Recul des libertés en Tunisie : gêne et retenue de la France

 Recul des libertés en Tunisie : gêne et retenue de la France

De nombreuses voix critiquent le manque de fermeté de la France face à l’évolution de la dérive autoritaire du président Saied en Tunisie.

Les défenseurs des droits de l’Homme critiquent la position timorée de la France à l’égard de la dérive autoritaire du président tunisien. Une diplomatie qui s’inscrit toutefois dans une longue tradition d’indulgence de Paris vis-à-vis de Tunis. Tradition à laquelle s’ajoute le contexte difficile pour la diplomatie française en Afrique.

Le 21 février, le chef d’État tunisien avait affirmé que la présence de « hordes » d’immigrés clandestins originaires d’Afrique subsaharienne était source de « violence et de crimes » et relevait d’une « entreprise criminelle » visant à « changer la composition démographique » du pays. Une sortie dénoncée comme xénophobe par de nombreux Tunisiens, mais applaudie par beaucoup d’autres. S’en est suivie une recrudescence d’agressions à leur encontre et des dizaines d’entre eux ont demandé à leurs ambassades à être rapatriés.

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Cette déclaration du président Saied sur les personnes migrantes arrivait après une série d’arrestations politiques dans une tentative du pouvoir de museler l’opposition. Quelques jours plus tard, le 24 février, la porte-parole du ministre français des Affaires étrangères a mollement réagi « aux récentes vagues d’arrestations en Tunisie », en exprimant « la préoccupation » de la France. Paris avait aussi appelé les autorités tunisiennes « à veiller au respect des libertés individuelles et des libertés publiques ».

 

Tradition d’accommodement avec les régimes africains

« La réaction de la France depuis la dérive autoritaire du président tunisien Kais Saied est très décevante », estime auprès de l’AFP Eric Goldstein, directeur adjoint de l’ONG Human Rights Watch (HRW), déplorant « des mots pesés ». Il rappelle d’ailleurs que l’ancien président Nicolas Sarkozy s’était ainsi montré « très rétif à critiquer la répression » sous l’ère Zine el-Abidine Ben Ali.

Pour Kamel Jendoubi, militant historique des droits de l’Homme et ancien ministre post-révolution, « c’est un silence gênant et assourdissant ». Cette attitude n’étonne pourtant pas les spécialistes tels que Vincent Geisser, chercheur au CNRS et spécialiste de la Tunisie.

À de rares exceptions, comme sous le gouvernement de l’ancien Premier ministre socialiste Lionel Jospin, « la France a toujours été très précautionneuse et a toujours prôné une forme de modération, avec des critiques très voilées » vis-à-vis du régime tunisien, « quel qu’il soit », souligne-t-il.

 

Silence de Paris face à la politique liberticide de Kais Saied

Chercheurs et défenseurs des droits humains soulignent que la réaction française reste insuffisante face aux arrestations arbitraires, à la fin de l’indépendance judiciaire ou encore des lois liberticides. Une dérive dangereuse que vient compléter la récente annonce de la dissolution des conseils municipaux, l’un des derniers acquis encore fonctionnels de la révolution.

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« Les déclarations de la France sont loin d’être à la hauteur de cette crise », estime M. Goldstein de HRW. Il exhorte Paris à se positionner clairement du côté des pays défendant les droits de l’Homme et à cesser de « prétexter » ne pouvoir agir en raison de son histoire « d’ancien pouvoir colonial ».

Selon Kamel Jendoubi, le Quai d’Orsay « au plus haut niveau fait son travail » en signalant à l’Élysée « les évolutions inquiétantes de la Tunisie ». « Mais rien n’en sort, si ce n’est un langage très mesuré », regrette-t-il. Il se dit convaincu que « dans l’analyse » du président français Emmanuel Macron, Kais Saied « a fait ce qu’aucun autre dirigeant n’a fait », à savoir « neutraliser l’islam politique », ce qui lui confère « une sorte de reconnaissance politique ».

 

Garde-frontière de l’Europe

Pour Khadija Finan, politologue spécialiste du Maghreb, la position de la France doit surtout être analysée à l’aune des questions migratoires. Certains pays, comme la France et l’Italie, s’appuient sur Kais Saied pour contrôler le phénomène migratoire.

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« On a beaucoup mis l’accent sur le racisme, mais pas suffisamment sur les politiques implicites d’externalisation du contrôle des flux migratoires », souligne la politologue, notant les aides et les formations « de l’administration, des gardes-côtes, d’une partie de la gendarmerie » pour faire de la rétention.

« De manière maladroite », le président tunisien a ainsi agi en réponse aux demandes des pays membres de l’Union européenne, opine-t-elle. Parallèlement, sa politique dénoncée comme xénophobe a trouvé un écho dans « un racisme latent » dans des franges de la population tunisienne qui subissent de plein fouet la crise économique.

 

Crainte d’une perte d’influence dans la région

La France est « gênée » par les déclarations racistes et xénophobes, reprend Vincent Geisser. « En même temps, elle n’est pas complètement opposée à cette orientation très sécuritaire sur les flux migratoires », observe le chercheur.

Mais au-delà, du phénomène migratoire, la France, qui est « en délicatesse avec le Maroc » et dont les relations sont « très variables » avec l’Algérie, essaie tant bien que mal de conserver de bonnes relations avec la Tunisie, opine-t-il enfin.

D’autant plus que l’influence de Paris est en net recul dans le reste de l’Afrique francophone. En forgeant de nouvelles alliances avec Moscou, Pékin ou Ankara, certains dirigeants africains n’hésitent plus à hausser le ton vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale, voire à couper les ponts ou à exiger le retrait des soldats français de leurs territoires.