Etude- Que mangeaient les Tunisiens aux 18 et 19 siècles ? Une nourriture équilibrée, sans carences graves. Le couscous plat national

Etude- Que mangeaient les Tunisiens aux 18 et 19 siècles ?

Une nourriture équilibrée, sans carences graves. Le couscous plat national

Le régime des Tunisiens ne présentait pas de carences graves aux 18ème et 19ème siècles. L’orge et le blé étant des cultures largement répandues, complétées dans quelques régions du pays par le maïs, le sorgho et les légumineuses diverses. De même, les aliments protecteurs et vitamines étaient fournis par une grande variété de fruits cultivés dans le pays ainsi que les dattes. En l’an 1840, l’on comptait un million de dattiers dans les oasis. Soit un arbre par habitant. Les graisses d’origine animale et les protides étaient selon les régions variablement disponibles. Le sel existait sur la côte orientale et en bordure des oasis.

C’est ce que nous apprend une étude de Lucette Valensi, intitulée Consommation et usages alimentaires en Tunisie aux XVIIIe et XIXe siècles, et consultable sur le site http://www.persee.fr.

D’emblée, l’auteur tire la conclusion que le potentiel alimentaire tunisien était théoriquement assez varié pour répondre aux normes de la diététique actuelle. Mais il introduit une nuance de taille, en précisant pour que les hommes soient bien nourris, il faut encore que le volume de la production soit régulier, que la circulation des produits et leur distribution assurent une certaine égalité entre les consommateurs. Or ce n’était pas toujous le cas.

Thé, café et sucre, produits de luxe. Par ailleurs, il existait des produits totalement inaccessibles, tels les produits importés considérés alors comme des produits de luxe qui n’étaient disponibles ni dans les marchés urbains ni dans les repas des nantis, tels le thé, le café, le sucre. Il est un fait que la majorité de la population continue d’en ignorer l’usage. A tel point, signe de sa grande valeur, que le sucre figurait dans les présents qu’adressaient la cour de France au Bey !

Fort heureusement, l’autosuffisance alimentaire était assurée à l’époque, cette dépendance vis-à-vis de l’Europe étant limitée essentiellement à ces trois produits. Le Maghrébin ajoute Valensi, vit d’abord de ses grains dans son alimentation quotidienne. Il se passe des apports extérieurs et se contente des produits du cru.

Nous faisons une autre incursion dans le pays en compagnie cette fois ci d’un médecin dénommé Peyssonnel qui a visité la Tunisie au début du XVIII ème siècle, et découvrons alors une classification des régimes alimentaires du plus riche au plus pauvre.

A la table du bey. Le médecin voyageur nous raconte alors qu’au sommet s’installe copieusement la table du bey, bien garnie avec du pileau de riz, du couscous et de la viande, consommée sous des formes diverses : volailles rôties, brochettes de mouton ou encore feuilles de vigne farcies de viande hachée et cuites dans la cendre. Fruits, pain blanc et pâtisseries agrémentent la table et l’eau pure est servie à la fin du repas.

La catégorie en dessous est représentée par les citadins qui ne s’alimentent pas au riz, denrée couteûse, celle-ci est remplacée par le couscous, ou par une bouillie accommodée au beurre et à l’huile. Les œufs sont parfois consommés ainsi que le poisson, et enfin les fruits pour boucler la boucle. L’eau est la boisson ordinaire, quelquefois le lait aigre (leben) arrose le repas.

A la campagne, bssissa et bouillies. Les paysans, eux, avaient une nourriture plus frugale, ni riz ni couscous, mais en lieu et place, des bouillies et la « bssissa » à l’eau et au lait, « l’assida » à l’huile, et le « bazine » (bouillie à base de farine et de levure) constituent leur ordinaire accompagnés d’œufs et de fuits. Prenons une région comme celle du Djérid, ses habitants étaient les moins lotis, vivant d’orge, de dattes, d’eau et de sauterelles, certains vieilliards ne connaissaient même pas le pain.

Ainsi, comme nous l’avons constaté, le médecin Peyssonnel opère une typologie à la fois sociale et géographique, en concluant que l’on mangeait à l’époque plus mal à la campagne qu’à la ville, et encore plus mal dans les régions désertiques que dans le reste du pays.

Le couscous, plat national. Sur les Bédouins, corrige l’auteur Lucette Valensi, les observations de Peyssonnel sont moins pertinentes. Ainsi en Tunisie, les paysans, comme les citadins et le bey consommaient tous du couscous. Ce plat de base traverse les clivages sociaux. Et la règle moyenne était de faire deux repas : le premier, au matin, ou au milieu du jour, composé de pain et d’olives ou de pain trempé dans un mélange de miel et de beurre et d’un bol de lait aigre. Le second pris au coucher du soleil et plus copieux ; où l’on retrouve tantôt le couscous enrichi de légumes et d’épices tantôt l’assida ou d’autres bouillies et ragoûts.

A titre comparatif, une ration de couscous avec viande, légumes et épices correspond aujourd’hui à 1.500 calories, selon la viande utilisée. Pour être bien nourris, au passé comme au présent, il faudrait que les Tunisiens mangent régulièrement un couscous quotidien, ce qui était généralement le cas, mais parallèlement il faut qu’ils trouvent un millier de calories dans le pain, le lait et les aliments du premier repas. Cette seconde condition  précise l’auteur n’était pas toujours réalisée notamment à la campagne dans la Tunisie précoloniale.

Toutefois, un équilibre alimentaire plus ou moins fluctuant était assuré malgré tout a-t-on appris au final. La simplicité des habitudes alimentaires chez la majorité des Tunisiens était en partie compensée par l’abondance des jours de fête qui donnaient lieu à des cérémonies familiales et religieuses et des festins où il est donné à tout le monde de se régaler à profusion.

Soufia Limam

 

Consommation et usages alimentaires en Tunisie aux XVIIIe et XIXe siècles


 Lucette Valensi


Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, Année 1975, Volume 30, Numéro 2