Tunisie – Les principaux points du pacte républicain Liberté de conscience, séparation du politique et du religieux et quelques surprises

L’accouchement fut douloureux mais c’est fait : la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique a officiellement adopté le 1er juillet son tant attendu Pacte Républicain, un pacte faisant office à la fois de socle éthique commun à tous les partis participant aux prochaines élections de la Constituante, et de prélude à une prochaine Constitution dont il pose les fondations.

Fruit d’un processus ponctué de scissions diverses et d’épisodes confus à mi-chemin entre le vote (sur les points les plus litigieux) et le consensus dans les grandes lignes, le texte n’est toutefois pas contraignant ni pour les partis ni pour les listes indépendantes. Nous y découvrons un texte court, assez généraliste, s’articulant autour de 5 volets essentiels. Globalement résolument moderniste, le contenu n’en recèle pas moins nombre de paradoxes. Marque de fabrique reflet d’une société tunisienne complexe et tiraillée entre plusieurs sensibilités antagoniques, certaines incohérences n’ont pas manqué d’étonner, surtout hors du pays, où la presse étrangère réagit déjà abondamment, souvent sur le ton du scepticisme quand ce n’est celui de l’inquiétude.

Dès l’examen du premier des cinq articles, un premier paradoxe apparaît dans la double volonté de conserver intact l’ex article premier de la Constitution désormais suspendue d’une part, et celle d’y donner malgré tout un sacré coup de jeune par endroits d’autre part. En effet, si l’on a préservé la mention ayant trait à l’identité arabo-islamique du pays avec un inchangé « La Tunisie est un État démocratique, libre et indépendant, l’islam est sa religion et l’arabe est sa langue », l’article se voit augmenté de la mention « l’identité du peuple tunisien est arabe, islamique et moderniste ». Le mot est lâché ! Explicité de surcroît plus loin par une allusion à la diversité du peuple tunisien, résultant elle-même de son adhésion aux « valeurs de la modernité et du progressisme. » Sincères ou politiciens, ces quelques mots inédits dans une loi fondamentale d’un pays de la région valent à Yadh Ben Achour, président de l’instance, d’être critiqué par les plus conservateurs. Leur banalisation est en soi un acquis, qui même s’il est en demi-teinte fait théoriquement barrage aux dérives potentielles de forces réactionnaires, en institutionnalisant progressisme et modernisme.

Deuxième avancée majeure mais non moins relativement paradoxale, l’inscription noir sur blanc dans l’article 2 de la liberté de conscience et de la liberté de culte : « L’État se porte garant de la liberté de conscience, de culte, et de la séparation des domaines religieux et politiques ». Cette référence directe à une laïcité institutionnelle sans la nommer réjouit les partisans d’une laïcité réelle, mais se heurte néanmoins à une certaine contradiction avec l’article qui précède. Les minorités religieuses ne se sentent-elle pas de facto exclues ou au minimum négligées, une fois que l’on a affirmé d’emblée que c’est bien l’islam qui est la religion de l’Etat ?

Le cœur du pacte, les points 3 et 4, sont sans doute les plus consensuels et cohérents, avec respectivement une insistance sur une mise en œuvre réelle d’une décentralisation seule garante d’une distribution plus équitable des richesses, exigence essentielle de la révolution du 14 janvier, et un rappel de la nécessité de ne pas dormir sur les lauriers du CSP (Code du Statut Personnel), de le consolider si l’on veut « consacrer une totale égalité entre les sexes ». La protection des acquis en matière de droits de la femme semble donc avoir fait l’unanimité.

Mais l’article le plus polémique est sans conteste le dernier, véritable hors-sujet constitutionnel selon la plupart des observateurs, hors sympathisants Ennahdha. En inscrivant dans ce qui est considéré comme le brouillon d’une future Constitution la question palestinienne et « l’opposition à toute forme de normalisation avec l’entité sioniste », le texte lance objectivement le pays dans une certaine fuite en avant isolationniste, ne prenant visiblement pas en compte la marge de manœuvre limitée d’un petit pays comme la Tunisie, et employant un langage de la remise en question de l’existence même d’Israël en tant que pays reconnu par la communauté internationale. Un langage plus proche des chartes du Hamas ou du Hezbollah que de la modération et du pragmatisme politique pourtant tradition bourguibiste de longue date en Tunisie.

Par ailleurs, en étant potentiellement l’un des premiers pays au monde à inscrire une telle disposition relevant de la géopolitique à sa loi fondamentale, la Tunisie s’expose au risque non négligeable (et ubuesque) de devoir amender sa Constitution au cas où, comme tous les indicateurs le laissent à penser, les palestiniens eux-mêmes venaient à « normaliser » dans un futur proche leurs rapports avec Israël, ne serait-ce qu’en travaillant à la cohabitation pacifique entre deux États.

Certains y voient une volonté de couper l’herbe sous les pieds des islamistes en leur confisquant ce qui est un fonds de commerce récurrent désormais récupéré par un texte républicain. D’autres croient plutôt à un échec personnel de Ben Achour à faire valoir son autorité sur son instance. Quoi qu’il en soit, son impuissance à imposer même la moins véhémente des deux versions de ce dernier article (soumis au « consensus » et non au vote), sous la pression de l’extrême droite nationaliste et religieuse, est une faiblesse qui l’isole un peu plus sur la scène nationale et surtout internationale où l’on retiendra qu’il présida à un texte certes moderne mais timide et installant la Tunisie durablement dans l’inconnu s’agissant de politique étrangère.

Seif Soudani