Tunisie- La fronde s’organise contre la nomination d’Iqbal Gharbi à la tête de radio Zitouna
Mardi 13 septembre, nous annoncions la nomination d’Iqbal Gharbi à la tête de la radio coranique Zitouna, première femme nommée à la tête d’un média islamique. Mais l’événement de taille résidait dans l’enjeu qu’il y avait en la nomination d’une porte-voix du modernisme et d’un islam réformiste à la tête d’une institution réputée conservatrice, à la ligne éditoriale connue pour son orthodoxie. Une semaine plus tard, Le Courrier de l’Atlas vient d’apprendre qu’Iqbal Gharbi n’a pas encore mis les pieds dans les locaux de la Zitouna à Carthage…
Alertés dès hier par des mouvements de foule devant la petite villa qui sert de siège à la radio, nous allons à la rencontre de ses employés. Nous savions déjà que la nomination par l’Etat de cette exégète atypique de l’islam avait d’emblée soulevé un tollé au sein des courants les plus conservateurs et radicaux, sensibilités majoritaires au sein-même de la radio. Ce que nous avons découvert est une fronde d’envergure, allant du simple technicien au sommet de la hiérarchie plutôt rigide de cette maison, incarnée par cheikh Mohamed Machfer, un ancien proche de Sakhr Materi ayant réussi à se maintenir à la tête de la radio, passant du poste de sous-directeur à celui de directeur général de la radio mise sous tutelle judiciaire au lendemain de la révolution le 14 janvier.
Une contre-révolution interne
« Madame Iqbal Gharbi ne foulera pas le sol de cette radio et n’est pas prête de le fouler ». C’est en substance ce que l’ensemble des employés de la radio nous ont annoncé, brandissant une pétition qu’ils se prévalaient d’avoir faite signer par « des milliers de tunisiens et d’auditeurs de la chaîne ». En l’examinant de plus près, nous ne recensons en réalité que 250 signatures. Qu’à cela ne tienne, « c’est une gauchiste ! » nous lancent des techniciens, « il ne manquerait plus qu’une femme nous dirige » murmure même un autre. « Vous verrez, elle vous ôtera votre voile ! » renchérit une des employées quasiment toutes voilées, contrairement à Mme Gharbi.
L’autre argument que tous avaient à cœur de nous révéler est que, selon eux, Iqbal Gharbi, universitaire spécialiste de psychologie, n’a pas le profil de théologienne nécessaire à une telle nomination, et n’aurait pour seule qualité expliquant son « parachutage » que celui d’être une cousine de l’actuel ministre provisoire des Affaires religieuses.
Pour ajouter à cette hostilité, il existe en outre un vieux contentieux opposant le personnel à tout ce qui est en provenance de l’Université de la Zitouna, établissement où enseigne Iqbal Gharbi. Ce rejet de principe provient d’une tradition de rivalité instaurée par un ex directeur de la radio, Kamel Omrane, un autre moderniste nommé devenu ministre des Affaires religieuses une semaine avant la révolution en janvier dernier avant d’être contraint à la démission.
L’impression que nous laisse le staff est celui d’une organisation profondément orthodoxe qui résiste à toute velléité de réforme, diabolisant toute remise en question intérieure pourtant rendue nécessaire par le contexte révolutionnaire.
Le prétexte administratif
Nous retournons ce matin rencontrer le directeur de la Zitouna, Mohamed Machfer, absent hier mais qui souhaitait nous recevoir afin de clarifier les choses sur un terrain moins polémique mais aussi moins politique.
Le problème est selon lui purement d’ordre administratif. Pour expliquer l’impossibilité d’Iqbal Gharbi de rejoindre le poste pour lequel on l’a désignée et qui ferait d’elle sa supérieure, il axe tout son raisonnement sur un vice de forme : « l’Etat tunisien a commis une grossière erreur » martèle-t-il : « Ici nous ne sommes pas une SA (société anonyme) pour que l’Etat désigne à notre tête une chef du conseil d’administration (en remplacement de la tutelle judiciaire provisoire exercée par un juge). Nous sommes une SARL (société à responsabilité limitée), nous n’avions pas d’actionnaires autres que Sakhr Materi fondateur de la radio, contrairement à d’autres de ses acquisitions ayant un conseil d’administration », précise-t-il avec assurance.
Avec un avocat à ses côtés, il nous affirme que nous tombons bien puisqu’une procédure est en cours suite à une plainte déposée en vue d’empêcher qu’à l’avenir ni Iqbal Gharbi ni un autre chef de conseil d’administration ne puisse être désigné en cette qualité.
Au final, tous ces arguments semblaient mal cacher une volonté politique de réaffirmer une main mise sur un média important et surtout des raisons moins avouables d’une hostilité ayant trait à des conceptions antagonistes de l’islam. Un épisode qui révèle incidemment que la radio poursuit sa fuite en avant idéologique, de plus en plus fondamentaliste.
Seif Soudani