Energie : Des Tunisiens demandent la démission du ministre

 Energie : Des Tunisiens demandent la démission du ministre

Marzouk avait déjà occupé le poste de ministre des Technologies de l’Information et des Communications dans le gouvernement de Hamadi Jebali (Ennahdha) et reconduit dans celui d’Ali Larayedh (Ennahdha)

Voilà plus d’une semaine que le ministre tunisien de l’Energie et des Mines, Mongi Marzouk, gère son département depuis la France où il est bloqué. L’insolite nouvelle qui a été ébruitée aux médias ce weekend a contraint l’intéressé à reconnaître qu’il a contrevenu, « pour des raisons familiales », aux instructions de son propre gouvernement sur l’interdiction de circuler durant les fêtes de l’Aïd, sans convaincre.

Le contraste est saisissant avec le Premier ministre des Pays-Bas qui n’est pas allé au chevet de sa mère agonisante, par respect des règles de confinement, apprend-on via Reuters.

« Avec le début de détente de la crise sanitaire, et pour des raisons exceptionnelles, j’ai profité des vacances de l’Aïd pour visiter ma famille qui réside à Paris, avec l’intention de retourner en Tunisie quelques jours plus tard. Pour ce faire, j’avais réservé un vol aller-retour sur Tunisair, en me conformant à toutes les directives sanitaires en vigueur pour les voyageurs. Malheureusement, le vol retour fut annulé, ce qui a retardé mon retour au pays. Cela ne m’a pas empêché pour autant de m’enquérir des affaires du ministère et de gérer mes équipes à distance […]. Je m’engage à me conformer aussitôt rentré aux mesures d’auto confinement »… C’est en ces termes que s’expliquait le ministre dans un statut publié sur les réseaux sociaux le 30 mai au soir.

Dans la foulée, certains des soutiens du ministre de l’énergie assurent que, s’il n’était effectivement pas en mission, le ministre aurait bénéficié d’une autorisation du chef du gouvernement, et que le président de la République était au courant de ce départ. Le tout a les apparences d’une opération de « damage control » (limitation des dégâts) sur le mode de l’anticipation des détails qui n’allaient pas tarder à se muer en mini scandale, voire en affaire d’Etat.

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La très peu éthique utilisation d’un passeport français

En réalité, ce qui est présenté par les alliés du ministre comme un aveu spontané sur Facebook n’est qu’une réponse sous forme de tentative d’extinction d’un incendie lié à un article de nos confrères d’Acharaa al magharebi, publié quelques heures plus tôt, qui laisse sous-entendre que la présence de l’intéressé en France a été révélée au médias par un PDG mécontent, limogé à distance, par téléphone, par le même ministre.

Mais ce n’est pas tout. La même source révèle ce que le ministre n’a toujours pas démenti : son recours à son passeport français dont il est le détenteur en tant que franco-tunisien. Et pour cause : le vol en question était précisément destiné au rapatriement des citoyens français encore présents sur le sol tunisien.

« Déjà, le ministre n’a pas le droit de prendre l’avion pour aller dans un autre pays. Toutes les raisons et excuses importent peu, c’est illégal et immoral. Pire encore, il fait preuve de fourberie, en utilisant son passeport français pour être “évacué” vers la France, et son passeport tunisien pour être “évacué” vers la Tunisie, bénéficiant d’un passe-droit grâce à son poste de ministre. Quel message à communiquer à la population, aux tunisiens coincés à l’étranger, etc. ? Et comment un ministre qui a je ne sais combien d’avis de grève, dans une situation aussi complexe que nous traversons aujourd’hui peut prétendre pouvoir faire du télétravail et prendre autant à la légère la gestion des affaires publiques dans une période où le pays est bloqué, des gens sont mis au chômage, des entreprises au bout du gouffre ? De quelle notion d’intérêt publique parle-t-on ? », a réagi Ons Ben Abdelkarim, activiste de la société civile et ancienne présidente de l’ONG de vigilance Al-Bawsala.

« Heureusement que le ridicule ne tue pas… La Tunisie doit sûrement être le seul pays au monde ayant un ministre bloqué à l’étranger pour raison de crise sanitaire, trois mois après le début des confinements. Bravo… d’autres Tunisiens n’ont pas pu se déplacer dans d’autres gouvernorats que celui où ils résident pour passer l’aïd avec leurs familles. Ce ministre a pu, lui, faire-valoir son passeport français pour quitter le pays avec les rapatriés et depuis dix jours il est sur Paris, à publier des statuts Facebook en attendant d’être rapatrié dans l’autre sens; cette fois en faisant valoir son passeport tunisien, je suppose. », écrit pour sa part dimanche le blogueur Adnane Belhajamor.

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Faites ce que je dis, pas ce que je fais

Au-delà de la manœuvre d’exploitation de la bi-nationalité, ce qui choque le plus dans la Tunisie d’aujourd’hui est sans doute le manquement au devoir d’exemplarité d’un ministre au moment où l’on demande tant d’efforts aux Tunisiens ordinaires.

Et ce n’est pas de n’importe quel ministre qu’il s’agit : c’est que le ministre de l’énergie, Marzouk était en l’occurrence jusqu’à l’ébruitement de cette affaire l’un des ministres les plus populaires du gouvernement Fakhfakh, une côte de popularité qu’il doit en partie à l’image véhiculée de lui selon laquelle il est l’un des champions de la transparence, apôtre de la bonne gouvernance, nommé à la tête d’un secteur des ressources naturelles réputé pour son opacité, polytechnicien de formation appuyé en cela notamment par des adeptes de la ligne radical-révolutionnaire qui le voyaient même à la tête du gouvernement en 2019.

Le ministre n’appartient, enfin, pas à n’importe quel exécutif. Son comportement vient en effet entacher l’équipe des grands discours sur l’anti-corruption et la pureté idéologique constituée de ses collègues dont Mohamed Abbou, le ministre d’Etat auprès du chef du gouvernement, chargé de la Fonction publique, de la gouvernance et de la lutte contre la corruption, dont on imagine mal qu’il reste silencieux sur cette affaire, lui qui est déjà empêtré dans la justification de l’embarrassant dossier des déboires familiaux du ministre du Transport.

L’image d’équipe pro souverainisme, avec au sommet de l’Etat le très patriote Kais Saïed, est elle aussi écorchée, au cœur de l’administration très sensible des Energies, comme en témoigne la désillusion de certains électeurs qui découvrent la prévalence de la potentielle « double loyauté » aux secteurs sensibles. Pour toutes ces raisons et la position intenable qui en résulte, on imagine mal un scénario autre qu’une rapide démission pour clore ce qui risque de devenir une polémique de trop.