Dossier : 17 octobre 1961. Vers la fin de l’amnésie ?
La nuit d’horreur du 17 octobre 1961 a longtemps souffert d’une amnésie collective. À l’occasion du cinquantenaire de l’événement, peut-on enfin faire toute la lumière sur cette tragédie et recouvrer la mémoire ?
HISTOIRE. 17 octobre 1961, vers la fin de l’amnésie ?
La guerre d’Algérie s’est aussi jouée sur le territoire français. La manifestation du 17 octobre 1961 en est une preuve aussi sanglante qu’irréfutable. Par Hafid Nidane
A cette date, les négociations entre le gouvernement provisoire de la République algérienne et le gouvernement français sont bien entamées. Mais chaque acteur, le FLN comme le général de Gaulle, souhaite se placer en position de force.
L’été 1961 est particulièrement tendu en métropole suite à la recrudescence des attentats perpétrés par la fédération française du FLN. Les pouvoirs publics répondent par une répression toujours plus impitoyable.
Papon à la manœuvre
A Paris et dans sa proche banlieue, l’action répressive est confiée, depuis mars 1958, à Maurice Papon. Sans évoquer sa funeste carrière sous le régime de Vichy, le préfet de police bénéficie d’une expérience des « questions nord-africaines », acquise lors de ses précédentes affectations au Maroc et en Algérie. Il innove en mettant en place une répression violente avec le recours à des harkis, associée à une présence permanente auprès de la population algérienne grâce à des services spécialisés chargés de l’aide sociale qui remplissent une mission d’action psychologique et de renseignement.
Cette stratégie importée des colonies est bien implantée en 1961. Les immigrés algériens subissent des arrestations quotidiennes, des détentions sans motif, des violences permanentes.
Malgré tout, la colère est grande au sein de la police parisienne, après la mort de 11 policiers dans des attentats du FLN entre fin août et début octobre 1961. Certains entendent faire justice eux-mêmes et pratiquent des passages à tabac ou « ratonnades ». L’Institut médico-légal recense toujours plus de cadavres retrouvés dans la Seine.
Papon, qui ne veut pas perdre le contact avec ses hommes, leur assure que s’ils tirent les premiers, ils seront couverts, et déclare : « Pour un coup reçu, nous en porterons dix. » Le 5 octobre, un couvre-feu est instauré pour les « Français musulmans d’Algérie » de la région parisienne entre 20h30 et 5h30.
La réplique du FLN rompt avec la logique de guerre des attentats et doit prendre la forme d’une grande action pacifique. Elle est fixée au soir du mardi 17 octobre 1961.
La manifestation réunit l’ensemble de la communauté algérienne : hommes, femmes et enfants. Les membres du FLN fouillent les participants pour vérifier qu’aucune arme n’est introduite dans le cortège, puis rappellent la consigne : ne répondre à aucune provocation, ne faire preuve d’aucune violence.
Le rassemblement se répartit en trois secteurs, symboliques des lieux du pouvoir politique et culturel de la métropole coloniale : les Grands Boulevards vers lesquels convergent les Algériens de toute la banlieue nord et nord-est ; les boulevards Saint-Michel et Saint-Germain jusqu’à l’Assemblée nationale pour ceux du sud de la capitale et de la banlieue ; l’Etoile et les Champs-Elysées pour les nombreux Algériens de la banlieue ouest, se regroupant au préalable au pont de Neuilly.
Chasse au faciès
Immédiatement la manifestation dégénère dans un déchaînement de violences inouï. Sur les ponts aux portes de Paris, des coups de feu sont tirés. Partout dans la capitale, au métro Concorde, devant le cinéma Le Rex, sur le boulevard Saint-Michel, les manifestants sont systématiquement matraqués, souvent jusqu’à ce qu’ils s’effondrent.
La cour de la préfecture de police sur l’île de la Cité, à l’abri des regards, est le théâtre d’exactions particulièrement graves. Des corps sont précipités dans la Seine. Pendant plusieurs heures, en plein Paris, se déroule une chasse au faciès meurtrière au vu et au su de tous.
Sur les 22 000 manifestants s’étant rassemblés sous la pluie battante de ce mardi, 11 538 sont arrêtés, soit plus de la moitié ! Ils sont transférés, parfois à l’aide d’autobus réquisitionnés auprès de la RATP, dans des centres : au Palais des sports, au Parc des expositions de la porte de Versailles, au stade de Coubertin, au centre d’identification de Vincennes.
Dépouillés de leurs effets personnels puis détenus dans des conditions déplorables, parfois pendant quatre jours, les hommes subissent les pires brutalités. Beaucoup mourront de traumatismes répétés et non-soignés.
Le lendemain, le bilan officiel est de trois morts. La presse qui s’est vue interdire toute présence sur les lieux de la manifestation, reprend la ligne officielle. Certains journaux, comme France Soir ou L’Aurore, félicitent la police pour son action.
La version officielle rapidement contestée
Mais de nombreux témoignages viennent rapidement contredire cette version, notamment ceux des journalistes de L’Humanité qui relatent des scènes de violence visibles depuis leurs fenêtres. Des photographies ont également été prises clandestinement par le reporter Elie Kagan.
Les jours suivants, les grands titres de la presse française offrent une vision plus nuancée des événements allant jusqu’à dénoncer « les violences à froid » dont ont été victimes les manifestants. Le Figaro lui-même s’interroge sur « les actes odieux dont les forces de l’ordre se seraient rendues coupables ».
Malgré les efforts de quelques parlementaires, notamment le sénateur Gaston Defferre et le député Eugène Claudius-Petit, le gouvernement empêche la création d’une commission d’enquête. Rapidement, la nuit du 17 octobre 1961 tombe dans l’oubli.
Bien que la presse n’ait pas été totalement silencieuse et que des cercles militants en parlent, la mémoire du 17 octobre n’émerge pas. Un autre événement dramatique a davantage marqué l’opinion. Le 8 février 1962, lors d’une manifestation contre l’OAS et pour la paix en Algérie, neuf personnes trouvent la mort sur les grilles du métro Charonne, à la suite d’une charge de police. Cette date devient le symbole de la violence d’Etat pendant la guerre d’Algérie.
L’occultation tient à d’autres mécanismes. La censure a fait son œuvre. Par exemple, en octobre 1962, le film de Jacques Panijel, Octobre à Paris, est immédiatement saisi. L’Etat français recouvre d’une chape de plomb tous les drames et les crimes liés à la guerre d’Algérie. Cet effacement se concrétise par la loi d’amnistie du 31 juillet 1968. Dans les familles algériennes, comme souvent lorsqu’il s’agit d’un traumatisme, cet épisode devient tabou. Pour tous les acteurs, l’indépendance de l’Algérie est l’occasion de tourner la page.
La fin d’un tabou
Après une phase de latence, l’événement ressurgit dans les années 80 et 90. En 1980, le journal Libération publie un dossier intitulé « Il y a 19 ans : un massacre raciste à Paris. » La parution en 1984 du roman de Didier Daeninckx, Meurtres pour mémoire (1), touche le grand public.
En 1991, Jean-Luc Einaudi, après s’être vu refuser l’accès aux archives, avance dans son ouvrage La Bataille de Paris (2) le chiffre de 325 morts. Plus tard, en 1999, au terme d’un procès qui l’oppose à Maurice Papon, le tribunal reconnaît que le 17 octobre 1961 eurent lieu des « massacres ».
Ces avancées de la mémoire doivent aussi beaucoup à des mouvements associatifs tels que Au nom de la mémoire ou 17 octobre 1961 contre l’oubli. De nombreux immigrés algériens, notamment des enfants de victimes, se mobilisent. Certains d’entre eux déposent une plainte contre X pour crime contre l’humanité, mais elle n’aboutira jamais.
La parole se libère davantage à l’occasion du quarantième anniversaire. Non sans polémiques, le conseil municipal de Paris vote la pose d’une plaque au pont Saint-Michel “à la mémoire des nombreux Algériens tués lors de la répression sanglante de la manifestation du 17 octobre 1961”.
De manière générale, la question de l’ouverture des archives et de la version officielle de l’événement reste posée. Les documents sont peu accessibles et lacunaires, comme ceux de la Brigade fluviale, qui ont mystérieusement disparu.
Deux historiens britanniques, Jim House et Neil MacMaster ont pu mener l’enquête (3) et, sur la controverse liée au nombre des victimes, établissent un bilan minimal d’une centaine de morts. Ils démontrent parfaitement le processus d’une violence d’Etat colonial, dont le 17 octobre 1961 est le paroxysme. Mais les faits ne se diffusent que très lentement au sein de l’opinion, des établissements scolaires et des milieux politiques. Surtout, cinquante ans après, la vérité n’est pas encore reconnue officiellement.
Hafid Nidane
(1) Editions Gallimard, collection Folio policier.
(2) Editions du Seuil. Titre en référence à la bataille d’Alger de 1957.
(3) Les Algériens, la terreur d’Etat et la mémoire, éditions Tallandier, Paris, 2008.
REACTIONS. Une tragédie escamotée par la presse de l’époque
Le 18 octobre, les quotidiens nationaux rapportent les manifestations de la veille selon leur sensibilité politique. Mais il faudra attendre plusieurs jours pour qu’apparaisse un consensus dénonçant la violence policière. Retour sur les archives de l’époque. Par Hanane Harrath
La consigne était claire : Papon ne voulait aucun journaliste sur les lieux des manifestations. Les seules télévisions présentes étaient étrangères, et la plupart des photos prises ce jour-là, sont dues au photoreporter intrépide Elie Kagan. Difficile donc, pour les quotidiens nationaux, qui ne disposaient que des sources officielles, en l’occurrence les informations de la préfecture, de rapporter les faits avec précision. Et encore plus difficile pour eux de le faire avec objectivité. Pourtant, alors que certains vont coller, parfois avec zèle, à la version officielle, d’autres vont, dès le 18 octobre, dénoncer les violences dont ont été victimes les manifestants.
Le FLN en accusation
Dans le premier groupe, on trouve Le Figaro, qui titre en une : « Violentes manifestations de musulmans algériens hier soir à Paris ». Il faut attendre la page 10 pour lire l’article, qui prend ouvertement parti pour les forces de l’ordre. On peut ainsi lire dès l’introduction : « Attaqué, notamment dans le quartier des Sablons à Neuilly, le service d’ordre a été contraint de faire usage de ses armes (…). Dans plusieurs quartiers de la capitale et en banlieue, il y a eu des heurts, mais, grâce à la vigilance et à la prompte action de la police, le pire – qui était à craindre – a pu être évité.”
Et d’enchaîner avec une mise en garde qui semble comme justifier toute réaction démesurée de la police : « Un problème est posé qui appelle une solution urgente. Dans la population nord-africaine, il y a les travailleurs, gens paisibles qui sont nos amis, et il y a les autres. De ceux-ci, il y a tout à redouter. » Le quotidien reprend même le communiqué officiel de la préfecture de police relatant les événements (voir encadré).
Le Monde, quoiqu’un peu moins véhément, relaie aussi, le 18 octobre, la version officielle. Mais, contrairement au Figaro, il ne consacre au sujet qu’un petit article en page 5 intitulé “ Deux cents Algériens tentent de manifester entre l’Opéra et Madeleine ”.
Le point commun entre les deux quotidiens, c’est l’accusation clairement portée contre le Front de libération nationale (FLN) algérien. Pour Le Monde, « cette agitation des musulmans semble correspondre à un mot d’ordre du FLN (…). L’intention des dirigeants FLN serait, en contraignant la police à intervenir devant ces rassemblements, d’alerter l’opinion publique. »
Une position que partage Le Figaro, qui parle d’une « manifestation de masse dont le mobile avoué n’était peut-être qu’un prétexte ». Autrement dit, le véritable objectif n’aurait pas été de dénoncer le couvre-feu, mais de provoquer les forces de l’ordre.
Une « tragique soirée »
Le son de cloche est, en revanche, complètement différent dans les colonnes de L’Humanité, qui consacre sa septième page à ce que le quotidien appelle « cette tragique soirée d’hier ». C’est bien le seul journal à parler de tragédie et ce, dès les lignes introductives. Le ton est donné : “Les Algériens entendaient protester par des marches pacifiques contre le régime de couvre-feu à 20h30 que leur impose le ministère de l’Intérieur. (…) Il y avait des femmes qui scandaient des youyous, il y avait des enfants que les travailleurs avaient amenés avec eux. Mais, en plusieurs endroits, les policiers et les CRS ont chargé et tiré”.
Contrairement au Figaro qui déroule le fil de la journée heure par heure, L’Humanité raconte ce qu’il s’est passé en divers points de la capitale. Le quotidien les recense un par un : « Place de l’Opéra face aux CRS », « Scènes de violence à Saint-Lazare », « Pont de Neuilly »…
L’article rapporte que, vers 21 heures, des hommes et des femmes portant des enfants et venus de la place de la République, convergent vers le boulevard Poissonnière, « à la hauteur de l’immeuble » du journal, pour se rendre ensuite la place de l’Opéra où des CRS les attendent, « les mousquetons à la main ».
Plusieurs sont arrêtés pour rejoindre, à Vincennes, tous les Algériens « raflés » depuis la matinée : « On a vu des hommes et des enfants de 7 à 8 ans avancer, les mains croisées sur la tête. » Le cortège reflue et fait demi-tour. C’est alors que des scènes de violence se produisent, rapportées dans le journal (voir encadré). L’Humanité s’interroge même sur l’exactitude des chiffres fournis par l’AFP concernant le nombre de mort et ce dès son édition du 18 octobre, avançant, comme Le Parisien libéré, celui de 7 morts.
Les différences dans le traitement de l’information continuent les jours suivants, avec Le Figaro qui maintient sa ligne titrant par exemple « Consignes d’agitation maintenues par le FLN », et expliquant que « le service d’ordre a été contraint d’ouvrir le feu, faisant deux morts, trois peut-être » (Le Figaro, 19 octobre 1961).
Le journal ne dit pas un mot des violences, mais publie de nouveau un communiqué de la préfecture de police avec, entre autres, cette phrase : « La liquidation des autres groupes s’est poursuivie surtout dans la banlieue jusqu’à minuit. » Lapsus ou malheureuse expression pour dire « dispersion » des manifestants : la formule laisse un sentiment de malaise.
Sur la même page, on peut lire un article sur des demandes de trois élus parisiens qui interpelle le préfet au nom d’une population parisienne qui « avait eu l’impression que, malgré l’énergie du service d’ordre, le FLN aurait pu se rendre maître de plusieurs quartiers de la capitale ». Lesquels élus demandent donc… un renforcement des services de sécurité : « le conseil municipal n’a jamais cessé de préconiser un système de défense et avait voté les moyens de l’appliquer. » Pas un mot en revanche sur les Algériens détenus à Vincennes, ni sur les exactions policières.
Le Monde, quant à lui, rapporte simplement les faits, racontant le déroulé des manifestations qui s’étaient poursuivies le 18 octobre et relayant les chiffres donnés par la préfecture (Le Monde, 19 octobre).
C’est L’Humanité, encore une fois, qui continue de faire le décompte des violences policières et à raconter des scènes par le menu détail : « Place de la République et place Saint-Michel, les policiers armés de longues matraques pourchassent les Algériens. » Ou encore : « A Colombes, 300 à 400 Algériens manifestaient pacifiquement quand les policiers sont arrivés et (…) ont chargé les travailleurs algériens, dont plusieurs ont été sérieusement blessés. » (L’Humanité, 19 octobre 1961).
Dans les jours qui suivent, les manifestations se font plus sporadiques, mais les témoignages arrivent aussi plus nombreux sur ce qu’il s’est passé. L’Humanité publie, pendant une semaine, des appels à la solidarité avec les Algériens, presse les syndicats de se mettre en grève pour réclamer la libération des manifestants qui sont détenus. On commence aussi à retrouver les corps qui avaient été jetés dans la Seine.
La vérité fait enfin surface
C’est la bascule : il devient alors difficile de nier les exactions commises, et les condamnations commencent à fuser, relayées par les journaux (voir encadré). A mesure aussi que les témoignages sont recueillis, un consensus commence à émerger, même si tous en rendent compte de manière plus ou moins exhaustive.
Mais très vite, les journaux y consacrent de moins en moins de place : ils continuent à parler de l’Algérie au travers de ce qui se passe « là-bas » et qui fait l’objet d’une rubrique quotidienne : le drame qui s’est joué ici est bien vite chassé.
Une semaine plus tard, on ne trouve plus que quelques lignes, quand un corps est retrouvé. Le « 17 octobre » meurt le 25 octobre 1961. Ce jour-là, presque plus personne n’en parle. L’eau a coulé sous les ponts.
Revue de presse autour du 17 octobre 1961
Le Figaro, 18 octobre 1961, p. 10 (Reprise du communiqué officiel de la police)
« Dans la soirée d’hier, les formations de police municipale, renforcées d’escadrons de gendarmes mobiles et de deux compagnies de CRS, ont eu à intervenir en de nombreux points de la capitale pour disperser des rassemblements de musulmans algériens, qui, sur l’instigation de meneurs, avaient l’intention de protester contre les récentes mesures prises par le ministère de l’Intérieur et le préfet de police (…). Des engagements sérieux se sont produits notamment avenue de Neuilly, boulevard Saint-Germain et sur les Grands Boulevards. Au cours de ces opérations, des coups de feu ont été tirés contre les membres du service d’ordre qui ont riposté. A 22 heures, on dénombrait deux morts et plusieurs blessés algériens. Une dizaine de gardiens de la paix étaient conduits à la maison de santé. »
L’Humanité, 18 octobre 1961, p. 7
« A quelques dizaines de mètres de la rue du Faubourg-Poissonnière, un drame sanglant allait se jouer. En effet, arrivée à hauteur du restaurant Le Gymnase, la tête du cortège se heurte à un car d’agents de police. Il y eut un moment d’hésitation, puis le chauffeur du véhicule descendit sur la chaussée et tira un coup de feu en l’air ; ce fut le signal. Aussitôt, les agents descendirent du car et vidèrent les chargeurs sur les manifestants qui tentaient de trouver refuge dans le restaurant et l’immeuble contigu (…). On entendit s’élever des cris de douleur. Bientôt, il ne resta plus que le boulevard que des chaussures et des vêtements épars. Mais, sur le trottoir, devant le restaurant, sept corps étaient allongés. Combien de morts ? Un à coup sûr, tué d’une balle dans la tête, deux peut-être et des blessés graves (…). Aucune ambulance, aucune voiture de police ne vint prendre les blessés. Ce sont les passants qui se chargèrent de transporter, à l’hôpital, les plus gravement touchés (…). La seconde partie du drame se déroulait devant le cinéma Le Rex. Le cortège fut brusquement rejoint par des cars de police et aussitôt pris à partie par les policiers casqués, mousquetons au poing, qui chargèrent à coups de crosse. Bientôt, plusieurs corps jonchèrent le sol, des corps sur lesquels on s’acharnait à coups de pied. Tout près de la sortie du métro, un Algérien était étendu, assassiné, brutalement jeté par les coups de crosse contre la grille. »
Le Monde, 24 octobre 1961, p. 7 (Appel d’universitaires et d’intellectuels, dont Simone de Beauvoir, André Breton, Nathalie Sarraute, Aimé Césaire)
“Avec un courage et une dignité qui forcent l’admiration, les travailleurs algériens de la région parisienne viennent de manifester contre la répression de plus en plus féroce dont ils sont victimes (…). Un déchaînement de violence policière a répondu à leur démonstration pacifique : à nouveau, des Algériens sont morts parce qu’ils voulaient vivre libres. En restant passifs, les Français se feraient les complices des actes racistes dont Paris est désormais le théâtre (…). Entre les Algériens entassés au Palais des congrès avant d’être expulsés et les Juifs parqués avant la déportation, nous nous refusons à faire une différence. Les condamnations morales ne suffisent pas. Les soussignés appellent les partis, les syndicats, les organisations démocratiques, non seulement à exiger l’abrogation immédiate de mesures indignes, mais à manifester leur solidarité aux travailleurs algériens (…).”
MEMOIRE. Silence dans les classes
L’enseignement et la commémoration des événements du 17 octobre 1961 sont récents et fragiles. Or, l’école reste un précieux vecteur de transmission, mais aussi un reflet des questions socialement et politiquement sensibles. Par Hafid Nidane
L’accès aux archives, la médiatisation et la parole publique à propos du 17 octobre 1961 ont fait de timides progrès ces dernières années. Ils sont facilités par les travaux des historiens, par la publication de nombreux livres et par la diffusion de films.
Si la vérité sur l’événement sort de l’univers restreint des militants pour atteindre peu à peu l’opinion publique, elle ne franchit pas la porte des salles de classe. Or, l’école est un vecteur indispensable du savoir et de la mémoire qu’elle peut transmettre indistinctement à des générations entières, sur l’ensemble du territoire, pour finir par irriguer parfois les familles.
Un trou de mémoire persistant
Rompant avec les tabous liés à la domination coloniale, le ministère de l’Education nationale a inscrit depuis quelques années ces questions dans les programmes officiels d’enseignement. C’est le cas avec les réformes du collège et des lycées actuellement mises en place.
Ainsi, les élèves entrés en première en septembre étudieront la guerre d’indépendance algérienne et ses conséquences pour la France au cours de cette année scolaire. Le sujet des « mémoires de la guerre d’Algérie » figure au programme d’histoire des classes de terminale L et ES à partir de la rentrée 2012.
Un tabou scolaire ?
Les collégiens ne sont pas en reste avec l’étude de la guerre d’Algérie en classe de troisième. L’école regarde en face un passé douloureux en n’omettant pas les crimes liés à ce conflit, la torture, la douleur des harkis et des rapatriés pieds-noirs… Sauf le 17 octobre 1961, encore occulté.
En effet, aucun des programmes officiels d’enseignement ne mentionne directement l’événement. Ce silence ne cesse pas d’étonner alors même que la dimension métropolitaine du conflit, sujet de recherches universitaires récentes, est désormais prise en compte.
L’enseignement serait-il à géométrie variable ? Selon Sébastien Cote, professeur d’histoire et directeur d’une collection de livres d’histoire chez Nathan, « il convient de ne pas avoir une vision des programmes trop dirigiste et de laisser aux enseignants le choix de leurs objets d’étude. » Ceux-ci sont fortement sensibilisés aux questions liées à l’histoire coloniale et postcoloniale désormais ancrées dans les programmes.
Cependant, les lacunes de la formation initiale et continue font peser une inquiétude supplémentaire sur la connaissance, puis la transmission de l’événement. L’exposé du drame qui s’est joué dans la nuit du 17 au 18 octobre 1961 est donc laissé à la libre appréciation des professeurs.
Pour eux, comme pour leurs élèves, l’apport des manuels scolaires est primordial. Sur la dizaine de nouveaux manuels d’histoire de première édités à la rentrée de septembre 2011, quatre seulement mentionnent l’événement. Leur approche reste généralement prudente. Les textes ou illustrations ne traduisent qu’imparfaitement l’ampleur des violences.
« Insister sur la complexité »
Sébastien Cote, qui a coordonné la publication d’un manuel de première pour les éditions Nathan, a choisi de présenter le 17 octobre 1961. Selon lui, il est « crucial de montrer « les guerres » dans la guerre, d’insister sur la complexité, ce qui ne veut pas dire inintelligibilité. Il [faut] sortir de la seule Algérie et montrer l’impact en métropole de cette guerre, notamment pour la population immigrée. »
Espérons donc que les enseignants se saisissent de cette question. Il serait souhaitable que de nombreux autres manuels d’histoire ainsi que les programmes officiels abordent sereinement et objectivement le déroulement du 17 octobre. Et qu’enfin la vérité historique sur ce drame sorte définitivement de l’oubli pour les jeunes générations et les suivantes.
Cinquantenaire. Ces œuvres qui témoignent
Sur les planches, dans les salles obscures, dans les rayons des libraires ou encore sur le Web, on commémore les événements du 17 octobre pour éviter qu’ils ne sombrent dans l’oubli. Par Amélie Duhamel, Fadwa Miadi et Nadia Lamarkbi
Documentaire. Octobre à Paris, Cinquante ans dans les cartons
Le 18 octobre 1961, des militants républicains décident de tourner un documentaire sur la répression du 17 octobre. Le résultat : un film, criant de vérité, qui fut d’abord censuré, puis sans distributeur pendant cinquante ans.
Le 17 octobre 1961, Jacques Panijel, militant contre la guerre d’Algérie, est informé par des contacts du FLN qu’une action se prépare. Le soir même, en parcourant Paris, des Champs-Elysées aux Grands Boulevards, il découvre l’horreur de la répression qui s’exerce contre des manifestants pacifiques algériens. Profondément secoué par ce qu’il vient de voir, il fonce à une réunion au Comité Audin (1) et, dès le lendemain, l’idée germe de faire réaliser un film pour témoigner.
A ce moment-là, Jacques Panijel n’a pourtant encore rien vu des atrocités commises par les forces de l’ordre : des Algériens frappés et entassés comme des bêtes au Palais des sports, situé à la porte de Versailles, et dans les caves des commissariats ; des fourgons de police écumant Paris dans une chasse au faciès impitoyable ; des hommes vivants ou morts jetés dans la Seine…
Car, à Paris, l’événement est soigneusement passé sous silence. La presse est étroitement surveillée et seul un photographe a eu l’audace et la possibilité de prendre des clichés qui demeurent aujourd’hui les seules images de ce qui fut un véritable massacre.
Le Comité Audin se met alors en quête d’un réalisateur de renom pour réaliser le documentaire. En dehors de Jean Rouch qui, finalement, renoncera pour des raisons techniques, tous se défilent. Interrogé plus tard par une revue de cinéma, François Truffaut bredouillera : « La guerre d’Algérie, je regrette, mais qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? J’y connais rien. C’est comme si on me demandait de faire un film sur la déportation. »
Jacques Panijel propose alors de réaliser le film lui-même avec une équipe de volontaires qui travailleront dans la clandestinité. Le tournage se déroule pendant l’hiver 1961-1962 dans les bidonvilles de Gennevilliers et de Nanterre et à la Goutte-d’Or, avec l’aide du FLN.
Les premières scènes sont singulières. “J’ai demandé à ceux qui avaient rapporté les instructions [du FLN] au bidonville de Gennevilliers s’ils voulaient bien recommencer la scène qu’ils avaient vécue, explique le réalisateur dans une interview accordée à Vacarme, une revue trimestrielle culturelle, politique et sociale, à l’automne 2000. On a tourné cela au petit matin. On a reconstitué la réunion de la cellule, les instructions qu’ils ont données d’emprunter tel ou tel chemin, d’emmener les femmes et les enfants. L’ordre était surtout de ne pas apporter d’arme, même pas un caillou. Nous avons donc reconstitué la fouille des militants au départ du bidonville. »
Destinées à être projetées aux Français, en premier lieu, pour les faire réagir, ces scènes paraissent un peu irréelles, parce que ces acteurs de circonstance s’expriment dans un français sommaire, alors qu’en réalité, tout se passait en arabe ou en kabyle. Néanmoins, elles forment un document d’une très grande valeur historique, car elles sont jouées à l’identique quant au contenu et apportent un témoignage rare sur la vie des immigrés d’alors.
On y voit les baraques de tôle tout de guingois sous la pluie froide de janvier, des gamins ébouriffés vagabondant dans des ruelles pleines de gadoue, les yeux écarquillés de surprise devant le remue-ménage suscité par le tournage, les femmes, les cheveux découverts, tentant d’organiser un semblant de vie décente…
Plusieurs témoignages
Ensuite, les témoignages se succèdent : des hommes, jeunes pour la plupart, racontent ce qu’ils ont subi. Un garçon notamment explique qu’après s’être fait tirer dessus, on l’a « matraqué, frappé à la tête (…). Après, ils (l’)ont jeté dans la Seine. » Puis il raconte sa nuit d’horreur, le froid dans l’eau, dont il n’osait pas sortir, la façon dont il a regagné seul en se cachant le bidonville où il habitait. Il fallait des preuves aux propos tenus. La caméra montre les lieux, s’attarde sur les détails donnés, car la vraisemblance des récits ne doit pas pouvoir être mise en doute.
« Un autre point que je souhaitais absolument évoquer fut les interrogatoires par les harkis des habitants de la Goutte-d’Or, indique Jacques Panijel. Car ce sont eux qui s’en chargeaient pour des raisons linguistiques évidentes. Dans la cave d’un bar de la rue de la Goutte-d’Or, ce sont eux qui organisaient les séances de torture (…). Nous avons filmé l’entrée du lieu depuis un balcon situé en face », tandis que les témoignages se succèdent.
Un « crime d’Etat »
Ce film, qui va enfin sortir en salle cinquante ans après les faits, a obtenu son visa de censure en 1973, à l’issue d’une grève de la faim de René Vautier, le réalisateur d’Avoir 20 ans dans les Aurès, un des premiers films autorisés sur la guerre d’Algérie. Ce dernier entendait ainsi protester contre la censure d’Etat.
« Cette grève de la faim a été déterminante, remarque Jacques Panijel. Quand une commission de contrôle cinématographique indépendante a été mise sur pied, son président a envoyé un télégramme à Vautier qui expliquait en substance : « La commission de contrôle cinématographique n’utilisera plus de critères politiques pour interdire ou accepter un film. » Ce qui n’a pourtant pas plus facilité la diffusion de mon film. »
En effet, le réalisateur avait exigé de pouvoir tourner une préface à Octobre à Paris, soulignant que la répression du 17 octobre 1961 était l’archétype du “crime d’Etat”. La version qu’on pourra voir dans les salles ce mois-ci est donc conforme aux choix de Jacques Panijel. Mais celui-ci ne verra jamais son œuvre au cinéma, puisqu’il est décédé le 12 septembre 2010. A.D.
Octobre à Paris, film documentaire de Jacques Panijel (France), 70 min. En salle le 19 octobre.
(1) Du nom de Maurice Audin, professeur de mathématiques, membre du Parti communiste algérien, arrêté par les parachutistes français le 10 juin 1957, pendant la bataille d’Alger. Peu après sa disparition, son directeur de thèse, Laurent Schwartz, crée le Comité Audin.
Documentaire. Ici on noie les Algériens
A la version officielle de la répression de l’automne 1961, le documentaire de Yasmina Adi confronte la parole de témoins qui, un demi-siècle plus tard, évoquent ces événements tragiques. Une première pour certains d’entre eux. Un film poignant.
Que les non-dits fassent place à la vérité, voilà ce qui a poussé Yasmina Adi à réaliser ce documentaire. Pour la faire émerger, la réalisatrice a fait appel à des personnes qui ont vécu le 17 octobre 1961 et les sombres semaines qui l’ont suivi.
Et aux témoignages saisissants qu’ils livrent aujourd’hui sur les lieux mêmes où cette répression s’est déroulée, elle a juxtaposé des archives de l’époque. Aux douloureux souvenirs qui continuent de les habiter – car comment faire le deuil lorsqu’on n’a jamais retrouvé le corps de celui qui a disparu ? -, Yasmina Adi confronte la froideur clinique des salles de commandements, d’où partaient consignes et instructions.
Et tandis que se déroulent sous les yeux du spectateur immergé dans ces tragiques événements des images inédites qui jurent avec la version officielle, se révèle la stratégie, alors mise en place au plus haut niveau de l’Etat, pour manipuler l’opinion publique et éviter toute enquête.
« Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les médias de l’époque ont largement couvert ces événements. Toute la presse en a parlé pendant deux mois », insiste la cinéaste pour qui les Français n’étaient pas dupes, puisqu’ils voyaient bien « les morts sur les trottoirs ». « J’ai d’ailleurs shooté, pour les besoins du film, plus de 800 articles, et ce n’est qu’une sélection. Après, c’est le traitement et l’analyse qui posent problème. On a dit des Algériens qu’ils avaient pris le métro comme ils ont pris le maquis…”, poursuit cette documentariste qui signe là son deuxième film sur le thème de la répression.
Cinquante ans plus tard, les institutions françaises ne sont toujours pas à l’aise avec les événements de l’automne 1961. Pour preuve les messages anonymes étranges que des policiers laissent à l’attention de la réalisatrice quand elle lance ses appels à témoins.
On découvre que, du côté de la communauté algérienne, ce n’est pas simple non plus. “Certains témoins, qui vivent encore en France pour la plupart, n’en avaient jamais parlé, pas même à leurs enfants, qui ont découvert ce pan ignoré de leur histoire familiale lors des entretiens préalables ou pendant le tournage. Si certains savaient que leurs parents avaient manifesté ou avaient été arrêtés ce jour-là, ils n’avaient pas eu vent des détails. S’agit-il d’une forme de pudeur de la part des enfants qui avaient peur de savoir ?” s’interroge la réalisatrice.
Mettre en lumière cette page de l’histoire individuelle et collective méconnue n’est pas le moindre des mérites de ce documentaire, coproduit avec l’INA, dont on ressort en se disant que plus jamais, on ne regardera la Seine comme avant. F.M.
Ici on noie les Algériens, film documentaire de Yasmina Adi, 90 min. Dans une trentaine de salles à partir du 19 octobre.
Dessin animé
Octobre Noir
17 octobre 1961 à Paris. Cinq jeunes Algériens et trois jeunes Français sont en route pour manifester pacifiquement contre le couvre-feu instauré par le préfet de police Maurice Papon. Cette manifestation est l’occasion pour les Algériens de montrer leur volonté de dignité.
Pour Malek, le protagoniste, elle est signe d’espoir d’un avenir pour sa génération en France. Saïd, le copain de Malek, y trouve l’occasion d’exprimer sa frustration. Les trois Français, eux, manifestent pour une France respectant sa devise républicaine. Tous se lancent, confiants, dans les rues de Paris, sûrs de leurs droits d’hommes.
Ce film d’animation, écrit par Florence Corre et dessiné par Aurel, nous plonge dans cette nuit angoissante. Les graphismes, l’ambiance, l’obscurité, la trompette d’Ibrahim Maalouf contribuent à créer cette atmosphère pesante. Une réussite pour un dessin aminé auquel on souhaite le même destin que Danse avec Bachir, le film d’animation d’Ari Folman, sur le massacre, au Liban, des réfugiés palestiniens dans les camps de Sabra et Chatila. N.L.
Octobre Noir. Court-métrage de 12 min., produit par La Fabrique.
Docuweb
La nuit oubliée, 17 octobre 1961
L’idée originale des deux jeunes réalisateurs, Olivier Lambert et Thomas Salva, est de créer une plateforme documentaire qui permet au spectateur de revivre le parcours des manifestants cette nuit-là.
Pour Olivier Lambert, le projet de ce documentaire Web est né du constat d’un manque flagrant, il se pose alors deux questions : « Qu’est-ce qu’on apprend à l’école sur ce sujet ? Qu’en retient-on ? »
En cliquant sur la carte interactive de Paris et sa petite couronne, des vidéos, des photos, des bandes son permettront aux internautes de situer et de visualiser les événements.
Il aura fallu plus d’un an de travail et d’obstination aux auteurs pour se procurer témoignages et archives. Au total, plus de 30 vidéos, une dizaine de témoignages, des documents et archives de l’INA et de la police. Malgré le temps qui passe, les images semblent parfois très actuelles.
« Parler de cet événement nous permet de parler également des problèmes d’aujourd’hui », affirme Olivier. En effet, comment ne pas penser aux discours tenus notamment lors de l’arrivée des Tunisiens de Lampedusa, que certains voulaient couler en mer ? N.L.
Le site sera mis en ligne le 17 octobre et les internautes pourront manifester virtuellement.
Livres
Scènes de la guerre d’Algérie en France
Jean-Luc Einaudi a fait un travail de fourmi, retrouvant des témoins des deux côtés, retraçant une chronologie minutieuse des événements. Il aborde également la guerre intestine que les membres du FLN (Front de libération nationale) et du MNA (Mouvement national algérien) dirigé par Messali Hadj, se sont menée, laissant aussi des cadavres sur leur chemin. S’il n’y a qu’un livre à lire sur ce tragique événement, c’est incontestablement celui-là, car il est le plus complet et le plus proche de la vérité historique. N.L.
De Jean-Luc Einaudi, éditions du Cherche Midi, 19€.
17 octobre 1961, 17 écrivains se souviennent
La nouveauté, c’est la publication de cet ouvrage collectif de l’association Au nom de la mémoire, à compte propre. Ce livre aborde le massacre du côté de la fiction. Témoignages, nouvelles, poèmes, l’association a demandé à plusieurs écrivains de raconter leur 17 octobre.
Samia Messaoudi, membre fondateur de l’association, revient sur ce long chemin qui mène jusqu’à la reconnaissance de cet événement par l’Etat français : « Depuis trente ans, avec Mehdi Lallaoui, nous travaillons sur les mémoires coloniale, ouvrière et sur celle de l’immigration, donc également sur le 17 octobre 1961. Chaque année, nous essayons de proposer des événements commémoratifs avec des temps forts chaque décennie. En 1991, nous avons publié un livre et réalisé un documentaire intitulé tous les deux, Le Silence du fleuve. En 2001, nous avons monté une exposition et un ouvrage autour de 17 illustrateurs, qui ont dessiné ce que cette date évoquait pour eux. Cette année, 17 écrivains, français et algériens, se sont prêtés au jeu pour vous livrer un texte, parfois très personnel, parfois plus distant. Celui de Gérard Alle, « Petite peste », m’a particulièrement touchée. Il raconte l’histoire d’une petite fille à qui le grand-père, ancien combattant, raconte la guerre. Elle le titille et il se livre, se souvenant de la torture dont il a été témoin et parfois l’acteur. Cette nouvelle montre aussi que la guerre d’Algérie est encore un sujet tabou dans beaucoup de familles françaises. » Gérard Alle, Jeanne Benameur, Maïssa Bey, Magyd Cherfi, Didier Daeninckx, Tassadit Imache, Michel Piquemal, Leïla Sebbar, Akli Tadjer… ont chacun, à leur manière, soulevé un peu de cette chape de plomb. N.L.
Textes inédits réunis par Samia Messaoudi et Mustapha Harzoune, auxquels s’ajoutent 17 photos noir et blanc. Editions Au nom de la rose, 18€.
Bande dessinée
Octobre Noir
Dans le Paris de l’époque, fidèlement croqué par Mako, Vincent est un jeune chanteur dans un groupe de rock. Vincent est un nom de scène car dans la vie, notre rockeur s’appelle Mohand. Et le soir du 17 octobre, il doit faire face à un choix cornélien : participer à un tremplin rock qui offre au gagnant l’accès à l’Olympia ou manifester parmi les siens. Il choisit la musique et, en rentrant tard chez lui, il découvre que sa sœur, Khelloudja, qui a répondu à l’appel du FLN, n’est pas revenue… Il ne la reverra jamais plus.
Cette bande dessinée est un hommage à Fatima Bedar, gamine de 15 ans « morte quand les policiers français jetaient les Algériens à la Seine ». On regrette toutefois que cette jeune fille, dont le destin tragique nous est conté dans l’épilogue, ne soit pas le personnage central. F.M.
De Didier Daeninckx (scénariste) et de Mako (illustrateur), éd. Ad Libris, 13,50€.
AGENDA
17 octobre
Danse
Disparus, la chorégraphie de Mehdi Slimani, revisite les événements d’octobre 1961 dans un esprit “résolument hip-hop”. Le 17 octobre, une représentation est donnée à l’occasion de l’inauguration d’une place du 17 octobre 1961 au Blanc-Mesnil,
à 19 heures.
Manifestation
Le 17 octobre, rendez-vous dès 18 heures devant le cinéma Le Grand Rex (1, boulevard Poissonnière, Paris 2e). L’itinéraire se termine au pont Saint-Michel.
Jusqu’au 25 octobre
Cinéma
Le Maghreb des films, qui se tiendra à Paris jusqu’au 25 octobre, a sélectionné quatorze films portant sur les événements du 17 octobre 1961. Octobre noir, court-métrage de Florence Corre et dont les dessins sont signés Aurel (2011), Nuit noire, 17 octobre 1961, film réalisé par Alain Tasma en 2005, Le Silence du fleuve de Mehdi Lallaoui et d’Agnès Denis (1991), etc. Le festival en présente une filmographie presque exhaustive. Cette commémoration est organisée en partenariat avec Au nom de la mémoire. A ne pas manquer, la projection en avant-première, le 18 octobre à 22 heures, au Forum des images, du film documentaire de Jacques Panijel, Octobre à Paris. Réservations sur le site Internet du Forum.
Forum des images (Forum des Halles) et cinéma Les Trois Luxembourg (67, rue Monsieur-le-Prince, Paris 6e).
27 octobre
Débat et film
Rendez-vous à 18h30 à l’Institut du monde arabe le 27 octobre pour un Jeudi de l’IMA spécial. L’écrivain Didier Daeninckx, le dessinateur Mako (Lionel Makowski), l’historien Benjamin Stora, le cinéaste Mehdi Lallaoui, les journalistes Samia Messaoudi et Jean Daniel, Aïssa Dérrouaz, M’hamed Kaki et Abderrahim Hafidi y participeront. Le débat sera suivi du film Le Silence du fleuve de Mehdi Lallaoui.
Entrée libre, dans la limite des places disponibles, salle du Haut Conseil de l’Institut du monde arabe, 1, rue des Fossés-Saint-Bernard, place Mohammed-V, 75005 Paris.
Appel
Les associations, les syndicats et les partis politiques qui souhaitent signer l’appel du collectif 17 octobre, chargé de coordonner les actions visant à « faire reconnaître et condamner ce crime » et à donner plus d’ampleur à la commémoration de ces événements tragiques, peuvent prendre contact avec le collectif par e-mail : [email protected].
Le NPA (Nouveau parti anticapitaliste), la LDH (Ligue des droits de l’homme), le Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l’égalité entre les peuples), entre autres, l’ont déjà signé.
www.17octobre61.org
Retrouvez l’intégralité de ce dossier sur Le courrier de l’Atlas, numéro d’octobre 2011.