Australie. Youcef Abdi, de champion d’athlétisme à star du football
En 1996, quand Youcef Abdi, jeune coureur algérien de 18 ans, foule pour la première fois le sol australien, il est loin d’imaginer la suite. 24 ans plus tard, après deux participations aux Jeux olympiques, quatre sélections aux championnats du monde d’athlétisme, le tout sous les couleurs australiennes, il vient de finir meilleur… joueur et buteur du championnat de football, dans la meilleure ligue des vétérans du pays ! Une reconversion étonnante et réussie. Le monde savait qu’il avait trois poumons, on sait désormais qu’il a deux pieds en velours.
Octobre 2020. Alors qu’on se dirige tout doucement vers une prolongation, les deux équipes sont à égalité, 2-2, Youcef Abdi, 43 ans, milieu de terrain du Coogee United, un club de football de la banlieue chic de Sydney, reçoit la balle au milieu de terrain.
Il dribble plusieurs personnes, arme son pied gauche et marque son 15è but de la saison. L’arbitre siffle alors la fin de la rencontre et le Coogee United remporte le championnat des vétérans. Une victoire de toute une équipe, mais la star du championnat, c’est lui.
« L’athlétisme, même si on a des partenaires d’entrainement, reste un sport individuel, démarre Youcef Abdi. En 20 ans de carrière, j’ai gagné beaucoup de courses, ça m’a procuré beaucoup de joie mais une fois revenu la maison, je me retrouvais seul. Aujourd’hui, quand je marque un but, quand on gagne un match, c’est un autre sentiment. On célèbre tous ensemble la victoire », continue-t-il les yeux qui brillent.
Youcef Abdi est footballeur. Il en rigole. Sur le papier, il est amateur, mais Youcef Abdi s’entraine comme un pro. Athlète un jour, athlète toujours ! Il vient une fois par semaine au club travailler la technique avec le coach et ses équipiers. Comme avant, comme quand il était athlète de haut niveau, il aime aussi s’entrainer tout seul. Cinq fois par semaine, il alterne les exercices physiques et les jeux balle au pied. « Quand il s’agit de sport, je suis très pointilleux », répète-t-il modestement. Le contraire nous aurait étonnés.
« Il ne suffisait pas d’être un bon joueur, il fallait surtout du piston… »
Youcef Abdi a commencé le sport très tôt. Il est né le 7 décembre 1977 dans un tout petit village kabyle à Aourir, à 1000m d’altitude, à quelques encablures de Yacouren. A l’âge de 6 ans, ses parents l’envoient en France, dans l’Essonne aux Ulis. A l’école primaire du quartier, il se retrouve dans la même classe d’un certain Thierry Henry, futur champion du monde avec les Bleus. Il reste en France jusqu’à ses onze ans puis repart en Kabylie. « J’ai vécu chez mes grands-parents en France. J’ai bien aimé cette période mais j’étais quand même heureux de revenir chez moi en Kabylie », avoue-t-il.
Comme tous les autres gamins de son village, il joue au foot mais « pas de manière organisée », précise-t-il. « A 14 ans, je suis allé passer la sélection à la JSK (NDLR : le plus célèbre club kabyle de foot). Je me souviens avoir plutôt bien joué, j’avais même planté un but. Malheureusement, ils ne m’ont pas pris. Mon père m’a dit qu’il ne suffisait pas d’être un bon joueur, il fallait surtout du piston », se marre Youcef.
Dégoûté, il arrête le football et se met à courir. Dès les premières compétitions, il est devant tout le monde. « J’ai très vite compris que j’étais doué pour ce sport, je gagnais toutes les courses à laquelle je participais ».
A 18 ans, en 1996, il est sélectionné avec l’équipe d’Algérie pour aller disputer les Championnats du monde juniors d’athlétisme qui ont lieu cette année-là à Sydney. C’est sa première rencontre avec l’Australie. Sur place, il rencontre les Français Mehdi Balaa et Bob Tahri. Nous sommes en août. « Dès que l’avion a atterri, j’ai adoré ce pays », avoue-t-il. Spécialiste sur 1500 m, il est inscrit « par erreur » par les dirigeants algériens sur 800 m. Il sera éliminé dès les premiers tours.
« Pour un Algérien lambda, obtenir un visa pour l’Australie, à l’époque et même maintenant, c’était quasiment mission impossible ». Les perspectives d’avenir pour un jeune Algérien ne sont pas les plus réjouissantes. En 1996, le terrorisme tue en Algérie chaque jour. Youcef décide de revenir en Australie quelques mois plus tard, en novembre 1996 pour s’y installer. « Je ne connaissais personne alors les débuts ont été un peu difficiles mais grâce à la course à pied, je me suis très vite intégré à la vie australienne ». Comme il court plutôt bien, il est repéré par un club et un coach.
J.O de Sydney et d’Athènes
Naturalisé quelques mois avant les J.O de Sydney 2000, il remporte haut la main les sélections australiennes sur 1500 m. « J’ai vite déchanté. Malgré ma victoire, ils ont préféré prendre quelqu’un d’autre avec un nom un peu plus anglo-saxon », lâche-t-il écœuré. Il vivra la même mésaventure quatre années plus tard et ratera de nouveau les J.O d’Athènes alors qu’il caracolait en tête des palmarès. Mais Youcef Abdi n’est pas du genre à abdiquer ! Tenace, il continue à s’entrainer et devient quasiment imbattable sur 1500 m.
Excédé, en 2005, il finit enfin par dénoncer dans la presse ses écartements successifs injustifiés. « J’ai été très patient mais rater deux Olympiades parce que je m’appelle Youcef et que je suis d’origine algérienne, ça commençait à sérieusement me chauffer », lâche Abdi. Son coup de gueule est un pavé dans la mare. Embarrassée, la sélection australienne jure qu’il n’y a « aucun racisme dans la non-sélection de cet athlète très talentueux ».
Record national
En 2006, il passe sur le 3000 m steeple, une course moins encombrée que le 1500 m et où il remarque finalement qu’il est bien plus performant. Il devient quasiment imbattable sur cette distance en Australie. Il détient toujours le record national du 2000 m steeple.
En 2008, il participe enfin à ses premiers jeux olympiques à Pékin. Il finit à une très honorable 6e place sur le 3000 m steeple, derrière les Kenyans et un certain Mahiedine Mekhissi, le Français médaillé d’argent. Quatre ans plus tard, il sera à Londres pour ses deuxièmes olympiades mais sera éliminé en série.
Sa carrière d’athlète l’emmène également tous les étés en Europe où il vient participer aux meetings d’athlétisme. Il en profite alors pour aller rendre visite à ses parents qui vivent toujours en Kabylie, mais aussi à ses frères et à sa sœur, tous installés en région parisienne.
En 2013, il tire sa révérence après près de 20 ans à courir sur tous les continents. Une belle carrière auréolée de plusieurs titres de champion d’Australie et d’une mémorable médaille de bronze aux Jeux du Commonwealth en 2002.
Youcef Maradona
Les chaussures d’athlétisme rangées, Youcef décide de faire ce qu’il a toujours rêvé de faire. «Quand j’étais athlète, je ne pouvais pas jouer au football de peur des blessures », raconte-t-il. Il commence à taper le ballon avec des amis dans les parcs, puis rejoint un club en 2017 le « Coogee United ». Et ça été une révélation.
Ses qualités athlétiques font de lui un joueur indispensable à l’équipe, un récupérateur de ballon hors pair. « J’avais des difficultés au départ pour me placer sur le terrain mais avec le temps, j’ai trouvé mes repères », se félicite le milieu de terrain. « Je cours beaucoup, j’ai une bonne endurance et techniquement il m’arrive de faire de super gestes, je m’inspire de Zidane, Benzema, Thierry Henry et bien sûr de Diego ». Pour les passes longues, il explique avoir beaucoup regardé le jeu de David Beckham, l’ancien international anglais.
La plupart de ses coéquipiers l’appellent Youcef mais ils y ajoutent toujours un Zidane, Benzema ou Mahrez, trois joueurs d’origine algérienne. « Récemment, c’était Youcef Maradona après avoir marqué un but qui avait une petite ressemblance avec celui de Maradona en Coupe du monde face à l’Angleterre quand le numéro 10 argentin dribble toute l’équipe avant d’inscrire un but de légende », lâche, hilare, Youcef. « Ça fait plaisir d’entendre de tels compliments même si bien sûr, je ne pourrais jamais me comparer au Dieu du ballon rond », coupe-t-il très vite, redevenu sérieux.
Youcef Abdi porte souvent le numéro 10, mais comme il est agile avec ses deux pieds, on le retrouve souvent sur les ailes, la droite et la gauche, où il peut taper de longues enjambées. L’année dernière, en 2020, il a participé à une publicité pour Sony où il joue le rôle d’un attaquant de football.
La Kabylie dans la peau
Australien depuis 2000, Youcef Abdi, yeux bleus, cheveux châtains clairs, symbole berbère tatoué sur l’épaule droite, reste profondément kabyle. Il a été très touché par la mort de l’artiste Matoub Lounès, assassiné lâchement devant chez lui le 25 juin 1998.
« C’était mon idole. J’étais à Sydney à ce moment-là. Je me suis senti tellement triste de sa disparition et surtout tellement impuissant », lâche-t-il ému. « Je n’oublierai jamais mes origines kabyles et c’est difficile parfois de vivre à l’autre bout du monde. Je me sens australien parce que je vis ici et parce que l’Australie m’a beaucoup apporté », confesse-t-il.
Youcef Abdi a beaucoup apporté à l’Australie aussi. En plus des médailles sportives, il est devenu aujourd’hui un modèle pour toute la jeunesse du pays. Il travaille pour la fédération d’athlétisme australienne où il fait la promotion de son sport auprès des élèves.
Il s’occupe aussi de son fils de 11 ans, sa fierté, un petit gars d’un mètre 40 aussi sec que son daron et qui cavale aussi bien que son papa à son âge. « Il aime bien courir mais il fera ce qu’il veut ».
La vie est un long fleuve tranquille pour Youcef Abdi. Belle revanche pour cet exilé kabyle qui parle l’australien sans accent. Il parle aussi l’arabe et le français, même s’il lui arrive fréquemment de remplacer certains mots de la langue de Racine par des mots anglais…