Egypte –La déclaration d’Al-Azhar pour endiguer les assauts salafistes

Les forces principales composantes politiques, culturelles, intellectuelles et sociales égyptiennes  ont adopté hier une plateforme commune considérée comme un pas important vers les élections et vers l’apaisement politico-social. Cette déclaration, à l’initiative d’El Azhar, fait un compromis entre les forces favorables à un Etat moderne voire séculier, et celles qui veulent une législation qui s’inspire de la Charia islamique.  Ce texte est un pur exercice d’équilibrisme qui peut être lu de différentes façons et dont le seul intérêt est de constituer une digue devant les assauts salafistes contre toute velléité de construire un Etat moderne.

Le Grand Imam d’Al-Azhar, Cheikh Ahmed al-Tayyeb a convoqué hier mercredi une réunion à la machiakha d’Al-Azhar qui a réuni les chefs de partis et représentants des forces politiques, religieuses, culturelles et intellectuelles de l’Egypte afin d’étudier ce document proposé par la prestigieuse institution qu’il préside.

Al Azhar en tant que pôle fédérateur et guide de la nation, ainsi qu’une plateforme pour la diversité, la modération et l’harmonie possède un rôle primordial dans la définition de la relation entre l’Islam et l’Etat. L’institution tente en cette phase délicate de l’histoire du pays d’adopter une attitude modérée et consensuelle.

La déclaration se présente sous la forme d’un document en 11 points, en vue de servir de base à la réforme constitutionnelle.

Celle-ci stipule la création d’un Etat moderne, qui promeut les droits du peuple à la liberté, la dignité et la justice sociale ainsi que les valeurs de citoyenneté, d’égalité, et de la protection des minorités et des autres cultes. Quant à la partie théologique, elle indique que l’islam est la source de législation. Ceci dans une langue compréhensible en évitant autant que faire se peut les ambiguïtés et les termes complexes.

Les participants à la réunion dans leurs différentes tendances ont approuvé les dispositions de la déclaration tout en émettant pour certains des réserves.

En substance la déclaration stipule :

-L’établissement de l’Etat national constitutionnel démocratique moderne, fondé sur la séparation des pouvoirs et des institutions. C’est l’Etat qui définit le cadre de la gouvernance, et garantit les droits et devoirs de chacun de ses membres sur un même pied d’égalité. Le pouvoir de la législation doit être entre les mains des députés du peuple conformément.

-La déclaration précise à ce titre que l’Islam n’a connu, ni dans sa civilisation ni dans son histoire, ce qui est répandu dans d’autres cultures comme l’Etat religieux et clérical qui a dominé les gens et dont l’humanité a souffert lors de certaines périodes de l’Histoire.

-Les principes de la Charia islamique doivent rester « la source essentielle de la législation » -comme c’est le cas actuellement – et les adeptes des autres religions monothéistes pourraient avoir recours à leurs propres tribunaux concernant les affaires de statut personnel.

-L’adoption d’un système démocratique, fondé sur une élection directe libre qui est l’expression moderne pour mettre en forme les principes de la Choura islamique, y compris les garanties de la pluralité politique, le transfert pacifique du pouvoir, la détermination des spécifications et le contrôle de la rétribution des responsables devant les représentants du peuple.

-L’attachement au système des libertés fondamentales dans la pensée et l’opinion, en respectant totalement les droits de l’homme, de la femme et de l’enfant, la citoyenneté de chacun et la non distinction fondée sur la religion ou la race. La déclaration met l’accent sur le principe du pluralisme ainsi que le respect des trois religions monothéistes.

-Le document précise dans une clause, l’identité de l’Etat : l’Egypte est un Etat musulman, l’arabe est sa langue officielle et la charia islamique est la source principale de législation.

Le porte-parole du groupe salafiste Abdel-Moneim El Shahat a déclaré à l’issue de la réunion qu’il ya un consensus autour des grandes lignes du document mais que néanmoins, le groupe a fait quelques observations portant sur la nécessité d’établir un État constitutionnel démocratique moderne, en précisant qu’il y a un rejet total de la part de la coalition salafiste des principes de la laïcité.

Notons que la réunion a vu l’opposition de quelques-uns des savants d’Al-Azhar qui se sont rassemblés pour déclarer, banderoles à l’appui, leur refus des principes contenus dans le document émis par la prestigieuse mosquée en précisant que la déclaration représente un danger pour les fondamentaux de l’Islam.

Dans un communiqué remis aux journalistes, le Grand Cheikh d’Al-Azhar a insisté pour que la déclaration reste comme un « guide » plutôt qu’un document contraignant. Précision qui anéantit de fait les espoirs de nombreux groupes de laïcs qui souhaitaient que la déclaration soit utilisée comme un cadre de référence obligatoire à l’Assemblée constituante qui rédigera la Constitution.

Soufia Limam