La liquidation de la Banque Franco Tunisienne signe la fin d’une époque
C’est une page historique qui se tourne avec la clôture hier 28 février du feuilleton judiciaire et financier de la Banque Franco Tunisienne (BFT), un dossier complexe de plusieurs décennies de contentieux.
Lundi matin, le personnel de la banque a été surpris de constater que des véhicules des forces de l’ordre étaient stationnées aux abords du siège, leur barrant l’accès à la banque.
L’institution placée en cessation de paiement
La Commission dite de résolution des litiges des banques et des établissements financiers en situation compromise a dans la foulée annoncé qu’elle a procédé à « la transmission d’un rapport au tribunal de première instance de Tunis pour rendre un jugement de dissolution et de liquidation de la BFT ». Une procédure suivie par la désignation d’un liquidateur, conformément aux dispositions de la loi n°2016-48 relative aux banques et établissements financiers, selon un communiqué publié lundi soir, par la Banque centrale de Tunisie (BCT).
Cette commission a en effet fait savoir qu’elle a « constaté la cessation de paiement de la BFT et l’impossibilité de son redressement ». Elle rappelle qu’elle avait nommé depuis fin 2018 un délégué à la résolution qui a été chargé d’exécuter un plan de résolution de la banque dont les difficultés financières depuis plusieurs années avaient impacté ses équilibres financiers et empêché le développement de son activité. En cause, l’impact direct du litige entre l’un de ses actionnaires, l’avocat d’affaires Abdelmajid Bouden, et l’Etat Tunisien depuis plus de trois décennies.
La BCT révèle pour sa part que « le passage au processus de liquidation n’interrompra pas les procédures de recouvrement des créances qui se poursuivront par le liquidateur par voie de droit ou à l’amiable sous le contrôle du tribunal, de sorte de maximiser le produit net de la liquidation et garantir le droit des créanciers de la BFT ».
Qu’en sera-t-il des dépôts des clients ?
La Banque des banques a par ailleurs tenu à rassurer les déposants de la BFT que le Fonds de garantie des dépôts bancaires (mécanisme institué par la loi bancaire comme filet de sécurité et entré en activité depuis 2018) procédera à leur indemnisation dans les délais légaux et dans la limite du plafond de 60 mille dinars pour chaque déposant.
« Pour les sommes dues au-delà de ce plafond, les déposants sont désintéressés à partir du produit net de la liquidation de la banque selon l’ordre des créanciers prévu par la loi bancaire », explicite la même source. Une clause qui pourrait être problématique pour des centaines de clients…
Se voulant manifestement rassurante, la BCT indique à destination du public et tous les agents économiques sur « la solidité financière du secteur bancaire et l’absence de tout impact de la dissolution de la BFT sur la stabilité financière vu le faible volume d’activité de la banque et de ses dépôts ». Mais ce n’est pas l’avis de l’expert Ezzedine Saïdane. Réagissant lundi soit à cette liquidation, l’économiste affirme que cette banqueroute vient ternir davantage encore l’image du pays auprès des instances internationales et des investisseurs. « Il s’agit de la première faillite d’un établissement bancaire de cette envergure en Tunisie. Cela aura un impact pour la STB, banque publique actionnaire de la BFT », regrette-t-il.
Quel sort pour les employés de la banque ?
La BCT a enfin fait savoir que s’agissant des employés de la banque « le gouvernement tunisien a entrepris les démarches nécessaires pour réemployer tous les agents en exercice à la date de la cessation de paiement de la BFT au sein des banques et établissements financiers tunisiens et que l’Association professionnelle tunisienne des banques et établissements financiers a répondu favorablement à ces démarches et s’est engagée à prendre ce dossier en charge ».
Gérée par l’Etat tunisien, la BFT a été pour rappel menée à sa faillite initialement en raison des pratiques de l’ancien régime de Ben Ali et de ses proches, selon les conclusions de la justice transitionnelle à ce sujet. Le dossier n’a jamais été pris suffisamment au sérieux par les gouvernements successifs depuis la révolution de 2011, notamment en raison de conflits d’intérêts et d’implication de divers hauts fonctionnaires de l’Etat.
L’Etat est poursuivi dans le cadre de cette affaire pour « spoliation par le fonds d’investissement ABCI Investment », un fonds basé aux Pays-Bas. La responsabilité de l’Etat tunisien dans l’affaire de la BFT avait été reconnue en 2017. Depuis, les demandes de réexamen du dossier sont toutes restées sans suites. En août 2019, un notaire de Paris, au nom du groupe ABCI Investments qui revendique le contrôle de la BFT, avait procédé à la saisie conservatoire des actifs de la Société tunisienne de banque au siège français de la Tunisian Foreign Bank (TF Bank).
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