Tunisie. Une nouvelle loi ultra répressive contre la désinformation

 Tunisie. Une nouvelle loi ultra répressive contre la désinformation

Kais Saïed brandissant une photo du désordre parlementaire pour justifier la dissolution de l’Assemblée

Le président Kais Saïed a promulgué vendredi 16 septembre un décret-loi relatif à la cybercriminalité introduisant une peine de prison de 5 ans et une lourde amende à l’encontre de toute personne répandant des « rumeurs » ou de la « désinformation » sur la toile.

Publié dans le Journal officiel (Jort), le texte prévoit une peine de prison ferme de cinq années ainsi qu’une amende de 50.000 dinars tunisiens (environ 16.000 euros) pour tout individu « qui utilise délibérément les réseaux de communication et les systèmes d’information pour produire, promouvoir, publier ou envoyer des fausses informations ou des rumeurs mensongères ».

Ce décret entend cibler en théorie les personnes qui répandent de telles fake news afin de « porter atteinte aux droits d’autrui, à l’ordre public, ou encore à la défense nationale ou pour semer la panique au sein de la population ». Cependant, la peine prévue est « doublée » en cas d’intox visant des responsables de l’État, selon le décret.

Aussitôt publié, de nombreuses voix se sont élevées pour critiquer le texte, estimant qu’il pourrait aisément être instrumentalisé par le pouvoir de sorte de museler la presse ou faire taire les voix dissidentes. Plusieurs ONG locales et internationales déplorent la régression rampante des libertés en Tunisie depuis que le président Saïed s’est arrogé les pleins pouvoirs le 25 juillet 2021. Parmi elles, le Syndicat national des journalistes (SNJT) qui met en garde contre les « menaces sérieuses » pesant sur la liberté de la presse dans le pays.

 

Le Palais de Carthage lui-même accusé de désinformation chronique

Non seulement le caractère subjectif de l’appréciation d’une « intox mettant en péril l’ordre public » ouvre la voie à toutes sortes de dérives, mais le Palais lui-même constitue une source régulièrement pointée du doigt en Tunisie pour propagation des fake news les plus ubuesques. Ainsi l’opposition tout comme de nombreux internautes ont-ils rassemblé un florilège des intox avérées émises par Carthage depuis l’arrivée de Kais Saïed et de son équipe au Palais. Des intox dont certaines remontent à l’avant coup de force du 25 juillet 2021.

Il y a en effet eu dès août 2020 les rumeurs de tentative d’empoisonnement à la baguette de pain, que la communication de la présidence de la République avait utilisé à son avantage pour mettre en scène le président Saïed achetant sa baguette de pain comme un citoyen ordinaire. S’en était suivi l’énorme tapage issu de la page officielle de la présidence autour d’une tentative d’empoisonnement au courrier piégé par une substance présumée toxique. L’expertise ordonnée par le Parquet avait conclu en l’inexistence d’une telle substance. Quelques mois plus tard, la destinataire du courrier, la cheffe du cabinet présidentiel, avait été brutalement limogée.

Dans l’article « Tunnel menant à la Résidence de France : genèse d’une fake news », nous revenions sur une autre énième intrigue démystifiée par les spécialistes, aujourd’hui encore source de moqueries de la toile. Le président avait alors tenu à faire le déplacement pour constater en personne un trou d’1m50 de profondeur, creusé dans une habitation. Un dispositif artisanal présenté comme la première étape d’un projet d’accès à l’enceinte de la Résidence de France.

Dans « Fact-checking: Y a-t-il eu 1,8 million de Tunisiens dans la rue le 3 octobre ? », nous revenions sur l’incroyable affirmation du président Saïed, selon laquelle une marée humaine d’1,8 million de Tunisiens avaient manifesté en sa faveur en octobre 2021. Un chiffre qui ne dépassait pas en réalité les 5 mille personnes. Plus généralement, la communication du Palais s’est rendue célèbre pour ses approximations quant aux chiffres et aux sommes d’argent supposément détenues par les grandes fortunes suspectées de corruption. Autant de bévues qui font dire aux détracteurs du texte de décret présidentiel anti intox que « charité bien ordonnée commence par soi-même ».

 

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