Tunisie. Une plateforme de « conseil divorce » contrainte de retirer sa campagne pub
« Divorcez en trois étapes ! ». Une plateforme électronique proposant « d’accompagner » les époux désireux de divorcer suscite une polémique en Tunisie où elle est accusée par des associations et des internautes d’encourager les couples mariés à se séparer.
« Nul besoin de les y inciter, le divorce bat déjà son plein ! », commente-t-on ironiquement sur les réseaux sociaux dans un pays où l’industrie du divorce tourne à plein régime. C’est de cette opportunité non plus conjoncturelle mais structurelle que le site « Tala9.com » (divorce.com) souhaite se saisir, à la manière des firmes d’avocats dans les pays anglo-saxons mais aussi plus récemment latins, où le business ne s’embarrasse d’aucun complexe.
Le divorce fast food au bout du clic
Voilà une semaine que des affiches publicitaires géantes vantent sont apparues dans les rues de la capitale Tunis les services de la start-up de conseil juridique, avec comme slogan un brin provocateur : « Divorcez, à vous la décision, à nous les démarches administratives ». Sur sa page d’accueil, Tala9 se présente comme « le premier site tunisien qui vous soutient dans votre décision », contre un tarif de départ la modique somme de 1.200 dinars (375 euros) et « sans frais cachés », promet-on. Face à la polémique le site a néanmoins rajouté une précision sous son slogan : « Nous n’encourageons pas les gens à divorcer, mais si vous avez pris votre décision, nous vous soutiendrons ». Mention suivie d’un accueillant « Commencer la procédure ».
« Divorcez en trois étapes », détaille ensuite le site : « Dès que vous avez pris votre décision, des spécialistes sont disponibles pour répondre à vos questions à chaque étape du processus de divorce », peut-on y lire entre deux illustrations affichant des robes d’avocat.
Plus loin, on explique ce qu’est le « silent divorce« , le tout est agrémenté de quelques extraits de témoignages présumés d’utilisateurs satisfaits : une femme qui aurait transcendé l’opprobre social du divorce, un couple qui raconte « l’enfer » de ses 5 dernières années de mariage avant d’avoir sauté le pas et remercié l’équipe du site, etc. Si la campagne d’affichage suscite tant la curiosité que l’indifférence, nombreux sont ceux qui l’accusent de mettre en péril la cohésion familiale et d’encourager le divorce.
Plainte de l’Ordre des avocats tunisiens
Hier lundi, l’Ordre des avocats a annoncé par la voix de son bâtonnier Hatem Mziou avoir engagé des poursuites judiciaires contre la plateforme qui selon lui « menace de faire imploser des familles et de compromettre leurs données personnelles ».
Les services offerts constituent selon lui « une escroquerie et une usurpation de la qualité d’avocat » sous l’appellation « spécialistes », a-t-il déploré. Dans une déclaration accordée à la radio nationale, la maire de Tunis, Souad Abderrahim (Ennahdha), affirme aujourd’hui avoir sommé la start-up de retirer ses affiches publicitaires dans un délai de deux semaines, faute de quoi elles seraient ôtées par les services municipaux. En cause, non pas un impératif moral que procédurier : la loi interdit en effet aux avocats de faire de la publicité autour de leur activité. Qu’importe, la firme a d’ores et déjà réussi son coup de buzz : le bad buzz n’existe pas en la matière, et toute pub est bonne à prendre.
Selon les derniers recensements remontant à avril dernier, la Tunisie, un pays d’environ 12 millions d’habitants, avait enregistré quelques 13 mille cas de divorce en 2021. Le nombre record de cas de divorce avait été cependant atteint en 2018, avec 16.750 cas, selon les chiffres publiés par l’Institut national de la Statistique. Le Code du statut personnel, promulgué en 1956 par le premier président Habib Bourguiba, a aboli la polygamie, interdit la répudiation et institué le divorce judiciaire en Tunisie.
Sur la toile, certains s’offusquent de ce qu’ils considèrent être un sabotage méthodique de toute idée originale entreprenariat
Une institution en perte de vitesse
Mais la baisse ostensible des cas de divorce est en réalité proportionnelle à la baisse record des contrats de mariage ces six dernières années dans le pays.
Selon le bulletin annuel de statistiques (INS), le nombre de mariages a ainsi enregistré une baisse remarquable entre 2015 et 2021. Les contrats de mariages sont en effet passés de près de 109 000 en 2015, à un peu moins de 72 000 en 2021, selon l’INS, soit une baisse de 34%, avec un plus bas à 65 mille mariages en 2020, année du Covid-19, et un plus haut en 2016, avec 198 125 contrats.
Cette baisse du nombre de contrats de mariage a été suivie par une baisse du nombre des naissances durant la période allant de 2015 à 2021, avec un taux de diminution estimé à -27%.
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