Naïm : « Je construis l’humour un peu comme des maths »
En septembre, l’humoriste Naïm sera de retour sur les planches parisiennes au Grand Point-Virgule, avec son spectacle corrosif « Cauchy Schwarz ». Avec ses punchlines bien senties, il adore se moquer de l’actualité avec pertinence. Interview.
Pourquoi avez-vous nommé votre spectacle avec ce titre énigmatique, Cauchy Schwarz ?
Il désigne une inégalité mathématique. Je voulais un titre intrigant. Comme disait mon père, plutôt que de donner la becquée, j’aime l’idée de se débrouiller, de chercher à comprendre par soi-même. Cauchy Schwarz Interpelle ceux qui ne connaissent pas ce théorème, ainsi que les matheux, qui se demandent quel est le lien avec un spectacle d’humour !
Avez-vous tiré des enseignements de vos études scientifiques – maths sup, école d’ingénieurs – pour nourrir votre art comique ?
Oui, notamment l’abnégation dans le travail. En Classe préparatoire, comme le niveau est très dur et très exigeant, j’ai compris qu’il existe toujours une marge de progression. C’est resté en moi. Je n’ai pas peur de travailler, de rester des heures à mon bureau pour créer, bosser la production, la communication.
Et j’ai appris que la correction fait progresser. C’est naturel dans l’humour, lequel dépend du public. Avec l’expérience, j’arrive à savoir quelle vanne va marcher. Parfois, je me trompe, alors je la réécris. Ça peut sembler étrange, mais je construis l’humour un peu comme des maths.
Comment travaillez-vous votre “muscle du rire” au quotidien ?
C’est une recherche permanente – au petit-déjeuner, quand j’accompagne mes enfants à l’école, au lit, quand une idée me réveille la nuit, ou pendant cette interview. Ensuite, lors de phases de travail plus intenses, je m’installe à mon bureau pour écrire des blagues. Ça peut venir vite comme ça peut être très long. Je ne crois pas trop à l’inspiration. Plus tu restes à ta table, plus tu as de chances de trouver ce que tu cherches.
Le rire est-il une obsession dans votre vie, à toujours tourner les choses en dérision ?
Pendant longtemps, l’humour était une barrière pour cacher mes émotions. Dans les moments de gêne, de tristesse, ou de tendresse que je ne voulais pas assumer, je balançais des vannes en vue de dédramatiser, de désamorcer.
Avec l’âge et la professionnalisation, j’ai compris que je fonctionne ainsi. C’est le mécanisme psychologique des humoristes, débusquer l’angle drôle dans chaque événement. C’est d’autant plus vrai pour les sujets tristes. Sur scène, j’essaie de me rendre utile.
Les gens entendent parler de politique, de guerre ou de Covid à travers un seul point de vue : l’angoisse, la peur, le malheur, la tristesse … Amener le rire sur ces thèmes graves est gratifiant. Les retours des spectateurs en témoignent. C’est bénéfique pour eux aussi.
Beaucoup de choses m’énervent et m’ennuient. Comme cette expression “faire barrage” lors de l’élection présidentielle, comme si nous n’étions plus des citoyens mais des castors ! J’ai la chance de faire ma catharsis sur scène et j’en profite.
Vous abordez aussi l’univers du couple. Le ressort comique repose-t-il notamment sur les différences entre hommes et femmes ?
Rire de ces différences est un thème rebattu. Ici, j’utilise le couple comme une métaphore filée pour expliquer l’importance de se corriger. Dans la vie, on est souvent noté, à l’école, dans la société, d’autant plus aujourd’hui, avec les évaluations sur les services, les restaurants, etc. Mais on n’est pas suffisamment corrigé. C’est presque tabou.
On te donne ta note au baccalauréat, déterminante pour la suite de ton parcours, mais pas la correction. C’est dommage. Et ce principe se répercute dans la vie personnelle. On dit à nos enfants “ce n’est pas bien !”, mais on ne leur explique pas pourquoi.
Concernant le couple, pour illustrer mon propos, je pars d’une situation concrète, que chacun expérimente : le sexe, lequel détermine la durée d’une relation, à mon sens. Si on s’expliquait en vue de s’améliorer, de se corriger, la sexualité serait plus épanouie. Le ressort comique, ici, est de parler du couple sous cet angle inhabituel.
Vous ironisez sur le fait d’être franco-algérien : une identité qui existerait seulement en théorie, d’après vous …
Nous vivons dans un monde très conformiste, hélas. Les autres ont besoin de nous ranger dans une case, et nous-mêmes avons besoin de nous y mettre. La catégorie “franco-algérien” n’existe pas encore, tout comme celle de “juif-allemand”. Donc les uns se réfugient derrière l’identité algérienne, les autres la française.
J’ai grandi en Algérie jusqu’à l’âge de 10 ans, avant d’arriver en France. Je me suis toujours senti chez moi à la fois partout et nulle part. J’habitais en banlieue, mais j’allais à l’école en ville chez les “bourgeois”. J’ai vécu entre les deux, avec des potes “banlieusards” et des “bon chic bon genre”. Cela rend sans doute mon propos plus universel.
J’ai la chance de réunir des publics très divers dans ma salle. Le stand-up est l’un des rares endroits qui rassemble ainsi. On parle du vivre-ensemble pour la bienséance, mais j’ai l’impression que les gens veulent de moins en moins aller dans ce sens. Les résultats éclatés des élections présidentielles l’ont prouvé. Chacun se replie, voudrait que l’autre vive selon ses règles à lui. Je suis un pessimiste utopique : ça ne va pas s’arranger, mais il faut faire avec !
Vous ne faites plus de sketchs à la télévision, où vous vous êtes fait connaître. Vous trouvez plus de liberté sur scène et sur la Toile ?
Internet donne une grande opportunité pour diffuser notre travail, même s’il y a des publicités et que, parfois, des vidéos sont supprimées. La vraie liberté, c’est la scène. A la télévision, comme dans toute entreprise, tu as affaire à ton N+1 (responsable hiérarchique, ndlr).
Si ta tête ne lui revient pas, il te mettra des bâtons dans les roues. Tandis que sur le Web et au théâtre, tu as affaire à un groupe de spectateurs, d’internautes, quelque chose de plus haut qu’un ego. Si j’ai refusé de devenir ingénieur, d’être sous les ordres d’un supérieur, ce n’est pas un hasard. On m’a toujours fait sentir que je n’étais à ma place nulle part.
Désormais, la liberté, l’anti-conformisme, c’est une marche à suivre. Je veux toujours faire différemment.
Propos recueillis par Astrid Krivian
CAUCHY SCHWARZ à 21h30, les vendredis et samedis au Grand Point-Virgule, 8 bis, rue de l’Arrivée, Paris XVe. Crédit photo : Raphaël Liot