Ons Jabeur, l’inarrêtable ! Roland Garros contre Rached Ghannouchi

Symbole d’une jeunesse qui gagne, en remportant le tournoi de Roland Garros juniors hier dimanche 5 juin, la jeune tennis woman tunisienne Ons Jabeur (17 ans) vient apporter par cette victoire aussi surprenante que presque insolente d’audace, un trophée supplémentaire qui consacre la révolution tunisienne, une révolution dont les jeunes furent les principaux artisans.

La vice-championne de l’édition 2010 y aura aussi mis la manière : 7/6 – 6/1, c’est le score sans appel de la finale qui l’a apposée à la portoricaine Monica Puig, après avoir éliminé avec autant de panache, en trois sets, la française Garcia, tête de série numéro 3, et à domicile s’il vous plaît !

La première fois que j’ai rencontré Ons, elle avait 15 ans à peine et était en pleine préparation de Wimbledon 2010, juste après avoir été l’invitée surprise du Grand Chelem français la même année et la première tennis woman tunisienne à briller à un tel haut niveau de la compétition internationale depuis Selima Sfar, suite à une longue disette de près de 10 ans du tennis féminin tunisien et arabe. Entre deux séances d’entraînement sous un soleil de plomb, réservée, presque intimidée mais physiquement déjà athlétique et suant à peine, elle avait répondu à quelques questions en toute humilité. Réagissant aux rumeurs sur sa fragilité psychologique qui auraient causé sa défait en finale 2010, une de ses réponses m’avait particulièrement marqué : « Je n’ai pas eu peur, je n’ai jamais peur ! » a-t-elle lancé en souriant, comme pour me montrer qu’elle savait déjà gérer le stress des grands rendez-vous du haut de sa quinzaine d’années de nonchalante adolescence.

Cette année, et pourtant une révolution plus tard, au moment où les islamistes tunisiens s’organisent et se restructurent de l’avis de tous plus rapidement que les autres tendances politiques, une étonnante polémique a vu le jour sur les réseaux sociaux à partir des demi-finales, moment où la tunisienne avait commencé à refaire parler d’elle. Peu importe la performance sportive, ce qui agitait certains milieux islamistes, Jeunesses d’Ennahdha en tête, ce n’était ni le sport, ni l’événement en lui-même, mais l’aspect vestimentaire de la jeune femme. Ainsi, on pouvait notamment lire en légende accompagnant une photo d’elle qu’elle honorait certes la Tunisie, avant d’ajouter un questionnement rhétorique feignant de s’interroger sur le fait de savoir si les mini jupes de tennis honoraient le pays…

Par ce conservatisme d’un autre temps, l’extrême-droite religieuse ne prouve-t-elle pas  paradoxalement son manque de patriotisme avec de telles préoccupations obsessionnelles qui finissent par prendre le dessus sur tout le reste, là où il y avait pourtant de quoi rassembler un peuple autour de la fierté nationale et d’une jubilation légitimement chauvine ? Nul ne sait si la sportive concernée a eu vent de ces élucubrations périphériques, mais en l’emportant elle confirme que les valeurs universelles du sport triomphent toujours en ne s’embarrassant pas de futiles controverses révolues, un peu à la manière du poing levé de l’athlète noir américain Jesse Owens aux jeux olympiques de Berlin en 1936, défiant le racisme ambiant et la logique raciste de l’Allemagne nazie.

Prémices de la récupération politique

Mais une autre polémique naissante pointe déjà chez une partie de l’opinion qui depuis le 14 janvier ne rate aucune occasion pour critiquer la politique du gouvernement transitoire, en l’absence de légitimité populaire de celui-ci. Aussi, comme le veut la tradition, et sans doute faisant suite à une invitation officielle, la Tunisie avait envoyé en France une délégation pour la représenter à l’événement, composée de membres du gouvernement dont Mehdi Houas, ministre du commerce et du tourisme, qui posa avec la vainqueur du tournoi à la remise des trophées, en compagnie du maire de Paris, Bertrand Delanoë. Il n’en fallait pas plus pour crier à la récupération politique, et même à la dilapidation de l’argent du contribuable aux frais duquel ces déplacements sont assurés. D’autres n’ont pas manqué de faire remarquer que si personne n’avait fait le déplacement, on aurait certainement fustigé le même gouvernement et ses vieux technocrates en leur reprochant de négliger la portée d’une telle victoire…

Quoi qu’il en soit, finie la langue de bois qui voulait, à une époque pas si lointaine, que l’on fasse l’éloge du père de la nation au travers de ces conquêtes, en l’accréditant du mérite de tout et n’importe quoi, toute victoire étant le signe de la « sollicitude du chef de l’Etat dont il entoure la jeunesse tunisienne » ou encore « venant consolider ses acquis », et autres tournures emphatiques confinant à la langue de bois.

Ons Jabeur ne doit sa victoire qu’à elle-même, confirmant la marche implacable du temps que nul ne peut arrêter, même pas les forces réactionnaires, et confortant par une prometteuse victoire la machine à gagner d’une jeunesse qui n’a pas fini de surprendre, même en Occident.

Seif Soudani