Tunisie : Entre CPR et Ennahdha, la rupture serait-elle consommée ?
Depuis le 20 juillet dernier et l’adoption du projet de décret-loi relatif à l’organisation des partis politiques, nous savions déjà que le texte allait être soit amendé, soit soumis à un nouveau vote, conformément au souhait d’Yadh Ben Achour. C’est désormais chose faite puisque l’Instance de réalisation des objectifs de la révolution vient de refuser définitivement et à l’unanimité hier jeudi que les partis soient financés par des sociétés commerciales, « par crainte de voir ces sociétés devenir un instrument de blanchiment de fonds en provenance de parties étrangères » a précisé Salem Haddad, membre de l’instance qui a ajouté que désormais « le soutien des partis ne peut provenir que de personnes physiques ».
Mais ce n’est pas là le seul événement ayant remis sur la table l’épineuse question du financement des partis politiques en Tunisie à l’approche des premières élections libres du pays. Mercredi 3 août, Moncef Marzouki, leader du Congrès Pour la République jetait en effet un pavé dans la marre, avec une lettre ouverte publiée sur son site officiel, dans laquelle il interpelle directement trois des plus grands partis tunisiens : le PDP, le FTDL (Ettakattol) et surtout Ennahdha qui constituait pourtant jusqu’ici son allié le plus proche.
« On dirait que tous les partis sont devenus des entreprises politiques marchandant leurs programmes comme on vendrait du parfum ou du yaourt,» y assène-t-il.
Coup de tonnerre dans le microcosme de la classe politique, où il se murmure déjà que Marzouki réagissait à ce qui semble être une tentative d’approche du FTDL de Moustafa Ben Jaafar par le parti islamiste Ennahdha.
Qu’est-ce qui peut avoir motivé une telle volte-face inattendue de la part du chef du CPR ? Dans sa lettre assénée à la manière d’un « j’accuse » tous azimuts, Marzouki veut assurément apparaître plus que jamais comme le chevalier blanc du paysage politique tunisien, lui qui a promis que contrairement aux autres partis, il mettait un point d’honneur à publier régulièrement les comptes de son parti ainsi que la liste de ses donateurs.
Non content de remettre en cause l’intégrité de la gestion financière de ses homologues dirigeants de partis de premier plan, il cible nommément d’abord Ennahdha, en suggérant au parti de Ghannouchi d’investir tout excédant financier de son budget dans des œuvres caritatives, mais secrètement, et non de façon médiatisée orientant les choix des électeurs dans ce qu’il a dénoncé comme d’évidentes basses manœuvres.
Le motif le plus probable et le moins avouable à la lettre du militant historique, qui prend au final la forme d’une mise en garde, est explicité par lui-même en clôture de sa lettre : mis au pied du mur, les petits paris comme le sien en termes de moyens sont condamnés pour exister et peser dans le jeu politique à deux solutions : soit s’aligner sur les pratiques peu transparentes des plus gros partis et sombrer selon lui dans la corruption généralisée, soit procéder à des compromis et céder aux OPA hostiles des mêmes acteurs hégémoniques.
Il s’agit donc là d’un texte réquisitoire qui ne sera pas sans conséquences et dont l’avenir dira s’il était un début de mea culpa stratégique scellant un divorce annoncé, ou davantage le texte d’un pragmatique aveu d’échec politique à deux mois des élections de la Constituante.
S.S.