Maroc – Société. Au pays des hurlements
« Hurlez, hurlez, toujours plus fort, braves gens, il en restera toujours quelque chose » ! Une fois, c’est un attelage sorti de je ne sais quel western spaghetti avec un personnage non moins mythique jonché sur une carriole traînée par un âne chétif dopé à coups de bâton, proposant des figues de barbarie. Une autre fois, c’est une camionnette chargée de melons mais cette fois-ci avec un haut-parleur sans âge qui répète à tue-tête un mantra à l’infini, une formule d’invitation à s’approvisionner en pastèques de Zagora en prévision d’un hypothétique reconfinement ? Le tout en début d’après-midi, exactement au moment sacré de la sieste.
Dans le détail, le triste individu, barbe de rigueur et absence absolue de sourire est secondé par un adolescent hilare qui, pour sa part, semble dopé aux psychotropes car il arbore un bonheur bien suspect au regard des passants.
Ce cortège n’aura pas complètement disparu que les marmots du quartier, vont sortir leurs pétards pour prévenir le voisinage que les restrictions de déplacement ne concernent pas les munitions qui annoncent une fête de l’Achoura avec déflagrations et fracas.
L’Achoura, une fête religieuse ? Les morveux n’en ont retenu que cette violence inouïe, ce funeste boucan, avec force explosions de pétards, de grands feux allumés sur d’énormes pneus dégageant une fumée noire toxique et la fameuse attaque à l’eau de javel des passants le matin de la fête.
Quant au barbu vociférant ses boniments, juché sur le dos de la pauvre bête, à voir son accoutrement, il est fort à parier que le personnage est un assidu de la mosquée wahhabite du bidonville périphérique. Sauf que l’imam en question n’a sûrement jamais dirigé la prière du soir avec le fameux verset de la sourate Luqman « baisse ta voix, car la plus détestable des voix, c’est bien le braiement des ânes » !
Nuisances sonores, vacarmes nocturnes, tapage, clameurs et tintamarre, qui dit mieux ? Socrate attribuait le mal à l’ignorance et Ovide écrivait dans Les Métamorphoses : « je désire quelque chose, et mon âme me pousse à une autre ; je vois le bien et je l’approuve mais je suis le pire ».
Un peu de vrai dans tout cela mais ces formules sont tempérées par l’adage de Hobbes : « l’homme est un loup pour l’homme », problématique d’un manque de civisme lui-même conséquence directe d’une violence rentrée dans les mœurs, marquée par l’extrémisme, la drogue, les trafics de toutes sortes, la perte de l’autorité, autant de menaces qui pèsent désormais sur la cohésion sociale.
Il est donc urgent de reconstruire le civisme et sa transmission notamment par un retour à « l’attachement à la cité » qui tienne compte de la complexité d’une société happée par les avatars du modernisme, par la dictature de l’instant, le poids de l’éphémère sans avoir su intégrer les bienfaits de la modernité.
Les modes intellectuelles qui ont déferlé sur le royaume avec l’idée de la déresponsabilisation à outrance où au nom de la justice, de la faiblesse structurelle des miséreux, on excuse tout, y compris les écarts et autres turpitudes des plus misérables d’entre eux.
Ces histoires de bruit tombent d’autant plus mal que partout dans le monde, la tendance est plutôt inverse. En effet, depuis le premier confinement, la demande de silence s’impose comme le nouveau Graal avec la mode des retraites silencieuses dans des sanctuaires « préservés du bruit des hommes », que ce soit des résidences spécialisées, mais également dans des séjours en monastère, et autres randonnées dont le maître mot est justement de s’interdire volontairement de prononcer le moindre mot.
Depuis, la mode du silence, le mode avion n’en finit plus de faire parler de lui faisant dire à Sylvain Tesson dans son livre « Dans les forêts de Sibérie » que « Le froid, le silence, la solitude sont des états qui se négocieront demain plus cher que l’or ».
Comment retrouver, cette liberté personnelle qui selon les mots de Tocqueville, nous donne « l’habitude de se diriger soi-même », mais en même temps nous permet de sauvegarder notre lien à l’autre.
Pourtant, même au Maroc, il fut un temps où l’art d’être Marocain faisait la part belle au discernement, à la prise en compte de la morale dans toute ligne de conduite, à la délicatesse dans les rapports, à la justice et justesse et au sens de la mesure.
L’usage du silence dans les pratiques familières de la maisonnée ou dans le recueillement, du « parler bas » dans les rapports au voisinage, de ce chuchotement qui masque les petitesses dues aux ragots ou à la médisance, ou encore le soin pris par chacun de panser les blessures du bruit en société.
En un mot : Une droiture reçue en héritage, par transmission, avec une fidélité sans faille aux valeurs des anciens dont le fameux respect des autres.
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