« Je donne ma plume à ceux qui en ont besoin », Sophie Blandinières
Auteure de plus de quarante bouquins, Sophie Blandinières, 47 ans, a toujours été dans l’ombre. Pourtant, elle est l’une des porte-plumes les plus employées de Paris. En 15 ans, elle a mis son talent au service de tous : Blancs, Noirs, Arabes, d’illustres inconnus, aux plus célèbres des Français, Belmondo, ou encore Denisot, Daroussin, etc.
Ce jeudi 27 août, elle a publié son deuxième roman en son nom propre. « La chasse aux âmes » raconte le sauvetage d’enfants juifs du ghetto de Varsovie. Un ouvrage brut, parfois dur, mais beau et tendre à la fois. Salutaire.
LCDL : Vous avez grandi dans les Hauts-de-Seine dans une famille plutôt aisée et pourtant la majorité de vos livres parle pour et des déclassés…
Sophie Blandinières : Mon père a grandi à Casablanca et est arrivé à l’âge de 20 ans en France, au début des années 60. Il a grimpé l’échelle sociale par la force de son travail. Il travaillait même le week-end. Il n’était pas à l’usine mais dans les bureaux : c’était un « cadre laborieux ». Ma mère est née à Sétif. Prof brièvement, elle s’est occupée de ses enfants.
Dans la ville très chic où j’ai grandi, je n’ai jamais eu l’impression que ma famille était intégrée, nous parlions trop fort, nous étions trop spontanés, trop chaleureux… D’ailleurs, ma mère a toujours parlé des Français à la 3e personne, elle disait : « ces Français, ils ne sont vraiment pas comme nous ».
J’ai eu la chance d’être du bon côté des inégalités sociales, mais j’ai eu très vite conscience de la force des privilèges en France et ça m’a toujours révoltée.
Vous dites que le langage c’est l’arme du pauvre…
Même si tu n’as rien, il te reste le langage. Je donne ma plume à ceux qui en ont besoin, aux opprimés, aux oubliés, aux méprisés, aux sans grades, aux sans rien…. J’écris souvent pour les venger, pour leur rendre leur honneur et faire progresser leur situation, même d’un millimètre, ça vaut largement mes efforts.
Je pense notamment à Lyes Louffok pour qui j’ai écrit « L’enfer des foyers » et qui a déclenché une loi sur la protection de l’enfance. J’ai écrit des livres pour toutes les couleurs, les sexes, les religions, les femmes, les Noirs, les Arabes, et maintenant les Juifs…
Votre dernier livre raconte le sauvetage d’enfants juifs du ghetto de Varsovie pendant la Seconde Guerre mondiale…
Encore une fois, il s’agit ici d’une histoire de minorités. En Pologne, dans les années 40, les Juifs étaient discriminés en permanence, depuis longtemps victimes d’antisémitisme. Pourtant, ils se sentaient polonais et animaient beaucoup la vie économique, intellectuelle, culturelle. Il avaient un rôle essentiel dans leur pays : ils étaient commerçants, médecins… Certains souhaitaient l’assimilation, d’autres pas, certains se sentaient juifs, d’autres pas.
Aujourd’hui, 80 ans plus tard, en Pologne, dans ce pays aux mains des conservateurs, 30% de la population est antisémite…
A certains moments, dans votre livre, on se sent vraiment dans la peau d’un enfant juif coincé et affamé dans le ghetto de Varsovie.
Parce que tout est authentique. J’ai beaucoup travaillé de longs mois pour reconstituer le ghetto et ressusciter ses habitants. J’ai fait un travail de journaliste et d’enquête, ensuite de documentation, en lisant tout ce que j’ai pu trouver sur le sujet.
Je me suis rendue en Pologne en juillet 2019 pendant dix jours en sillonnant la ville de Varsovie, sur les traces de l’ancien ghetto, mais aussi en allant à Auschwitz et Treblinka. J’ai interviewé longuement une survivante du ghetto ainsi que des spécialistes de l’extermination des Juifs en Pologne.
On entend déjà certains dire « qu’il n’y en a pour les Juifs »…
Oui, hélas, j’entends trop souvent dire ça et je suis atterrée. Pour moi, celles et ceux qui disent cela se tirent une balle dans le pied. La concurrence victimaire, récurrente ces dernières années, est anti-productive, dangereuse. Elle n’alimente pas que l’antisémitisme, mais aussi le racisme, le rejet de l’autre quel qu’il soit, la haine.
Par ailleurs, je ne comprends pas la position qui consiste à vouloir être la victime absolue, ou être plus victime que son voisin. Il faut bien entendu davantage parler des autres tragédies mais reprocher de parler du massacre planifié des Juifs est une absurdité. Ce n’est pas parce qu’on parlerait moins des Juifs qu’on parlerait plus des autres.
Qu’a-t-on fait pour les Tchétchènes massacrés par les Russes ? Poutine qui a participé à leur extermination n’est-il toujours en poste à Moscou ? Que fait-on pour les Kurdes en Irak qui se battent pour nous contre Daech ? On les a lâchés.
Vous dites que l’extermination des Juifs survenue pendant la Seconde Guerre mondiale concerne tout le monde…
Oui, ce qui a été fait aux Juifs est avant tout quelque chose qu’on a fait à l’Homme. Et cette mémoire, on devrait tous la porter. Cette mémoire, si on ne l’entretient pas, nous sommes en péril. Parce que cela se reproduira inévitablement.
Les musulmans ou ceux perçus comme, devraient se sentir doublement concernés parce que quand on vient chercher ton voisin, faut jamais laisser faire sinon un jour, c’est toi qu’on viendra chercher.
Pour moi, il n’y a pas eu réparation parce qu’aujourd’hui, on a tous mémorisé le nom des bourreaux, et personne ne connait les noms des victimes ou très peu.
Tout le monde connait Eichmann aujourd’hui et personne n’a mémorisé le nom d’une de ses victimes. On pourrait dire la même chose pour Klaus Barbie, Maurice Papon, René Bousquet, etc….
La chasse aux âmes, de Sophie Blandinières, aux éditions Plon, 204 pages, 18€.