Maroc – Abdelilah Benkirane, un homme heureux
S’il y a quelqu’un d’ivre de bonheur aujourd’hui, c’est bien Abdelilah Benkirane. Lui, c’est le Secrétaire général du Parti de la Justice et du Développement, parti à référentiel islamique ultraconservateur qui, à coup de persévérance, a raflé la mise à l’issue des élections législatives du 25 novembre.
Pour son parti, sa nomination est presque officielle. Il est déjà unanimement désigné comme le représentant du parti au sein du nouveau gouvernement. Reste à savoir sur qui portera le choix du Roi Mohamed VI qui a encore le pouvoir de désigner le premier ministre au sein du parti majoritaire.
Le fils de la capitale
Il est né dans le quartier populaire d’Al Akkari de la capitale du Royaume. La famille Benkirane est alors intimement liée au Parti de l’Istiqlal qui accueillera plus tard les premières prouesses politiques du jeune Abdelilah.
Après un bac sciences math décroché avec mention, Abdelilah Benkirane rejoint les bancs de l’école Mohammadia d’ingénieurs avant de se consacrer à l’enseignement.
Il a 22 ans lorsqu’il rejoint la Chabiba Islamya. Très vite, son tempérament colérique et ses prises de positions fougueuses le démarquent des frères. La Chabiba fonctionne déjà comme un parti politique avec sa jeunesse qui défie le conservatisme violent des prédécesseurs.
En tête, Abdelilah Benkirane qui fonde par la suite la Jamaâ Islamia en 1981, en se faisant épauler par ses jeunes frères. Pourtant, la légitimité d’Abdelilah Benkirane est entourée de mystère. D’aucuns disaient que ce parcours fut téléguidé par le palais.
Quoi qu’il en soit, la Jamaâ échoue à se transformer en véritable parti politique. Désigné par une nouvelle appellation, « Réforme et renouveau », c’est aux pans du parti de l’Indépendance que s’accrochera le mouvement des jeunes islamistes qui aspirent à l’implication dans la vie politique.
Pendant ce temps, Abdelilah Benkirane gagne en charisme et en puissance auprès des mouvements à référentiel religieux. Il arrive à fédérer autour de lui plusieurs associations islamistes.
Les débuts politiques
Lors d’un congrès du Mouvement populaire constitutionnel et démocratique (MPCD), fondé et dirigé par Abdelkrim Al Khatib, un ancien du Mouvement Populaire, Abdelilah Benkirane déclare son adhésion au Parti alors très faible, renforcé par quelque 600 membres « frères » appartenant aux 200 associations réunies sous le nom du Mouvement de l’Unicité et de la réforme (MUR).
La marée islamique ne tarde pas à couvrir le Parti qui prendra le nom de Parti de la Justice et du Développement en 1998.
Après le retrait d’Abdelkrim Al Khatib, en 2004, c’est Saâdeddine El Othmani qui dirige le Parti islamique. Jugé plutôt modéré, voire trop mou, le psychiatre est remplacé lors des élections de 2008 par un Abdelilah Benkirane toujours bouillonnant et conservateur.
Elu dans la circonscription de Salé médina depuis 1997, Abdelilah Benkirane ratisse large. Son audience croît et ses sorties médiatiques ne tarissent pas. En acceptant toutes les entrevues et en y répondant sans ménagement, le politique attire davantage de dépités de la langue de bois politique que de véritables partisans.
Sacré caractère
Le flegme n’est pas le trait de caractère principal d’Abdelilah Benkirane. Que ce soit sur des plateaux télévisés ou dans des conférences publiques, le Secrétaire Général du parti islamique est toujours prêt à démarrer au quart de tour. « Si vous êtes à la tête du gouvernement, laisseriez-vous tomber la réunion à chaque fois que vous entendriez quelque chose qui vous déplairait ? », demandait une jeune étudiante de l’HEM lors d’une conférence sur les élections.
Ceci ne l’empêche pas d’aller à la chasse aux voix au sein des communautés les plus hostiles. Le patronat marocain, méfiant et ultra-progressiste, a accepté d’écouter le représentant du parti conservateur.
Un Women’s Tribune a accordé la parole à Abdelilah Benkirane qui s’en est pas mal sorti même avec ses réticences rigides sur certaines questions sociales concernant les droits des femmes.
A l’issu de chaque rencontre, le politique arrive à séduire l’assistance en déployant des ressources de charme et d’humour… tant que le conservateur en lui ne se sent pas menacé.
Certaines prises de position violentes et rigides, montrent que sous le vernis de l’homme affable, se cache un ultra-conservateur. Il avait combattu la réforme du code du statut personnel (Moudawana) avant de la voter sous la pression du palais.
Au Parlement, il avait fait un chahut indescriptible à cause d’une camerawoman de 2M qui avait les bras découverts. Plus récemment, ses sorties contre la liberté de conscience et contre la reconnaissance de la langue amazigh resteront dans les mémoires.
La victoire tant attendue
107 sièges au Parlement sur 395. Un record jamais atteint au Maroc, bien que la participation ait été faible. Lors de sa première conférence de presse après le succès écrasant de son parti, Abdelilah Benkirane affirme qu’il privilégiera l’intégrité et la compétence dans le choix des ministres, en tendant sa main au PI, au RNI, à l’USFP et surtout au MP.
Confirmant ne pas disposer de véritable stratégie économique, il décide de se pencher sur l’amélioration de la gouvernance et la lutte contre la corruption pour créer un climat propice à la croissance. Benkirane tend à rassurer les citoyens sur le fait qu’il n’a pas l’intention d’interdire la consommation d’alcool ni de s’en prendre à ceux qui en consomment et encore moins au code vestimentaire des femmes !
En attendant la nomination du chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane a tout le temps nécessaire pour revoir ses positions sur diverses questions polémiques, modérer quelques excès de conservatisme au sein de son parti et pour choisir la bonne cravate…