Emmaüs Connect : 1 français sur 5 souffre de fracture numérique

 Emmaüs Connect : 1 français sur 5 souffre de fracture numérique

Iqlef, bénévole apprend à deux mères de famille à utiliser l’ordinateur à la plateforme Emmaüs Connect à Saint-Denis

Cliquer avec une souris, envoyer ou recevoir des e-mails, avoir accès à un ordinateur ou à Internet. Autant de tâches simples pour le quidam mais qui, dans le cas de 8 à 13 millions de Français, reviennent au parcours du combattant. Avec la digitalisation de tous les services publics, une exclusion supplémentaire voit le jour. Avec ses actions, Emmaüs Connect permet d’alléger ces difficultés. Reportage à leur antenne de Saint-Denis.

Au métro Basilique de Saint Denis (93), les magasins gris étiolés à l’achalandage coloré se suivent. Non loin de là, on propose des forfaits téléphoniques à tarifs imbattables. 6 euros pour un mobile+internet avec 5 Go de 4G, des téléphones à 10 euros et des smartphones à 50 euros.

Et pourtant, il ne s’agit pas d’une énième téléboutique. Bénéficiant d’un don de la Fondation SFR, Emmaüs Connect, une branche de l’association créée par l’Abbé Pierre, vient en aide à ceux qui souffrent de la fracture numérique. « Nous sommes face à un « phénomène » de société, où l’on retrouve des personnes n’ayant pas les compétences, le matériel nécessaire ou ayant des difficultés à avoir un accès à Internet régulièrement, indique le responsable du pôle formation, Benjamin Bittane. Outre leurs isolements, ces gens subissent des conséquences pour l’information, leurs droits ou agir avec tous les services publics qui se sont digitalisés avec le temps (Impôts, CAF, Pôle Emploi, etc..) »

A l’intérieur du local d’Emmaüs Connect, la responsable des opérations sur Saint-Denis, Marie Talhouarne s’agite pour répondre à toutes les demandes de formation en cours, les diagnostics à réaliser ou pour les conseils en téléphonie. « Après une prise de contact et une inscription, on peut connaître le niveau de nos bénéficiaires. Plusieurs solutions s’offrent alors à nous comme les ateliers pour des grands débutants (qui durent douze heures). On peut les orienter ensuite vers des permanences connectées où l’usager est aidé pendant une heure et demie pour des démarches administratives.»

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Des formations pour dompter l’informatique

En ce mardi matin d’été pluvieux, on entend dans une salle de formation, un cours d’initiation à la jungle digitale. A l’ordre du jour : des basiques de l’informatique (clavier, souris, envoi de mails, etc..). Autour du rétroprojecteur, un bénévole Iqlef et deux femmes d’une quarantaine d’années en train d’apprendre à consulter leur messagerie. « C’est la première fois que je me retrouve face à un clavier, indique Bassaly, une mère de 4 enfants. Dorénavant, j’en ai besoin et j’ai l’impression d’apprendre des choses. »

Egalement novice sur les ordinateurs mais un peu plus habituée aux smartphones et à ses applications récréatives (Whatsapp, Youtube), Louisa, mère de deux enfants espère qu’elle va pouvoir s’en sortir. « C’est important de maîtriser l’informatique pour la mairie, les déclarations mensuelles à la CAF, etc.. L’ère du papier est finie. Tout passe par les emails. Grâce à ses séances, j’ai l’impression de remporter une victoire à chaque envoi de mails (rires). »

Bénévole depuis Janvier, Iqlef explique ses manipulations avec toute la patience que cela requiert. « Je suis étudiant en psychologie. C’est la preuve que tout le monde peut donner des cours et de son temps. J’ai remarqué à quel point on galère si on n’a pas d’accès au numérique ou à l’informatique. Dorénavant, toutes les démarches se passent sur le net. »

Cet apport de bénévoles est nécessaire car il permet, après une petite formation, de permettre d’étendre le réseau de personnes aidées. « On adore les bénévoles dans notre association, relève Marie Talhouarne. Il n’y a pas besoin d’être professeur d’informatique. Ma mère, qui utilise son ordinateur depuis 10 ans peut aider ! »

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Une fracture numérique plus large que ce que l’on pense

Contrairement aux idées reçues, cette France déconnectée est plus large que les seniors qui n’auraient pas franchi le pas numérique. « C’est une population très hétérogène, indique Benjamin Bittane. Outre les exclus du digital, on retrouve des personnes atteintes d’handicap ou désocialisées, des migrants qui ne connaissent pas la langue ou bien des personnes qui établissent des liens sociaux (Whatsapp, Signal) ou récréatifs (Youtube) mais qui se retrouvent en difficulté face à des tâches plus administratives.»

S’appuyant sur le caractère récent d’un écosystème qui va très vite, le responsable de formation insiste aussi sur ces « métiers qui sont loin de l’univers numérique (agriculture, artisanat, femmes de ménages, agent de sécurité, etc..). De plus, tous les jeunes ne sont pas des geeks. Ils peuvent avoir des facilités avec leurs smartphones. Mais, dans leur recherche de travail, leurs mails peuvent souffrir du langage texto, de l’absence de phrase de remerciements, etc.. Cela a des conséquences pour leurs employabilités. »

Les bénéficiaires des actions Emmaüs sont souvent rapatriés par un réseau qui n’a rien de numérique. C’est l’action sociale (assistantes sociales, CCAS, Pole Emploi, associations, etc..) dans son ensemble qui redirige ceux qui en ont besoin. Cette proximité avec le terrain permet d’être au plus proche des populations concernées. En effet, la fracture numérique creuse un peu plus la fracture sociale déjà existante. « En 2014-2015, le défenseur des droits a constaté une augmentation du non-recours au droit du fait de la dématérialisation de certaines pratiques administratives, explique le responsable du pôle formation d’Emmaüs Connect. La bascule du papier à l’ordinateur a fait que certains ont délaissé leurs accès au droit. »

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La fracture numérique s’accentue en temps de Covid

Visant à aider les usagers en 360, l’association propose d’améliorer les compétences pré requises. Elle veut aussi réduire les freins psychologiques dont souffrent les personnes exclues du numérique. Et le Covid-19 n’a pas arrangé les choses dans de nombreuses familles. « Le confinement et l’utilisation de la visio a permis de se rendre compte à quel point c’était difficile pour certains d’avoir accès à un ordinateur, remarque Benjamin Bittane. L’Education Nationale, par exemple, a pu observer à quel point des parents n’ont pas le matériel ou les compétences nécessaires pour aider leurs enfants.»

Pour y faire face, Emmaüs Connect a participé pendant le 1er confinement à Connexion d’urgence. Outre des connexions gratuites, 15 000 ordinateurs et smartphones, récoltés auprès d’entreprises et reconditionnés, ont pu trouver acquéreur. Même si l’Etat fait beaucoup de choses (chèque numérique, maison France Services, etc..), la tâche reste aujourd’hui cruciale pour un Français sur 5. Les mesures de pass sanitaire qui font appel à un QR Code et à une application, vont creuser un peu plus la fracture sanitaire cette fois. Emmaüs Connect réfléchit à trouver des solutions pour expliquer et permettre d’y avoir accès.

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