Tunisie – Afek Tounes : chronique d’une crise annoncée
Elle aura fait monter les enchères. Il faut dire que la crise qui frappe le parti depuis mardi, ébruitée d’abord par notre confrère Business News, aura été l’occasion de constater l’énorme capital sympathie de l’égérie d’Afek Tounes, Emna Mnif. « Si Emna part, nous partirons ! », telle était la phrase reprise en chœur par des militants dans les réseaux sociaux ces dernières 48 heures de tension.
Après l’annonce d’une série de démissions (le chiffre de 15 démissions fut d’abord avancé), Le Courrier de l’Atlas avait contacté dès hier des membres du comité central qui devait se réunir en urgence dans l’après-midi. Ceux-ci nous ont d’abord révélé que les démissions à proprement parler n’étaient qu’au nombre de 5, envoyées la veille par email à la direction. Puisqu’au terme de la tant attendue réunion de crise, aucun communiqué n’aura finalement été publié, nous avons préféré nous abstenir de spéculer.
Mais voici qu’Emna Mnif choisit ce matin de sortir de son mutisme sur les ondes d’Express FM, sans doute pour désamorcer une crise quasi existentielle qui aura fait couler beaucoup d’encre doublée d’un mélodrame qui aura alimenté toutes sortes de rumeurs sur le devenir d’Afek.
« La crise n’est pas idéologique »
Celle qui incarne la ligne moderniste et probablement la plus à gauche du parti, s’est d’abord employée à minimiser l’ampleur de ce qu’elle considère presque comme un non-événement : préférant parler de membres démissionnaires, elle a joué la carte de l’apaisement, en imputant les principales raisons de la crise, prévisible selon elle, au fait qu’Afek est un « parti encore jeune, avec des membres d’une équipe dirigeante qui apprennent encore à vivre ensemble », rappelant au passage que ceux-ci viennent de milieux hétéroclites et autant de backgrounds différents nécessitant un apprentissage du vivre-ensemble.
Toujours selon des explications d’ordre généraliste, elle a par ailleurs évoqué une raison plus contingente dont nous avions déjà parlé lors d’un précédent article : l’ascension fulgurante du parti né fin mars 2011 et depuis déjà propulsé dans la cour des grands. Victime de sa propre croissance éclair, le parti peinerait selon sa porte-parole à composer avec un succès qui pousse ses membres à occuper le terrain en multipliant les fronts, ce qui a provoqué une sorte de surrégime structurel.
Interpellée au sujet de rumeurs plus précises, faisant état d’âpres divergences au sujet d’une éventuelle alliance avec le PDM (Pôle Démocratique Moderniste), Emna Mnif a confirmé que cela avait effectivement fait l’objet d’un vote interne aboutissant à un rejet de la proposition initiée par elle-même. Nos sources au sein du parti nous ont quant à elles confié que cette dernière ainsi que le clan qui s’est formé autour d’elle, n’en avaient pas accepté les résultats et ont préféré dans un premier temps claquer la porte.
Ce matin, celle qui se présentait plus humblement comme aussi une simple militante du parti est revenue sur la nécessité pour elle de respecter les processus décisionnaires ainsi que les valeurs démocratiques dont la promotion commence en premier lieu au sein-même du parti.
Ainsi donc, « Afek ira seul aux élections de la Constituante », a affirmé Mnif d’un ton qui semblait relever davantage de celui de la discipline de parti que de la conviction personnelle, elle qui disait rêver d’une large coalition rassemblant l’ensemble des forces modernistes du paysage politique tunisien actuel. Même si on en est loin aujourd’hui, elle a tout de même tenu à insister sur le fait que « chaque voix qui ira à Afek est une voix en direction des idéaux du progressisme et du modernisme » malgré tout.
Il faut dire qu’une telle coalition aurait signifié de facto la mise du parti sous la direction officieuse des dirigeants d’Ettajdid qui serait resté la force dominante à la tête du Pôle. Des calculs plus subtilement politiques sont donc en jeu dans la tête des moins idéalistes qui pensent sans doute plus en termes de têtes de listes et de nombres de sièges…
Des conflits de personnes ?
Concernant la décision de ne pas publier de communiqué officiel à l’issue de la crise, Mnif a en somme expliqué qu’Afek préférait laver son linge sale en famille, estimant que tout ceci tenait de l’affaire interne au parti ne constituant en aucun cas une polémique ou une question nationale méritant un communiqué public.
Interrogée au sujet du sémillant Yassine Brahim, ex ministre du gouvernement Caïd Essebsi, ayant préféré renoncer à ses responsabilités gouvernementales pour un poste de choix à Afek, elle a nié que son intégration avait nécessité une redéfinition des rôles et des équilibres de pouvoir dans le parti. Louant les talents de d’un Brahim « coordinateur sillonnant le pays depuis des mois », elle a souligné que la philosophie d’Afek était celle d’un parti sans leader. « oui nous avons un leader officiel et un secrétaire général pour être conforme à la loi, mais en pratique nous gérons les tâches sans esprit de hiérarchie ».
Gageons néanmoins qu’une figure de leader finira par s’imposer après la fin des élections. Quant à Afek Tounes, le jeune parti soucieux de rectifier son image de « parti de cols blancs » en celle de parti de réhabilitation de la dignité des tunisiens « sort renforcé de cette crise » selon sa porte-parole qui en ex syndicaliste est rompue à l’art des négociations. Incontestablement une personnalité politique de premier plan, à suivre de près dans la Tunisie post révolution.
Seif Soudani