Dictature / Tunisie : L’UE examine des mesures de rétorsion macro-financières
Au moment où la cheffe du gouvernement, Najla Bouden, était en visite ce weekend à Brest en France, en délicate mission en marge du sommet One Ocean Summit, le Haut représentant de l’Union européenne s’est fendu d’une déclaration sans équivoque sur les intentions de l’UE.
Le Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, était en effet l’invité de l’émission « Internationales », samedi 12 février, sur TV5 Monde. Il y est revenu entre autres sur la « préoccupante situation en Tunisie » ainsi que la position de l’UE, mais aussi sa position personnelle : l’homme entend peser de tout son poids auprès des membres de l’UE suite aux derniers développements de la scène politique tunisienne où s’accélère à vitesse grand V le démantèlement un à un des acquis démocratiques. Et dans ce processus de démolition, le plus récent épisode en date, celui touchant à l’indépendance de la justice et des magistrats, passe mal.
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« Nous demandons vivement le retour à la normalité démocratique. Nous sommes certainement très préoccupés pour ces évènements et nous sommes en train de décider d’arrêter le déboursement des tranches d’aides macro-financières qui étaient prévues », révèle ainsi le chef de la diplomatie européenne.
« Ce n’est pas une sanction, tempère-t-il cependant. J’insiste que l’argent qui va directement aux citoyens va continuer à être déboursé, mais l’aide macro-financière, qui est assez importante, on est en train de discuter. Il y a des propositions sur la table et certains membres doivent décider, mais c’est ma proposition d’arrêter le déboursement progressif qui était prévu de cette aide en fonction de comment se développent les évènements », précise Josep Borrell en substance, visiblement soucieux d’expliquer le bien-fondé de cette future mesure de rétorsion, dirigée non pas contre les Tunisiens mais contre le régime en passe de verrouiller définitivement le pouvoir.
Répartition des rôles entre Carthage et la Kasbah
La rencontre l’été dernier entre le président Saïed et Borel n’aura donc pas suffit à rassurer ce dernier qui constate que les promesses du nouveau pouvoir font l’objet de voltes-faces grossières.
Pour rappel, l’annonce de la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) par le président de la République, Kaïs Saied, a poussé les ambassadeurs du G7 et de l’UE à exprimer leur « profonde préoccupation » dans un communiqué commun. Les chefs de mission des ambassades d’Allemagne, du Canada, des Etats-Unis d’Amérique, de France, d’Italie, du Japon, du Royaume-Uni, et de la Délégation de l’Union européenne en Tunisie ont condamné l’aspect unilatéral de cette annonce.
Un communiqué moqué dès le lendemain par Kais Saïed qui a affirmé, narquois, que « les ministres des affaires étrangères sont des gens toujours très préoccupés », et que « la situation de la justice en Tunisie n’avait pas préoccupé auparavant »
Le 11 février, le président Emmanuel Macron tenait une réunion avec un nombre restreint de chefs d’Etat et de gouvernement, dont Najla Bouden. Si plusieurs initiatives d’ordre écologique ont été lancées à cette occasion, nul n’est dupe quant au fait que le déplacement de Bouden revêt un caractère de lobbying économique au moment où le pays est en grande difficulté financière. La discrète visite à Tunis d’Emmanuel Moulin, chef du Trésor français, début février, avait à ce titre relancé les spéculations autour d’un éventuel recours au club de Paris.
Cette commode répartition des rôles n’a pas échappé à certains éditorialistes et humoristes nationaux qui ont dénoncé « une partition grotesque entre une présidence de la République souverainiste qui adresse des messages populistes flattant l’égo des moins éduqués, et une présidence du gouvernement envoyée en service commandé à l’étranger pour gagner les faveurs des bailleurs de fonds ». Une démagogie à première vue très peu subtile, mais qui montre son efficacité en Tunisie où les assauts répétés contre la démocratie intéressent finalement peu l’opinion et le commun des mortels, hormis les initiés et les élites.