Tunisie – L’Instance de Ben Achour s’enlise dans la crise


Depuis mercredi dernier et l’adoption du projet de décret-loi relatif à l’organisation des partis politiques, un des rares succès à mettre à son crédit, l’Instance présidée par Yadh Ben Achour semble être entrée dans un nouveau cycle de micro événements qui viennent l’affaiblir un peu plus encore aux yeux de l’opinion, après qu’elle soit devenue le théâtre régulier de débats houleux et mouvementés.

 

Déjà au lendemain du vote de cette nouvelle loi des partis, et malgré son adoption à une écrasante majorité de 82 voix pour, 4 abstentions et une seule contre, on parlait déjà d’un amendement du texte, remis à cette semaine, en attendant le possible retour des déserteurs de l’Instance de Ben Achour que sont les partis CPR et Ennahdha.

 

Après s’être livrés à un jeu d’allers et retours multiples au sein de l’Instance de la réalisation des objectifs de la révolution, ceux-ci semblent en effet l’avoir définitivement quittée, indignés qu’il puisse y avoir vote dans une entité ne jouissant d’aucune légitimité populaire, et rappellent que l’adoption par consensus des textes et décisions était la base sur laquelle ils ont intégré le CISROR.

 

Le PDP en rajoute une couche

Ce n’est un secret pour personne, les plus grands partis se sont montré très tôt hostiles à toute idée de régir les financements des partis, eux qui ont le plus à y perdre, Ennahdha et PDP en tête, qui reçoivent sans doute de généreuses contributions de la part de diverses personnes morales, donateurs locaux et probablement de l’étranger, ne serait-ce que de la part de la diaspora tunisienne  expatriée.

 

Au pied du mur, le PDP resté dans l’Instance, dût se résoudre au vote de la loi, mais non sans poser ses conditions, et non sans avoir fait en sorte que ce vote soit affaire de consensus (l’unique voix contre, sur 87, en témoigne). Or, Yadh Ben Achour a promis de revenir sur ce vote qu’il dit préliminaire.

 

Du coup, lors d’un point de presse tenu jeudi 21 juillet, Ahmed Nejib Chebbi et Maya Jribi, secrétaire générale du parti, ont été catégoriques : « Nous refusons tout nouveau vote du projet de loi sur les partis », assurent-ils, car il « s’agirait d’un procédé contraire à toute démarche démocratique et ôterait toute crédibilité à l’Instance. »
Chebbi assure que le vote dudit projet de loi a bien eu lieu après discussion des propositions d’amendement avancées par le PDP, et les enregistrements sont bien là pour en témoigner.

Et au chef du PDP de surenchérir : « Nous sommes d’accord avec Ennahdha dans toutes ses critiques contre la Haute instance dont notamment sa transformation en une sorte de parlement ou en parti politique. »

 

Dès jeudi, Issam Chebbi, représentant du parti au sein de l’Instance réaffirmait dans une déclaration plutôt ambigüe et en demi-teinte : « Contrairement aux informations rapportées par certains médias, le parti démocrate progressiste (PDP) ne s’est pas retiré définitivement de la haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique. Il s’agit plutôt d’une suspension du statut de membre au sein de la même instance, pourvu que celle-ci rectifie son parcours

 

En position de force, Ennahdha se pose en contre-pouvoir

 

Yadh Ben Achour sait sans doute qu’en l’absence d’Ennahdha, première force politique du pays hors coalitions, le vote du texte phare de son alliance peut être remis en question dans un futur proche.

Ce qui peut expliquer que, dès vendredi, il dût se résoudre à prendre les devants en se rendant dans les locaux du parti islamiste, vraisemblablement pour négocier les conditions d’un retour du parti avant un second vote qui n’en serait que plus légitime.

 

Le même jour, Ben Achour convoquait une conférence de presse à la mi-journée. Mais le fait qu’il se soit décommandé en dernière minute en envoyant un porte-parole animer, du coup, un non-événement, a ajouté à la cacophonie ambiante autour de sa réunion la même matinée. S’estimant lésés, les journalistes en conclurent que les pourparlers s’étaient soldés par un échec.

Quant à Ennahdhda, le parti se livra samedi à une démonstration de force en faisant salle comble lors de son meeting-événement qui laissa des milliers de sympathisants à l’extérieur du Palais des Sports d’El Menzah, faute de place. Aucun parti ne peut se prévaloir de pouvoir en faire autant selon les analystes politiques unanimes ayant assisté à ce triomphe populaire.

 

Mais le bras de fer ne semble être qu’à ses débuts : Une coalition de 6 partis vient d’être scellée entre Ennahdha, le CPR, le MDS, le Mouvement Union Populaire MUP, le Mouvement du peuple unioniste progressiste, et le Parti de la réforme et du développement, confirmée par Noureddine Bhiri porte-parole d’Ennahdha hier, après une réunion dans les locaux du CPR de Moncef Marzouki. Elle entend se poser en coalition anti Instance et peser de son poids politique (à défaut de cohérence idéologique) pour compromettre un peu plus l’avenir déjà incertain de l’Instance. Triste spectacle de divisions et de discorde qui laisse augurer d’années d’instabilité selon certains, ce qui se passe aujourd’hui à l’échelle de cette instance étant un possible échantillon de ce que serait demain un Conseil Constitutionnel élu.

 

Seif Soudani