La santé au Maroc, corrompue jusqu’aux os
Une étude sur la corruption, première de son genre dans le secteur de la santé, vient de révéler l’état des lieux de l’hôpital marocain. Des chiffres honteux mais parfaitement en phase avec la réalité constatée dans nos établissements de soins.
La ministre de la Santé, Yasmina Baddou, ne pouvait pas partir sans faire ses adieux à ces professionnels du métier qui l’ont pas mal agacée durant sa mission. En 2008, la ministre avait signé une convention avec Transparency Maroc et avait lancé un numéro vert qui n’a servi qu’à enregistrer les plaintes des citoyens. En commanditant cette étude sur la corruption qui vise les hôpitaux, en partenariat avec l’Instance centrale de prévention contre la corruption (ICPC), Yasmina Baddou mitraille sans merci tout le personnel de la santé.
Santé corrompue
1 197 personnes ont été interrogées à Casablanca, Rabat, Tanger, Oujda et Marrakech, dans la ville comme dans les régions rurales alentours. 3 personnes sur 10 ont déclaré avoir eu recours à la corruption pour bénéficier de prestations de soins. Entendez : recours forcé ! Plus répandue dans les établissements publics que dans les institutions privés, la corruption sévit surtout dans les grandes villes. « Casablanca et Rabat affichent les taux de corruption les plus importants », relève l’étude qui sauve l’honneur d’Oujda qui s’avère être la moins contaminée.
Les services les plus concernés par ces « dons » sont l’accueil, l’information, l’orientation et la délivrance de certificats médicaux. La dite corruption peut prendre plusieurs formes selon l’étude qui a énuméré des actes de rétribution indu, de pots-de-vin, de favoritisme et de gratification. Autrement, le patient encaisse des traitements abusifs, une surtarification, des facturations frauduleuses basées sur des soins fictifs, un accaparement du temps, du matériel et des locaux à titre privé… Les institutions privées n’échappent pas à la corruption non plus. Notons que la grande partie de leur personnel travaille en parallèle dans le public.
Corruption culturelle
Selon l’étude, les montants des pots-de-vin sont à 75% inférieurs à 100 DH. En général des billets de 20 à 50 DH. En réalité, ça peut commencer à 5 DH donnés à l’agent de sécurité, à la femme de ménage, ou à l’aide soignante. Ça peut atteindre des sommes énormes adressées à des majors ou à des médecins. Même les externes de médecine et les infirmiers stagiaires finissent par attraper les vices du métier. Ce qui pousse les patients à perdre confiance et à juger tout le personnel médical corrompu, jusqu’à preuve du contraire. « Quand je refuse une pièce de 10 DH ou un billet de 20 d’un parent de patient, il me regarde avec incrédulité puis comme si j’étais une demeurée. Souvent, il m’arrive de me mettre en colère et de leur crier que c’est de leur faute, si la corruption en est arrivé à ce stade », s’énerve une externe en gynécologie-obstétrique, l’un des services les plus chauds du CHU Ibn Rochd de Casablanca.
En effet, la corruption est tellement banalisée qu’elle prend des fois la forme de gratification. C’est-à-dire un geste de remerciement envers la personne qui s’est évertué à faire « son boulot ». Il est vrai que l’absence de chantage peut ôter à l’acte de gratification son aspect immoral, mais le « remerciement payant » n’est en fait qu’un acte de corruption… a posteriori.
Si tout le monde souffre de ce phénomène, peu de patients ou familles dénoncent les faits. En premier lieu, parce que le caractère urgent de la nécessité des soins leur impose le silence. Puis, une fois le patient rétabli, il n’a envie plus que de quitter les lieux, sans prise de tête et des fois même avec une reconnaissance imméritée. En second lieu, la solidarité du personnel de santé se dresse souvent comme une barricade à toute atteinte à l’un des leurs. Complicité ou silence, rares sont les cas de dénonciation au sein du personnel. En dernier lieu, l’absence de la mise en place d’un appareil punitif sérieux, à l’encontre des manquements au devoir, s’imposera toujours comme une barrière à la qualité des soins et du comportement envers les malades.
Fedwa Misk