Tunisie –Des ONG américaines entendent jouer un rôle de premier plan dans la transition démocratique

Samedi 6 août, le Courrier de l’Atlas était convié à 10h00 au Palais des Congrès de Tunis à une conférence nationale sur le thème « Conditions de la réussite du processus électoral », sans plus de précisions sur l’identité des organisateurs autres qu’un énigmatique « CSID » (Center for the Study of Islam & Democracy).

Sur place, nous découvrons ce qui s’apparente à une grand messe en l’honneur de l’organisation basée à Washington (sur la même avenue que la Maison Blanche, la célèbre Massachusetts Avenue) : non seulement celle-ci s’est offert le luxe de monopoliser le temps d’une journée le prestigieux Palais des Congrès, mais des représentants de tous les grands partis se bousculaient à une tribune très complète en termes de sensibilités politiques. Ennahdha, Ettajdid, Ettakatol, Afek, CPR, etc. : tous ont répondu présent par le biais de leurs numéro 2 ou 3 respectifs, avec dans le cas du PCOT le chef lui-même en la personne du sémillant Hamma Hammemi, auteur d’une intervention remarquée.

Signe de l’importance de l’événement, même Kamel Jandoubi, le pourtant très occupé président de l’Instance Supérieure Indépendante des Elections, avait fait le déplacement. Ouvrant les débats, puis défendu par l’ensemble des intervenants quant aux « rumeurs malveillantes » qui courent autour de sa personne, il doit néanmoins se justifier d’un certain devoir de réserve pour ne garder le micro que deux petites minutes, le temps d’énoncer quelques généralités sur le fonctionnement de l’ISIE, ainsi que pour anticiper d’éventuelles questions.

Tel un zélé chef d’Orchestre, l’assez méconnu en Tunisie Radwan Masmoudi, président et fondateur du CSID, prenait son statut de coordinateur des débats très au sérieux. Secondé par sa fille, une étudiante tuniso-américaine née aux Etats-Unis et parlant un anglais parfait, il fait preuve de fermeté dès lors qu’il s’agit de modérer les intervenants, notamment dans leur temps de parole. Pas de doute, c’est lui le maître des lieux.

Le cœur des débats a consisté en des interventions qui se suivent et se ressemblent : toutes ont dénoncé l’ampleur prise par l’argent politique, la course au financement des partis politiques, ainsi que les médias « non encore réformés depuis la révolution ». Fait notable, un membre du bureau exécutif d’Ennahdha a lui-même dénoncé l’utilisation des mosquées comme tribune politique.

Improvisant une intervention très applaudie, Sadek Belaïd, non programmé pour s’exprimer mais expert en sciences juridiques et plus particulièrement en loi constitutionnelle, est quant à lui revenu sur le statut et les prérogatives du prochain Conseil Constitutionnel élu. « Se contentera-t-il de rédiger une nouvelle constitution ? », s’est-il interrogé, incrédule, rappelant que la rédaction d’une constitution ne devrait pas prendre davantage que 3 mois, « … ou bien allons-nous assister à un remake de 1956 – 1959, où le Conseil constitutionnel de l’époque avait exercé de fait un pouvoir absolu sur l’ensemble des institutions du pays, proposant des lois et les entérinant dans la même foulée ». Auquel cas, une nouvelle dictature potentielle nous attend, a-t-il prévenu sur le ton de la mise en garde.

Le CSID, une organisation plutôt opaque

Bien que semblant animé par les meilleurs intentions et mu par un agenda progressiste et du moins modéré, le CSID restait à l’issue de cette grande réunion dans l’ensemble assez abscons.

Si à l’image de la Freedom Foundation, ayant déjà défrayé la chronique pour être proche de nombre d’acteurs majeurs de la vie politique post révolution en Tunisie, l’ONG ne rechigne pas à déployer de grands moyens, des soupçons planent déjà sur d’éventuels liens de l’organisation avec le State Department américain.  C’est en tout cas ce que nous confia Monica Marks, titulaire d’une bourse d’études en sciences politiques à Oxford et travaillant pour son Ph D. sur les mouvements islamistes au Maghreb.

Présente ce jour-là au premier rang, elle semblait certaine que le gouvernement de son pays finançait d’une façon ou d’une autre ce genre de fondations à caractère communautariste mais prônant un agenda démocratique et moderniste.

Quoi qu’il en soit, Radwan Masmoudi, en invitant une aussi hétéroclite pléthore de partis politiques, semble avoir saisi les mécanismes du modèle américain en la matière : un mélange de real politik et de pragmatisme qui ne s’embarrasse pas d’idéologies et dont le lobbying sans complexes est le maître-mot.

Seif Soudani