Maroc. Mensonges, hypocrisie et religion
Peaux de mouton jetées par les balcons, des feux de camp à même l’asphalte pour brûler les poils de têtes d’ovins, et cerise sur le gâteau, tout un pays paralysé pour une semaine au minimum et un mois au maximum pour certains corps de métier. Avec à la clé, un réveil brutal pour les prolétaires qui ont contracté des prêts pour acheter ce fameux bélier qui leur a permis de ne pas perdre la face devant les voisins. Voilà pour l’Aid Al Adha , une fête religieuse, qui n’a plus rien de religieux, un évènement pourtant sans caractère obligatoire, un sacrifice étroitement lié au rite du pèlerinage à La Mecque et qui n’a jamais été interprété comme une obligation canonique chez les premiers musulmans mais dont les petites gens ne peuvent plus se passer.
Qu’y a-t-il encore de religieux dans le dépeçage de ce mouton pour l’Aïd , où est-elle cette communion avec la communauté de foi des croyants ? où est cette soumission ( c’est le sens du mot Islam) à un idéal de perfection qui impose des règles et des lois auxquels les hommes acceptent de se soumettre pour garantir la justice pour tous et une morale collective.
L’observateur étranger remarquera qu’il y a une religiosité informelle à grand renfort de manifestations sensibles traditionnelles : les masses populaires restent attachées à une tradition et une filiation spirituelle, mais essentiellement dans ses aspects festifs , l’individualisme contemporain ne faisant pas bon ménage avec les valeurs religieuses ( ou pas) qui insistent sur la solidarité de tous avec tout le monde. De toutes les façons, les choix spirituels de chacun n’ont plus rien à voir avec l’autre monde et sont orientés vers ce monde-ci. Le pire, c’est que toutes les manifestations du religieux, marquées par une ostentation exagérée n’ont plus rien à voir avec l’esprit de l’Islam et les gens n’ont pas peur de se vautrer dans des contradictions pourtant insoutenables. De là, à une dislocation du lien social, il n’y a qu’un pas , vite franchi et la modernité religieuse des uns n’empêche pas l’individualisation du croire qui a définitivement enterré ce besoin de partage si vanté par toutes les spiritualités. Une situation d’autant plus préoccupante qu’elle est accompagnée d’une explosion du droit à faire valoir son individualité dans la sphère publique. Incivisme, violences physiques et morales, comportements malhonnêtes et j’en passe ! On pourrait citer nombre d’attitudes de Marocains qui vont dans le sens de la transgression de la loi et de la foi « alors que l’ordre et l’ordre seul, fait en définitive la liberté. Le désordre fait la servitude » ( Charles Péguy)
Mesurer le respect des valeurs d’une population peut paraître étrange. Pourtant, sans disposer de statistiques sur ce sujet, plus ou moins tabou, force est de reconnaître que « le vivre ensemble » est constamment et de plus en plus malmené par nos concitoyens. En face, la démission de l’école, la mort des corps intermédiaires , partis et élus ont renoncé à leur rôle pédagogique alors que gouverner, c’est aussi prévoir, anticiper les actions des premiers sur les autres pour s’attacher au bien commun. On en reviendrait presque à regretter ces temps révolus où la trique était suspendue sur la tête de chaque marocain comme une épée de Damoclès qui pouvait tomber à n’importe quel moment et ce, sans motif logique. Et si finalement, c’était Emil Cioran qui avait raison ? Lui qui pensait que « Serf, ce peuple, bâtissait des cathédrales ; émancipé, il ne construit que des horreurs. »