Algérie : Quand la France utilisait des armes chimiques
On l’appelle la « guerre des grottes ». De 1956 à 1962, dans les montagnes de l’Aurès et du Djudjura, l’armée française a utilisé des armes chimiques pour combattre le FLN et l’ALN. Des historiens et journalistes demandent aux autorités françaises que les archives militaires sur le sujet soient ouvertes et consultables. Une question que nous abordons dans notre numéro d’Avril 2022 du magazine.
L’enquête de la journaliste, Claire Billet dans la revue XXI, fait froid dans le dos. Pendant plusieurs mois, elle a rencontré d’anciens militaires français qui ont accepté de raconter le recours aux gaz toxiques durant la guerre d’Algérie. Cela a conduit à ce qui s’appelle la « guerre des grottes« .
Cet épisode tragique de l’histoire de la guerre d’Algérie aurait commencé en 1956 jusqu’en 1962, selon l’historien Christophe Lafaye. En 1956, le commandant de la 10ème région militaire demande une étude sur l’utilisation des armes spéciales contre les militants de l’ALN et du FLN. Ceux-ci utilisent alors des grottes et des réseaux souterrains dans l’Aurès et le Djurdjura pour échapper aux forces coloniales. Ces grottes permettent aussi aux indépendantistes de garder les otages militaires français.
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Peu d’informations ont filtrées
Le processus est souvent le même. « On se sert de gaz toxiques pour pouvoir chasser les indépendantistes de leurs réduits souterrains, indique Christophe Lafaye. Ils pouvaient ensuite les faire prisonnier pour obtenir des renseignements. » Ainsi, selon un témoin qui a connu cette période de 1959 à 1961, ce sont 95 opérations menées et 200 algériens tués lors de ces opérations. Il faut aussi dire « de nombreux corps n’étaient pas sortis des grottes car difficiles à retirer. Les soldats pratiquaient alors le dynamitage de l’entrée de la grotte. »
« Cette « guerre des grottes » est un grand impensé de la guerre d’Algérie » pour l’historien. Si comme l’affirme Christophe Lafaye, « ces faits sont connus mais ils n’ont jamais été travaillés parce qu’ils renvoient à une mémoire traumatique, par un manque de sources (en dehors de témoignages d’anciens combattants) et d’archives cadenassées. »
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Des archives à ouvrir pour « un apaisement des mémoires »
Au siège de la Ligue des Droits de l’Homme, la journaliste et les historiens ont indiqué qu’il était possible d’écrire cette histoire. « Ce serait une action positive de l’histoire, affirme Christophe Lafaye. Les derniers témoins sont en train de disparaitre. De nombreux appelés en gardent une mémoire extrêmement traumatique. Ils ne voulaient pas en parler avant. »
Si les historiens peuvent se baser sur des témoignages d’anciens combattants, cela coince au niveau de certains archives. Christophe Lafaye indique faire la demande au Président Macron, « à prendre un décret qui permette l’ouverture de l’intégralité de ces fonds d’archives sur la guerre souterraine, qui sont au ministère des Armées et la levée des obstacles législatifs. »
Pour expliquer ces freins, l’historien évoque la peur de l’institution militaire ou la question taboue de l’utilisation des armes chimiques par la France. Rappelons que l’Hexagone a signé en 1993 à Paris, la convention interdisant la mise au point, la fabrication, le stockage ou l’emploi d’armes chimiques.