Maroc – Abdelilah Benkirane du PJD : barbus mais pas rétrogrades !
Le parti islamique marocain est fortement actif sur la scène politique. Imperturbable face à la « coalition pour la démocratie », Abdelilah Benkirane qui lorgne le poste de chef du futur gouvernement, affiche un visage modéré, « charmeur », et s’évertue à gommer les a priori sur les tendances castratrices de libertés de son parti.
Dans une interview accordée à Economie et Entreprises, Abdelilah Benkirane assure que le but de son parti n’est pas d’effrayer les hommes d’affaires. « Nous ne sommes pas des Robin des bois et nous n’allons pas appauvrir les riches pour enrichir les pauvres. Cette politique favorise les évasions et elle n’est pas équitable car chacun a le droit de jouir des fruits de son effort », explique-il, s’éloignant du modèle socialiste sans glisser dans le modèle libéral qui selon lui « érige la liberté d’initiative en rang suprême et crée des laisser pour compte », ces derniers qu’il compte sauver par une économie basée sur le développement durable.
Le PJD apporte-il du nouveau ?
« Tous les programmes économiques qui sont en cours sont globalement bien. Mais nous avons un problème d’application », dit le secrétaire général du parti faisant l’allusion habituelle aux lobbies qui s’interposent entre le gouvernement et M6 et « qui ont des intérêts illégaux ». L’allusion est plus claire quand il déclare : « Une des conséquences de cet autoritarisme est la prévalence des monopoles, notamment à travers l’ex-ONA et d’autres opérateurs économiques. Le PJD est convaincu du fait que les monopoles doivent disparaître ».
Le programme du PJD ne s’éloigne pas de celui des autres partis sur le plan économique. Il avoue même des lacunes en matière de tourisme : « Il est vrai que notre parti n’est pas fort dans le tourisme, mais on fera certainement appel aux compétences des autres si l’occasion se présente », ainsi qu’un manque visible en profils de leadership économique : « Nous en avons quelques-uns mais je concède que nous n’avons pas de grands managers dans la perception anglo-saxonne ou francophone ».
Benkirane brandit la seule carte de l’éthique « nous allons essayer d’apporter du sérieux et de l’éthique à toutes ces bonnes orientations », dit-il faisant implicitement le rapprochement entre religion et intégrité, même s’il le nie formellement : « Les gens ne votent pas pour le PJD parce qu’il est un parti religieux, mais parce que nos élus sont intègres et prennent à cœur la gestion des collectivités locales. Le facteur religieux vient en renfort ».
Abdelilah Benkirane incite aussi les hommes d’affaires à s’impliquer davantage dans la politique au lieu de compter sur le seul régime. « Je peux d’ores et déjà vous promettre que si demain nous sommes aux affaires, les patrons seraient agréablement surpris. Ils doivent juste être socialement responsables, payer leurs impôts et agir pour un développement intégré du Maroc. Dès maintenant, j’invite M. Mohamed Horani, patron de la CGEM , à une rencontre pour discuter de cela ».
Croyance et religion
« Le PJD n’est pas le gardien de la religion musulmane. C’est une fonction du ressort des commandeurs des croyants. Donc, nous n’allons pas accéder au pouvoir pour interférer dans les croyances des Marocains, ni dans leur comportement personnel ni pour transgresser leur espace privé », déclare Benkirane concernant la question sensible de la religion, dans le climat bouillonnant que connait la rue arabe à ce sujet.
Il affiche même une « tolérance » impressionnante, en parlant toujours des hommes d’affaires : « Bien sûr, certains ne pourront pas nous inviter le jour où ils mettront du vin sur la table, mais on s’entendra sur le reste (Rires) ».
Il reste néanmoins intraitable sur la question du tourisme sexuel. « Dans les scandales répétitifs qui ont eu lieu, je trouve que l’Etat n’a pas fait preuve de fermeté ». Une dernière rencontre avec les réseaux militants féminins s’est même soldée par un succès inattendu.
Une « turquisation » du PJD marocain ? Non ! « Nous n’allons pas devenir comme le PJD turc. Nos identités nationales sont différentes ». Le visage emblématique du PJD reconnait par contre avoir beaucoup d’estime pour Tayyip Erdogan qui a « sauvé la Turquie de la faillite et en a fait une économie bien classée à l’échelle européenne et mondiale », expliquant qu’il serait de l’avantage du Maroc de profiter au maximum de l’accord de libre échange avec les Ottomans.
Fedwa Misk