Procès Moubarak – Ben Ali : quand la seconde révolution arabe apprend des erreurs de la première
Si Ben Ali était le premier ancien chef d’Etat arabe à être jugé, Hosni Moubarak fut quant à lui, hier 3 août, le premier ex raïs à être présent dans le box des accusés. Une date à marquer d’une pierre blanche comme étant celle où un président arabe est devenu un simple justiciable comme un autre. Cela fait des semaines que l’on se préparait au Caire à la tenue de ce procès historique, pourtant beaucoup d’égyptiens n’y croyaient pas jusqu’à la dernière minute, pensant que tout comme son homologue tunisien, il réussirait d’une façon ou d’une autre à échapper à la justice.
L’histoire récente des relations tuniso-égyptiennes est l’histoire passionnelle d’une constante émulation entre deux nations qui aiment à se narguer notamment artistiquement, footballistiquement, mais aussi politiquement où l’effet domino aura touché l’Egypte en premier, dans un élan révolutionnaire initié en Tunisie, mais respectant, chronologiquement, une logique davantage historique que géographique, les deux premiers pays touchés ayant toujours été à l’avant-garde des mutations régionales tout au long du le 20ème siècle.
Et voici que le peuple égyptien rattrape d’une certaine façon son retard révolutionnaire d’environ un mois, en mettant d’ores et déjà les bases d’un procès qui évite jusqu’ici les écueils du procès Ben Ali en cours, malgré l’ajournement au 15 août prochain.
Match judiciaire : Egypte 3 – Tunisie 0
Premier avantage évident, la présence physique de l’accusé a un effet autrement plus cathartique pour un peuple et une armée qui peuvent se prévaloir d’avoir empêché la fuite de Moubarak et de son clan à l’étranger (il est maintenant avéré qu’au moins Gamal Moubarak, fils aîné du président déchu avait transféré début février des fonds et sécurisé des biens à Londres).
Deuxième gros point marqué, et non des moindres : les « bons » chefs d’accusation ont été les premiers à être traités par la justice égyptienne. En effet, ici point d’affaires périphériques et très secondaires voire anecdotiques aux yeux du peuple, telles que la possession de devises, de drogue et d’armes, curieusement prioritaires pour les juges tunisiens. Hier, nous sommes entrés dans le vif du sujet d’emblée : dans la salle d’audience bondée (600 personnes assistaient au procès), on a parlé snipers d’abord, meurtres par préméditation et répression des manifestants ayant fait des centaines de morts.
Autre point ayant trait à la médiatisation du procès, mais non moins important dans un contexte révolutionnaire : le choix du juge égyptien de retransmettre en direct et intégralement les audiences, contrairement au procès du clan Ben Ali qui, en plus d’être enregistré et muet, multiplie maladresses et fausses notes aux yeux de nombreux observateurs. La dernière en date est l’apparition controversée des femmes du clan Trabelsi affublées d’un voile traditionnel pour cacher leurs visages.
Un procès contre-productif ?
Malgré ces succès indéniables, des voix s’élèvent déjà pour dénoncer des dérives judiciaires. Ainsi, les plus sceptiques crient à ce qui est selon eux une distraction. Un procès – spectacle qui répondrait moins à une demande populaire en ce timing de transition post révolution qu’à une manœuvre de l’armée et des « forces contre-révolutionnaires », soucieuses pour se maintenir au pouvoir de précipiter et d’expédier le procès factice d’un bouc émissaire face à la pression grandissante de la rue.
D’autres évoquent l’aspect revanchard de cette justice « voyeuriste », qui n’a pas hésité à présenter à la foule un homme malade, mais surtout en civière… Une image qui fera date, puisque si l’on avait déjà vu au TPI par exemple d’ex chefs d’état en chaise roulante, une civière rappelant un lit de mort peut marquer les esprits au point d’être une image contre-productive et servant les avocats de la défense en ce qu’elle plaide de facto pour leur client très visiblement très affaibli par son cancer de l’estomac.
Plus généralement le procès Moubarak, en n’étant pas un procès par contumace, remet sur le tapis avec prégnance les questions de l’universalisme et de l’abolition de la peine de mort. En ne mettant pas cette dernière à l’ordre du jour dans aucun pays arabo musulman, on voit bien désormais que les chefs d’Etat s’exposent eux-mêmes se voir infliger la peine capitale un jour, voilà qui devrait faire réfléchir plus d’un dictateur.
Seif Soudani