« Il n’y a pas de volonté chez la population subsaharienne de changer la population tunisienne », Hosni Maati avocat de l’association des Ivoiriens de Tunisie
Hosni Maati, avocat au barreau de Paris, assiste l’association des Ivoiriens de Tunisie. Il revient pour le Courrier de l’Atlas sur les derniers propos polémiques du président Kaïs Saïed. Le 21 février dernier, lors d’une réunion du Conseil de sécurité nationale, le chef d’Etat tunisien a eu des mots très durs à l’égard des migrants d’Afrique subsaharienne. Selon lui, ils seraient responsables « de violences et de crimes », à travers le pays. Pire, Kaïs Saïed est allé jusqu’à accuser « les immigrés illégaux d’Afrique subsaharienne » de « modifier la composition démographique de la Tunisie » afin d’en faire « un pays africain ». Un discours « très dangereux », selon Hosni Maati.
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LCDL : Avez-vous été surpris par les déclarations du président tunisien ?
Hosni Maati : Bien entendu. A aucun moment, nous nous attendions à de tels propos. Rien ne laissait présager à ce qu’il tienne un tel discours C’est d’ailleurs la première fois qu’il parle ainsi des migrants subsahariens. Bien sûr, Kaïs Saïed est dans son droit le plus strict quand il rappelle la loi, à savoir que chaque immigré en situation irrégulière a vocation à quitter le territoire, mais il n’y a pas de volonté chez la population subsaharienne de changer la population tunisienne. En France, Eric Zemmour multi-condamné pour incitation à la haine a applaudi ses propos, c’est forcément un mauvais signe…
Comment ces propos ont-ils été perçus par la communauté ivoirienne que vous représentez ?
Assez mal, comme vous pouvez l’imaginer. C’est la peur qui domine aujourd’hui. Ils ont peur de se faire agresser. De tels propos peuvent pousser certains racistes à passer à l’acte. Je représente certains Subsahariens qui sont en situation irrégulière. Aujourd’hui, il se retrouvent avec des injonctions contradictoires : on les somme de quitter le territoire, mais on ne leur laisse pas le temps d’organiser leur retour. Il y a des familles qui ont été expulsées manu militari par leur bailleur de chez elle en pleine nuit. Il y a même des étudiants en situation régulière qui ont fait objet de garde à vue et certains, même d’incarcération avant d’être heureusement libérés.
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Que comptent faire les migrants subsahariens ?
Aujourd’hui, une grande majorité des personnes avec lesquelles je discute veut rentrer au pays. Même des étudiants en situation régulière désirent quitter la Tunisie, parce qu’ils ne se sentent plus en sécurité. Plutôt que des propos qui visent à alimenter la haine, ils attendent des gestes forts de la part de l’Etat en matière de sécurité. Les ambassades du Mali, du Congo, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée et d’autres pays africains proposent un rapatriement à leurs ressortissants en situation irrégulière. De ce que j’en sais, ils demandent également des patrouilles dans les quartiers où résident leurs ressortissants.
Encore une fois, et je tiens à le répéter : le président, gardien de la souveraineté de la Tunisie a parfaitement le droit de décider qui a le droit d’entrer et de sortir du territoire national, mais il en va de l’intérêt du pays de faciliter la compréhension et la lisibilité de la loi dans le respect de la dignité des Tunisiens et des Subsahariens.
La Tunisie est-elle submergée par une vague migratoire comme le prétend le président tunisien ?
Il y a des chiffres qui circulent et qui sont bien entendu très loin de la réalité. Il y a beaucoup de fantasmes à ce sujet. D’ailleurs, l’administration tunisienne se garde bien de donner des chiffres qui pourraient corroborer une quelconque invasion de la Tunisie par des Subsahariens…
Il faut ajouter que pas mal de Tunisiens éprouvent de la peur en voyant leur pays se vider de sa jeunesse. 90% de la jeunesse tunisienne rêve d’Europe. Et ils imaginent à tort qu’il y a une corrélation entre le fait que leurs jeunes partent et que les Subsahariens arrivent…
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Les propos du président tunisien ont-ils indigné la population tunisienne ?
Oui, bien sûr. Il y a énormément de Tunisiens qui ont été indignés par ces propos. La société civile, les organisations de défense de droits de l’homme, les partis de gauche, ont tout de suite condamné et ont organisé des rassemblements pour témoigner de leur solidarité envers les migrants subsahariens. Les journalistes ont fait également leur part en relayant les initiatives. Il y a aussi de nombreux Tunisiens lambdas qui ont montré leur désapprobation.
Et puis, il y a également une peur qui s’installe de plus en plus chez certains Tunisiens, conscients que la loi punit sévèrement celles et ceux qui emploient et hébergent une personne en situation irrégulière. Ils risquent une peine de prison et une lourde amende. Je suis donc assez pessimiste pour la suite.