Edito – Diplomatie. Le Maroc n’est pas la poubelle de l’Europe
Si Hassan II nous a habitués aux affrontements feutrés, Mohammed VI pratique désormais une diplomatie offensive. Coup pour coup. C’est désormais dans le style du personnage : tout converge évidement entre les deux monarques, l’idéologie, le projet politique, les intérêts stratégiques du pays sauf la manière d’exercer le pouvoir et surtout la façon de mener la diplomatie.
Il y a aujourd’hui, intensément présente dans tous les vœux du chef de l’Etat, une trame évidente : l’idée que le poids du royaume, sa voix dans le concert des nations est bien une réalité ; que ce pays représente une permanence ; qu’il est aussi une attitude, un état d’esprit et une conception irréductible, celle d’un acteur majeur dans l’histoire du monde arabe si ce n’est dans le monde tout court. On en est ou on n’en est pas. C’est ainsi.
Ce « pôle régalien » de la diplomatie reste le pré carré du palais et c’est tant mieux parce qu’il est légitime de se poser la question pour savoir si nous avons assez d’hommes politiques capables de ne plus se laisser aller aux délices de la servitude (à l’occident) au détriment des servitudes de la grandeur du Maroc ?
Il est vrai qu’on revient de loin. Le chantage à la « Notre ami le roi » n’est plus opérationnel depuis que Catherine Graciet et Eric Laurent ont été pris la main dans le pot de confiture et au lieu de se remplir les poches, ils risquent désormais de passer par la case prison, les juges d’instruction parisiens ayant ordonné le procès pour « chantage » pour les deux journalistes.
Or, le changement de paradigme souhaité par le souverain est une question centrale qui se résume en la reconnaissance de la souveraineté du royaume sur tous ses territoires et un traitement d’égal à égal. Tant que cette question ne sera pas réglée, le grand malentendu reviendra régulièrement sur le devant de la scène, avec sa litanie de ruptures, de rappels d’ambassadeurs et pourquoi pas de crises majeures, car le Maroc n’est ni le gendarme ni la poubelle de l’Europe.
Même si l’élite occidentale aveuglée par ces clichés teintés de condescendance ne comprend pas le sens des réactions fermes du royaume à toute tentative de regarder le pays de haut. L’Allemagne de Merkel qui, sous prétexte de déverser quelques millions de marks à des ONG allemandes actives au Maroc, donneuses de leçons dont l’arrogance n’a d’égal que leur stupidité à endoctriner des individus à rentrer en dissidence contre leur propre pays ; la France qui use à satiété de son statut de partenaire privilégié pour exiger la part du lion dans les contrats signés dans le royaume ; et cerise sur le gâteau, une Espagne qui mène une guerre tous azimuts contre son voisin du sud en usant de procédés dignes des barbouzeries de l’Amérique du sud, n’hésitant pas à faire entrer sur son territoire un chef du Polisario sous une fausse identité !
Le futur du monde a radicalement tourné le dos à l’Europe et un pays émergent comme le Maroc aura bientôt la carrure d’une puissance régionale capable de disputer aux grandes puissances les marchés et les ressources rares du continent africain. L’accord de libre-échange signé entre le Maroc et les États-Unis d’Amérique en juin 2004 et la reconnaissance de la marocanité du Sahara en 2020 montrent que c’est Washington qui a le mieux saisi ces nouvelles réalités géopolitiques.
Cerise sur le gâteau, dans un secteur aussi stratégique que le renseignement, le royaume semble avoir damé le pion aux meilleurs spécialistes occidentaux de la question. La récente mise à nu des micmacs des services algériens et espagnols pour introduire en catimini dans un hôpital espagnol le mercenaire en chef des séparatistes et le démantèlement des cellules terroristes chargées de commettre des attentats sur le territoire marocain armées par Alger ou Téhéran (pour ne citer que ces deux-là) ne sont que la pointe de l’iceberg. Sur le plan de l’information stratégique à haute valeur ajoutée, le royaume n’a certainement pas à rougir.
Quel que soit le regard que l’on porte sur l’histoire des relations entre le royaume et l’Europe du dernier siècle, la réalité brutale qui saute au visage, c’est que l’Europe continue à voir le royaume à travers le prisme d’un pays autrefois sous tutelle. On se retrouve alors avec deux légitimités incompatibles : la première, celle des Européens, à leur tête l’Espagne et la France, fantasmée par les nostalgiques de l’occupation et celle du royaume qui veut sortir définitivement de l’impasse d’une relation de maître à esclave qui n’a plus de raison d’être, vu le changement des rapports de force.
Il y a pourtant urgence à revenir aux fondamentaux : il n’y aura pas de paix durable avec l’Europe sans respect de l’autre, sans partenariat win-win et surtout sans la mise à mort de cette dialectique du maître et de l’esclave. Le pacte colonial prend eau de toutes parts et les nostalgiques du franquisme en Espagne comme les derniers héritiers de la France de Vichy ou encore les usagers de la vulgate néonazie en Allemagne devraient revoir leur fondamentaux.
Le Maroc n’est pas un département d’outre-mer et les derniers anachronismes que sont Sebta et Mellilia (territoires marocains spoliés) ne sont qu’une question de temps, plus tôt que tard, ces deux villes reviendront à leur patrie d’origine. Quant au Sahara, la question ne se pose plus, et si certains de ses résidents indélicats cherchent bien à profiter d’une rente de situation, la plupart ont compris l’intérêt qu’il y avait à mettre tout dans le pot commun.
Face à ces nouvelles réalités, l’embarras des dirigeants occidentaux est profond mais, dans la mesure où il fait éclater en l’air le ghetto doctrinal, l’esprit de chapelle et la nostalgie du passé, le voilà qui redevient porteur d’espoir, l’espoir que le décès des idéologies coloniales soit définitivement acté.
D’ores et déjà l’évolution du monde est en train de démontrer que l’occupation des pays africains n’a été qu’une monstrueuse et injustifiable déviation marquée par le désir morbide de l’emporter sur l’autre. Lorsqu’on pense à tous les drames, à toutes les scissions et à tous les éclatements que le colonialisme a suscités dans les pays du Sud, cette question a aujourd’hui d’incalculables conséquences.
Si le Maroc s’est abstenu jusqu’à présent de demander des comptes aux anciens colons, c’est juste pour montrer que le royaume veut bien tourner la page, à condition qu’on arrête de lui chercher des poux dans la tête. Désormais, on rendra coup sur coup et pas question d’abandonner un seul pouce de notre territoire, que ce soit au sud du pays ou dans son extrême nord.
Si l’on ne peut présager de l’avenir, le présent montre en tout cas que jamais autant qu’aujourd’hui, les perspectives de nouveaux rapports n’ont été aussi complexes, mais jamais, en même temps, elles n’ont été aussi passionnantes et porteuses d’espérances.
La conclusion, c’est que, loin de fermer la porte à l’Europe, notre simple ambition est de l’aider à dépasser les anciens problèmes dans un contexte moderne. Et de lui apprendre qu’on peut toujours obtenir de gré à gré ce qu’on n’espère plus arracher par la force. N’est-ce pas Napoléon qui disait « il n’y a que deux puissances dans le monde, le sabre et l’esprit : à la longue, le sabre est toujours vaincu par l’esprit ».