Tunisie – Le texte de la Déclaration de transition démocratique divise déjà la classe politique

Cela devait être le plus haut fait d’armes de Yadh Ben Achour, président de la Haute Instance pour la Réalisation des Objectifs de la Révolution, qui espère finir sa mission sur une bonne note : avoir su mettre d’accord les 12 plus grandes formations politiques représentées au sein de son instance autour d’un texte solennellement appelé « Déclaration de transition démocratique », régissant comme son nom l’indique la délicate période de vacance du pouvoir et de transition démocratique qui suivra les élections de la Constituante.

L’homme ne cachait pas sa satisfaction d’avoir pu ainsi désamorcer la crise née des divisions de la classe politique tunisienne sur la tenue d’un référendum en même temps que les élections, dont les questions auraient eu trait principalement à la durée du mandat de la Constituante, ainsi qu’à ses prérogatives, dont beaucoup s’inquiètent du caractère absolutiste. Un référendum qui ne serait donc plus d’actualité grâce au consensus trouvé au sein de la HIROR.

Un hic est cependant venu entacher le tableau consensuel dont se prévalait Ben Achour dès hier en annonçant avoir obtenu l’unanimité sur un texte qui serait d’autant plus légitime : le CPR de Moncef Marzouki s’est désisté au dernier moment, en refusant de signer le document, réduisant la liste des signataires à 11 partis. Qu’à cela ne tienne, Ben Achour a conclu son intervention en affirmant : « Ce document, c’est un appui à la volonté du peuple. Nous allons le proposer à tous les partis et aux indépendants pour qu’ils le signent ».

Le Courrier de l’Atlas a pu se procurer le texte de la Déclaration, publié à la mi-journée suite à la réunion des signataires au Palais des Congrès de Tunis avec des représentants de la société civile et quelques médias triés sur le volet.  Extraits :

1-      S’engager fermement pour la tenue des élections à la date du 23 octobre 2011.

2-      Se plier à la charte régissant l’action des partis politiques et des candidats, issue de l’Instance supérieure indépendante pour les élections, et ce durant toutes les étapes transitoires. Le but étant d’assurer une concurrence saine entre les politiques en évitant la publicité électorale dans les lieux de culte, les institutions éducatives, administratives et dans les lieux de travail.

 

Deux premiers points qui concernent donc l’avant-élections, et dont on ne manquera pas de remarquer qu’ils peuvent empiéter sur les prérogatives de l’ISIE, instance indépendante des élections, ou qu’ils la renforcent dans ses positions, selon les interprétations.

 

3- S’accorder pour que la durée d’exercice de l’assemblée constituante ne dépasse pas  une année au maximum, pour que le pays se penche sur les affaires importantes, surtout au niveau social et économique.

 

Ce point sera (et est déjà) le plus polémique. C’est précisément sur cette question relative à la durée du mandant de la constituante pour l’écriture d’une nouvelle Constitution que le CPR n’a pas donné son accord. Pour le parti de Marzouki, on ne saurait fixer une date à cela à une entité souveraine et élue, d’avance. Le CPR prévoit de réclamer 3 années, voire plus à cet effet… Ce qui vaut déjà à son chef des critiques et des soupçons de vouloir siéger un maximum de temps dans la nouvelle assemblée, au mépris de l’intérêt du pays.

 

Le reste du texte consiste en ce que certains appelleront des vœux pieux, tant ils appellent au consensus et à l’union nationale sans réelle légitimité, puisqu’une fois fort du vote populaire, la Constituante se réserve tous les droits, y compris celui d’ignorer ces recommandations :

 

4-      Continuer le dialogue et tendre vers le consensus entre les différentes parties pour le bon déroulement de ce contexte transitoire.

 

5-      Etablir une vision globale et souple de la manière avec laquelle le pouvoir devrait être transmis après les élections de l’assemblée constituante.

 

Enfin le texte se veut plus précis s’agissant des modalités de nomination d’un futur gouvernement provisoire, avec un autre point polémique :

 

–    Le président par intérim actuel et son gouvernement de transition, seront maintenus à leur poste jusqu’à la nomination d’un nouveau président et gouvernement après l’élection de la constitution.

Ici il faut comprendre que le président et le gouvernement en question n’auront plus le pouvoir de gouverner par décret et ne s’occuperont plus que d’expédier les affaires courantes.

Voici le reste de la déclaration :

 

–    Après l’annonce des résultats des élections, le président par intérim actuel convoquera la première réunion de l’assemblée constituante.

–    L’assemblée constituante élira un président pour gérer et diriger ses travaux de ses séances et constituera un comité de rédaction de son règlement intérieur.

–    L’assemblée constituante fixe le régime des pouvoirs publics et élit un nouveau président de la république.

–    Le nouveau Président de la République charge un premier ministre de former un gouvernement après concertation avec les différents membres de l’assemblée nationale constituante. Le gouvernement actuel continuera à gérer les affaires courantes jusqu’à la nomination de ce nouveau gouvernement.

–    Le président de la République soumettra le nouveau gouvernement et son programme à l’approbation de l’assemblée constituante.

–    L’assemblée constituante, le nouveau président de la République et le gouvernement, entameront leur mission avant qu’ils ne cèdent la place à des autorités définitives et pérennes, suivant la constitution adoptée par l’assemblée constituante.

 

On notera enfin que même parmi les signataires, certains à l’image des dirigeants du PDP, Issam Chebbi en tête, affichent d’une part leur satisfaction quant à la délimitation du délai imparti à la rédaction de la constitution, mais se disent toujours d’autre part préoccupés par la question des prérogatives, rappelant que cette assemblée pourra malgré tout gouverner le pays pendant la prochaine année puisque le gouvernement qu’elle va nommer ne peut qu’être faible et de nature technocratique. Ce qui peut potentiellement la distraire de sa tâche constitutionnelle, notamment une fois aux prises avec le chantier de la relance économique.

 

S.S.