Or, 65% du territoire du Maroc est recouvert de désert et plus de 90% du royaume est situé en climat aride à semi-aride. Dans le grenier du Maroc, à Meknès par exemple, on comptait 1200 mm de pluie il y a 30 ans. Dorénavant, on est aux alentours de 300 ! »

Très rapidement, la solution passe par le dessalement de l’eau dans un premier temps avant d’irriguer de moins en moins, quand l’écosystème le permet. « On fait un forage cotier, qui permet d’avoir un pré filtre grâce aux couches du sol. Nos machines de dessalement marchent à l’énergie solaire. Certes, cela revient cher mais on le compense par la prime carbone et la diversification des revenus (arbres, cultures intercalaires, fourrages). Nos produits deviennent même compétitifs sur le marché ! » Pourtant, outre l’eau douce, il reste un résidu important dont on ne savait que faire par le passé : la saumure. « L’un de nos challenges est de pouvoir utiliser ce produit, explique Wissal Ben Moussa. La plupart du temps, on la déverse dans l’océan sans en connaître les conséquences. Nous essayons de la retraiter avec des plantes halophytes (adaptées aux sols salés, ndlr) et des algues qui peuvent être utilisés comme fourrages pour les animaux. »

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L’Afrique et l’Europe en ligne de mire

Après 3 ans de tests, le pari de Sand to Green de mettre en place des fermes du futur est en passe de devenir une solution pérenne. Les données récoltées par la start-up, ses tests et logiciels conviennent à des sociétés en quête d’investissements verts. « Nous souhaitons avoir un système de franchise pour une agriculture plus résiliante, indique le CEO. Notre implantation au Maroc est importante car c’est l’endroit parfait pour comprendre les zones arides et semi-arides. Cela peut servir l’Afrique où la croissance de la population nécessite une augmentation des capacités de production. De plus, il ne faut pas oublier que l’Europe est aussi affectée par la sécheresse comme en Espagne, Italie ou en France.»

Passionnée de surf et de randonnées en montagne, le challenge ne fait pas peur à Wissal Ben Moussa qui partage volontiers son savoir. Avec une association locale, elle a suivi une dizaine d’agriculteurs dont 6 avaient complètement arrêté leurs activités. Dorénavant autosuffisants en légumes, certains devraient recevoir sous peu leurs premiers fruits. Fini le temps où on la prenait pour la « folle » qui a quitté son bon boulot à Casablanca ! Cette montagnarde confirmée qui a déjà gravi le Toubkal et le Kilimandjaro, n’abandonne pas son envie d’aller de l’avant. « J’ai hâte que l’on reverdisse plus de désert. Ce n’est jamais simple d’arriver au sommet mais le voyage est tellement gratifiant, notamment humainement. Pour moi, le chemin pour y arriver est aussi excitant que l’objectif ! » Avec la ferme du futur de Sand to Green, reverdir le désert n’a jamais été si proche !