Marseille. « Allons-nous continuer à regarder nos jeunes s’entretuer ? », Laetitia Linon, membre d’un collectif de familles de victimes
La triple fusillade qui a fait trois morts à Marseille, dans la nuit de dimanche à lundi (3 avril) porte à quatorze le nombre de victimes de règlements de compte dans la cité phocéenne, depuis le début de l’année 2023. Un triste record. Jamais Marseille n’avait connu de début d’année aussi meurtrier. Des violences qui ont lieu dans les cités des quartiers nord, gangrenés par le trafic de drogue.
Laetitia Linon, membre du collectif des familles de victimes de règlements de compte et dont le neveu de 14 ans a été tué en 2021, dénonce l’inaction des pouvoirs publics.
LCDL : Etes-vous étonnée par les récents événements ?
Laetitia Linon : Je ne suis pas du tout étonnée par ces assassinats. Même si c’est la première fois que trois personnes sont abattues dans la même soirée, ces règlements de compte sont malheureusement fréquents dans les quartiers Nord de Marseille.
Pourquoi selon vous, ces règlements de compte sur fond de trafic de drogue ont lieu plus à Marseille qu’ailleurs ?
Ces assassinats se sont tellement banalisés à Marseille que les trafiquants de drogue éprouvent un sentiment de toute puissance. Ils savent qu’ils ont très peu de chance de se faire arrêter. Et puis, quand ils le sont, ils écopent de faibles peines parce que ce sont souvent de jeunes mineurs qui commettent ces délits.
Quand les pouvoirs publics disent qu’il n’y a pas de zones de non droits en France, ils mentent : à Marseille, dans certains quartiers nord de la ville, on te demande tes papiers avant de pouvoir entrer dans un immeuble ! Il y a des check-points tenus par des adolescents cagoulés qui vous demandent où vous habitez, qui vous êtes et d’où vous venez ! Ils agissent en toute impunité, aux yeux de tous !
Que faudrait-il faire pour arrêter cet engrenage meurtrier ?
Le problème est vaste. Et si quelqu’un avait une solution miracle, ça se saurait. La justice pourrait par exemple commencer par durcir les peines quand elle arrive à arrêter quelqu’un. Certains coupables continuent de mener une vie normale après avoir pourtant ôté la vie à quelqu’un. Parfois, victimes et bourreaux vivent dans le même quartier. Et ça, ce n’est pas normal.
Et puis, une partie du problème vient des problèmes sociaux qui ne sont toujours pas réglés dans les quartiers nord de Marseille. Il faudrait que les élus réinvestissent ces quartiers laissés depuis de trop nombreuses années à l’abandon. En plus de la violence, nous souffrons du chômage et les services publics y sont défaillants.
Lundi (3 avril), Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, a annoncé « le déploiement de forces de l’ordre supplémentaires dont la CRS 8, une unité spécialisée dans les violences urbaines afin de renforcer l’action résolue de la police ». Qu’en pensez-vous ?
Je ne vais pas vous dire que cela ne sert à rien mais que peuvent faire 200 hommes même avec la meilleure volonté du monde face à des milliers de jeunes déterminés ? Tous les quartiers nord de Marseille sont gangrenés par la drogue. La police démantèle un point de deal, un autre se reconstruit l’heure suivante. Pour moi, il faut légaliser le cannabis même si je sais qu’une telle loi si elle est votée et mise en place pourrait engendrer pas mal de violences après coup. Mais c’est le prix à payer si on veut mettre un terme à tous ces assassinats.
Avant la mort de mon neveu, je n’aurais jamais dit cela mais l’heure est trop grave. Il y a des mineurs qui sont enrôlés de force dans les trafics et ceux qui veulent en partir sont menacés de mort. Ce qui oblige parfois les juges à les incarcérer pour leur éviter qu’ils se fassent tuer. Allons-nous continuer à regarder nos jeunes s’entretuer ? L’immense majorité de ceux à Marseille qui tombent dans la délinquance le sont à cause de la drogue.
Justement votre neveu a été tué le 18 août 2021. Il avait 14 ans. Où en est l’enquête ?
J’aimerais rappeler que Rayane avait 14 ans et il n’était pas dans les trafics. Il était là au mauvais moment. Dans cette affaire, il n’y a toujours pas eu d’arrestation. Deux ans après sa mort, l’enquête est toujours en cours d’instruction.
J’appelle régulièrement la police et une de mes interlocutrices est très à l’écoute. C’est aussi une mère de famille et elle comprend notre chagrin. A chaque fois que je l’appelle, elle me dit qu’elle doit faire face à une autre affaire de meurtre. Avec peu de moyens, la police fait ce qu’elle peut.