Interview- Dr Amal Chabach (suite et fin) Peut-on briser les tabous?

De très nombreux interdits moraux et religieux marquent notre société. Les tabous ponctuent notre manière d’être, nos façons de vivre et structurent notre sexualité. Ils ont la vie dure et nous accompagnent durant toute notre vie. A travers cette interview, nous avons donné la parole à Amal Chabach(*), première femme sexologue thérapeute du monde arabe pour faire une exploration à travers les tabous sexuels et tenter de les comprendre sans prétendre les briser.

 

– Quelles sont les relations entretenues entre la religion et la sexualité ? La religiosité est-elle un frein à une sexualité épanouie ?

-Pas du tout ! L’islam a toujours été favorable à l’épanouissement sexuel pour les deux partenaires. Cependant, il faudra tenir compte de deux conditions sine qua none, d’abord, l’acte devra se dérouler dans un cadre marital, ensuite la sodomie est interdite. Tout le reste est permis et même encouragé…!

 

Quels sont les tabous de la sexualité dans votre région ? Les mêmes qu’ailleurs ?

-L’être humain est partout pareil. Les problèmes sexuels sont par conséquent identiques mais ce sont les taux de fréquence qui varient selon les régions à travers le monde. La sexualité représente le nectar de ce que nous sommes, c’est-à-dire le cumul de notre éducation, nos croyances, nos expériences et certainement nos peurs, nos espoirs et nos désirs conscients ou inconscients.

La sexualité, malgré les apparences et ce bond évolutif fait en avant, est toujours considérée comme un sujet « hchouma » et tabou. Très peu de gens exposent leur secret intime même aux personnes les plus proches.

Face à un spécialiste, au contraire, ne se sentant ni jugés ni critiqués, ils s’ouvrent davantage et exposent leurs souffrances sexuelles à la recherche d’un soulagement psychologique et des solutions pratiques.

  

-Quelle est la place des transgressions chez les couples arabes ou marocains ?

-Toute chose interdite est désirée et désirable. C’est vrai que les Marocains sont des croyants de base, en tant que pratiquants musulmans ils ont besoin de suivre les préceptes de notre religion. Mais en tant qu’êtres humains, ils véhiculent leurs propres démons, désirs profonds et tentations de tout genre. Certains y résistent, d’autres pas, et très souvent tous payent « les pots cassés » en culpabilités, souffrances, frustrations. La plupart n’échappent pas aux auto-jugements, aux jugements des familles et des amis ni au regard désapprobateur de la société.

A titre d’exemple, les rapports sexuels avant le mariage sont interdits par la religion. Les hommes ou femmes qui les pratiquent qui sont nombreux, soit dit en passant, culpabilisent et se jugent négativement de façon consciente ou inconsciente. Ils essayent alors de cloisonner cette souffrance dans leur souvenir, court-circuitant leur gendarme intérieur. Parfois, les conséquences sont graves mais beaucoup parviennent à les transcender après une stabilité conjugale.

 

-Est ce que les femmes arabes se soignent et consultent lorsqu’elles souffrent d’un mal telle l’anorgasmie et quelles sont les causes les plus fréquentes d’anorgasmie ?

-Les femmes marocaines consultent de plus en plus, notamment depuis 5-6 ans. Leurs demandes sont multiples et variées et très souvent elles arrivent au cabinet d’abord seules, puis en compagnie de leurs maris. Elles expriment clairement leurs mésententes ou insatisfactions sexuelles, alors qu’il y’a une douzaine d’années c’était très mal vu qu’une femme arabe parle d’orgasmes, d’envies sexuelles ou même fasse le premier pas pour initier un rapport sexuel avec son conjoint.

 

– Quels conseils donneriez vous pour une sexualité épanouie ?

-Pour une sexualité « épanouie », un couple a besoin d’abord d’établir une bonne communication, d’élargir sa conscience et sa compréhension de la relation interhumaine, d’exprimer ses désirs et besoins mutuels en toute sincérité et sans jugements, en respectant ceux de l’autre. Bien entendu, il faut se rassurer mutuellement sur le plan émotionnel, avec des mots, des gestes, une présence, des soins… il faudra faire appel à l’amour et à la créativité.

Propos recueillis par Soufia Limam

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