Billet. Tunisie : De l’art de s’indigner chez les Salafistes
Un vent d’indignation s’empare de la Tunisie. Après la Révolution du Jasmin, il semblerait que le précepte de Stéphane Hessel fasse des émules de l’autre côté de la Méditerranée. Mais ne vous méprenez pas, ces Indignés ne ressemblent en rien à leurs collègues de Wall Street ou de Madrid.
Ces Indignés-là sont d’un genre tout à fait nouveau et très loin des figures connues de ce qu’il convient d’appeler aujourd’hui le printemps arabe.
Ils ne réclament pas plus de liberté, ou des emplois ou, que sais-je encore, de meilleures conditions de vie. Que nenni ! Ils sont mus par d’autres convictions et ont d’autres lubies bien plus spirituelles…
Ces Indignés font des sit-in devant une chaîne de télévision tunisienne ayant osé diffuser le film iranien Persepolis, séquestrent un doyen d’Université pour lutter pour les droits des femmes en niqab, font la chasse à la jupe sur les bancs des facultés.
Ces hommes que l’on avait si peu vus pendant les manifestations dans la rue Habib Bourguiba en janvier dernier ou durant les sit-in à la Kasbah sont pourtant aujourd’hui bel et bien présents, ont laissé pousser leur barbe et arborent fièrement le khamis avec l’accoutrement militaire. S’ils n’étaient pas très présents dans le casting de Janvier dernier, ils font depuis le mois d’octobre des sorties fracassantes et remarquées.
Mais enfin, qu’est-ce qui explique les sorties théâtrales de ces troupes d’un genre nouveau dans l’ancienne Carthage ?
Longtemps dans l’ombre, ils redécouvrent les joies et les plaisirs de la liberté d’expression, de mouvements, dans la société post Ben Ali.
Jouissant d’un nouveau cadre, ils ne se privent pas d’exprimer leurs vues et jugements sur ce qu’il convient de montrer à la télévision tunisienne. Figure improvisée du CSA made in Tunisia, ils n’ont visiblement pas apprécié l’imagination de Marjane Satrapi enfant.
Mais ils n’ont pas qu’une corde à leur arc et savent parfaitement emprunter le rôle de sauveur de la morale et de la bienséance, traquant ici et là la tenue ou les fréquentations des étudiantes sur les campus tunisiens.
Pleins de bravoure, ils ont séquestré l’historien et actuel doyen de la faculté des Lettres de Tunis pour exiger l’accès à l’Université aux femmes portant le niqab.
Ils n’ont pas peur des contradictions, ces Indignés qui réclament plus de libertés pour certaines femmes et les refusent à d’autres en même temps.
Assez étrangement, ils restent muets devant les conditions terribles de chômage et de précarité qui touchent la très grande majorité des diplômés tunisiens sortant de ces mêmes facultés. Ils choisissent avec beaucoup d’attention leurs sujets d’indignation.
Si la scène tunisienne est en plein changement et que le pays de Didon écrit une nouvelle ère de son Histoire, il serait grand temps que les nouveaux metteurs en scène sortent de leur mutisme et remettent de l’ordre pour éviter d’écrire les prémices d’une tragédie.
Samia Hathroubi