Pourquoi la pénurie en lait s’installe en Tunisie ?

 Pourquoi la pénurie en lait s’installe en Tunisie ?

Une pénurie en lait qui exaspère les Tunisiens à quelques jours des élections.

Une grave pénurie en lait s’installe dans la durée en Tunisie. Après plusieurs mois de mutisme, les pouvoirs publics réagissent mais tentent toujours de minimiser le problème. Le Courrier de l’Atlas a enquêté sur place pour comprendre les raisons d’une crise largement évitable. Dans un pays où l’industrie du lait se porte pourtant plutôt bien, nous avons pu constater l’exaspération des Tunisiens face à une situation qui dure depuis trop longtemps et menace désormais la paix civile, à 10 jours des élections du 23 octobre.

 

 

On croyait le phénomène conjoncturel, lié soit à la frénésie de la consommation caractéristique du mois du ramadan (août 2011), soit au conflit libyen. Mais la pénurie en eau minérale, et surtout en lait, a survécu au mois saint et à la révolution libyenne. Pire, en s’aggravant au point de ne plus trouver un seul paquet de lait dans la région du Grand Tunis, ni en grande surface ni même parfois chez les épiciers depuis plusieurs semaines, le problème devient clairement structurel.

Signe qui ne trompe pas de l’urgence de la situation malgré des paroles apaisantes, le ministère de tutelle du secteur a été contraint à deux sorties médiatiques en une semaine. Dès le 6 octobre, Lassaad Labidi, chef du cabinet du ministre du Commerce et du Tourisme, déclarait que la Tunisie importera 50 millions de litres d’eau minérale d’Italie, soit environ un stock équivalent à un mois de consommation en Tunisie et des quantités de lait susceptibles de servir d’appoint à la production nationale. Hier soir mardi au JT de 20H de la TV nationale, c’est le ministre lui-même, Mehdi Houas, qui a dû s’expliquer.

Le stockage de précaution, principal responsable

Il s’est d’abord voulu rassurant en rappelant que la Tunisie disposait de réserves conséquentes en lait estimées à 14 millions de litres. La production quotidienne de lait y dépasse les 1,3 millions de litres. La demande en consommation quotidienne des Tunisiens pour le mois d’octobre ne dépasse pas en temps normal les 1,4 millions de litres. « Nous avons injecté jusque 1,6 millions de litres de lait dans les marchés, mais cela s’avère toujours insuffisant à combler la demande. Nous avons constaté que plus nous inondons le marché, et plus la consommation augmente », a-t-il déploré. En cause selon le jeune ministre, une certaine psychose irrationnelle qui continue de s’emparer des Tunisiens à l’approche des élections.

« Ne nous voilons pas la face, beaucoup de nos concitoyens craignent une période de troubles pendant le test électoral et sécuritaire que s’apprête à subir le pays, mais cela n’a pas de sens : le plus dur est passé et il n’y a pas de raisons de penser que le pays manquera de quoi que ce soit durant les mois à venir », a-t-il rassuré, sans vraiment convaincre.

En effet, le soir-même nous constations que même en limitant les achats à 1 pack de 6 paquets de lait par client, pas le moindre paquet ni bouteille de lait n’était disponible sur les étals dans les rayons la grande distribution (vidéo filmée à Carrefour).

« Les gens stockent du lait pour plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Si cela continue ainsi, il est sûr que nous ne pourrons pas faire face », fulmine un responsable visiblement gêné par notre présence.

Une exportation illicite difficile à juguler

Par ailleurs, interrogés par nos soins sur le rôle de la crise libyenne dans cette situation, des cadres du ministère du Commerce évoquent un devoir de solidarité qui a rendu nécessaire d’importer des quotas supplémentaires de denrées alimentaires de base, dont le lait pour la Libye voisine, et ce depuis 6 mois déjà.

Malgré ces dispositions, ce n’est un secret pour personne, les circuits parallèles d’export sont en plein essor : difficile en effet de dissuader les particuliers et certains producteurs locaux de ne pas vendre directement aux chauffeurs routiers libyens au prix fort et sans aucune comparaison avec les prix pratiqués nationalement. Cela reste légal. Ceux-ci sont toujours plus nombreux à sillonner la Tunisie, causant même des embouteillages monstres aux postes frontières qui luttent tant bien que mal contre le marché noir.

Les autorités douanières n’arrêtent toutefois en moyenne que deux camions par jour sans autorisation d’importation légale, et estiment ce marché parallèle à 10% à peine, alors que les 90% restants relèvent d’un commerce licite mais qui pose l’épineux problème d’une concurrence déloyale.

D’où des mesures de rétorsion prises tout récemment par les autorités mais qui, débordées, peinent à faire appliquer la restriction de vente aux marchés locaux, imposées aux producteurs.

Seuls une dose de patriotisme et un sens de la responsabilité des Tunisiens en cette phase historique pour le pays pourront permettre de voir le bout du tunnel.

Seif Soudani