Tunisie: Internet à l’heure des choix post révolutionnaires
A nouveau dans la tourmente de la censure, l’ATI (Agence Tunisienne de l’Internet) est prise depuis peu entre l’enclume des internautes et le marteau des autorités, pourrait-on dire.
Soucieux de réformer l’image de cette institution qui traine une réputation peu enviable parce qu’associée à un organe de la censure de l’ex régime Ben Ali, son nouveau jeune PDG, Moez Chakchouk, a dû multiplier les sorties médiatiques la semaine dernière afin de dissiper les malentendus et surtout confirmer que l’agence a bien définitivement rompu avec le tristement célèbre « Ammar 404 » (référence au code d’erreur « 404 not found » symbole de l’ère du black out de l’internet).
Un PDG embarrassé et une agence gouvernementale sous pression
Ainsi l’agence organisa une séance de questions-réponses avec des représentants de divers médias en ligne dont Tunisiehautdebit.com, avec en toile de fond la nouvelle vague de censure qui touche le net tunisien depuis la fin de la semaine dernière et la réaction des autorités, notamment militaires cette fois, suite aux révélations de l’ancien ministre de l’intérieur Farhat Errajhi qui eurent pour conséquence une reprise des violences dans le pays. Violence à l’appel de quelques agitateurs connus, sévissant entre autres depuis certaines pages Facebook visant à coordonner casse et vandalisme dans le grand Tunis qui dû être soumis à un énième couvre-feu.
« C’est un filtrage et non une censure», expliqua Moez Chakchouk, « La censure c’est le fait de tout bloquer et d’empêcher le passage de l’information. Mais comme vous le savez, il y a mille et un moyens d’y accéder, notamment par proxy ou en tapant une autre syntaxe de l’URL. Ce que le juge d’instruction du tribunal militaire a demandé, c’est donc du filtrage pour ne pas laisser passer seulement certaines adresses ».
Il est vrai que la page qui s’affichait depuis une semaine quand les internautes tunisiens voulaient accéder à celle du groupe Takriz (groupe aux leaders expatriés toujours anonymes et un récent passé criminel) ou encore la page du profil de l’activiste nationaliste Jalel Brick, stipulait bien ceci : « Cette page web a été filtrée en application d’une réquisition émanant du Juge d’instruction auprès du Tribunal Militaire Permanent de Tunis ».
Le PDG poursuit : « Quand j’ai reçu la première demande de filtrage, j’ai eu peur que ça enflamme l’opinion publique. Surtout dans un contexte où tout s’est soudainement embrasé dans le pays après les vidéos de Farhat Errajhi sur Facebook. Je me suis entretenu avec le ministère de la Défense et on a réussi à me convaincre. (…) De toutes les façons, le refus d’exécution d’une réquisition nous exposait à des poursuites pénales. On n’avait pas le choix ».
Rappelons que depuis la révolution du Jasmin, et sous l’impulsion notamment de l’ex militant anti censure devenu secrétaire d’Etat Slim Amamou, toute censure du web a bien été levée, à tel point que certains groupes de pression se sont constitués pour réclamer le retour de la censure des sites à caractère pornographique, là où d’autres réclament la censure de pages jugées intégristes appelant au salafisme.
Le directeur de l’agence a enfin tenu à faire part des difficultés qu’elle a rencontrées dans l’application de la décision de justice : « Les équipements de contrôle du Net que l’ATI hébergeaient ont été mis hors tension et physiquement isolés après le 14 janvier. Il fallait les remettre en marche puis comprendre comment ils fonctionnaient. Le module d’accès à distance a été supprimé. Comme je l’ai déjà dit, on avait le matériel de filtrage du Net, mais on n’y avait nullement accès. On ne savait même pas comment le paramétrer. Nos ingénieurs ont passé un temps fou pour arriver à appliquer le filtrage ».
Gageons que ces éclaircissements, opportuns dans le climat actuel où les rumeurs de toutes sortes sont légion, contribueront à l’apaisement de la situation très tendue dans la blogosphère notamment où on s’entre déchire déjà entre partisans de cette action pourtant relevant du stricte judiciaire et non du politique, et blogueurs libertaires ne voulant rien entendre, considérant cela comme une porte ouverte à une censure future.
Seif Soudani