Tunisie. A l’Assemblée constituante, de nouvelles figures s’imposent à la tête de l’opposition

 Tunisie. A l’Assemblée constituante, de nouvelles figures s’imposent à la tête de l’opposition

Au Bardo

Nous avions consacré un article il y a peu à la jeune relève au sein de la nouvelle opposition tunisienne et sa très réactive vigilance s’agissant des travaux de la Constituante. Cela concernait essentiellement l’opposition restée à l’extérieure de l’Assemblée, incluant listes non élues et société civile. Mais à l’intérieur du Palais du Bardo, une autre levée de bouclier, tout aussi déterminée, est menée par de nouvelles figures marquantes, des opposants à la nouvelle majorité qui tiennent la dragée haute à l’hégémonie de la troïka. Voici un rapide tour d’horizon des quelques-uns de ses principaux ténors.

Maya, discrète égérie PDPiste, devenue leader adulée

Moment particulièrement chargé en émotion en cette matinée nuageuse du mardi 6 novembre, Maya Jribi a droit à un bain de foule de la part de milliers de Tunisiens venus encore une fois en nombre envahir la grande place du Bardo, histoire de ne pas relâcher la pression sur la nouvelle Assemblée.

Le nom de Maya était scandé à gorge déployée par des Tunisiens pour qui la figure féministe semblait cristalliser toutes leurs attentes déçues.

L’enjeu était de taille : si le texte relatif à l’organisation provisoire des pouvoirs publics passe en l’état, tel qu’il a fuité quelques jours auparavant, Ennahdha pourrait désigner un gouvernement indéboulonnable, avec la nécessité d’un vote aux deux tiers pour lui retirer la confiance.

Finalement, les sit-inneurs qui campent depuis une semaine sur place obtiennent gain de cause sur ce point : la troïka a reculé, et un simple vote dit des « 50+1 » sera nécessaire à congédier les futurs ministres.

Celle dont nous dressions le portrait récemment y est sans doute pour quelque chose. Elle a harangué ce mardi matin les manifestants en leur affirmant qu’elle « entendait leur clameur jusque dans l’enceinte même de l’Assemblée. » Résolument digne, elle paraissait assumer plus que jamais son nouveau rôle de chef de file de l’opposition future déjà à l’œuvre.

Elle les a exhortés à continuer la lutte pour contrecarrer ce qu’elle a qualifié de « déferlante dictatoriale au sein de la Constituante ». Des mots durs et un ton de leader qui s’affirme, ovationnés notamment par des militants d’autres partis que le PDP, famille politique d’origine de Jribi.

Khemaies Ksila mène la fronde à Ettakatol

S’il est un symbole de l’ « indiscipline de parti » caractéristique de la gauche, c’est bien Khemaies Ksila qui l’incarne en Tunisie. Intenable, l’élu d’Ettakatol, multiplie depuis la séance inaugurale de l’Assemblée les sorties médiatiques fracassantes et surtout dissonantes avec la ligne de son parti. Pas question pour lui de ménager le parti islamiste, contrairement à un Ben Jaâfar plus que conciliant.

Véritable cauchemar de Mustapha Ben Jaâfar, il est la voix de tous les déçus du FDTL, furieux de voir que leur parti s’est empressé de donner une légitimité à Ennahdha, après leur avoir fait la promesse à la veille des élections qu’une alliance n’était pas à l’ordre du jour.

Dernière sortie en date, son intense lobbying ayant fini par payer, c’est lui qui le premier annonçait hier lundi qu’un accord avait été trouvé au sein de la 3ème force de l’Assemblée, la sienne, autour non seulement de la question du retrait de la confiance au gouvernement, mais aussi de deux autres sujets sensibles : la nomination des cadres supérieurs dans les établissements publics et la banque centrale par le Premier ministre qui n’est plus d’actualité, et le cumul entre un portefeuille ministériel et un siège à l’assemblée constituante, un criant conflit d’intérêt selon Ksila.

Celui-ci n’a sans doute pas fini de multiplier les coups d’éclat, illustrant le foisonnement des idées, parfois divergentes, au sein de son parti. Mohammed Bannour l’a appris à ses dépens hier lundi.

Porte-parole aux abois du parti, apparu bien dépassé par la fougue de son confrère, n’étant pas en mesure au JT de 20h de confirmer ni d’infirmer les tractations de Ksila qui faisait cavalier seul, dans ce qu’on appelle déjà une opposition interne à Ettakatol. A suivre de près parce qu’elle menace de fissurer demain une coalition qu’elle fragilise aujourd’hui.

Iyed Dahmani, l’enfant terrible du PDP

Un autre élu s’est bruyamment fait remarquer à l’Assemblée. Dès la cérémonie d’ouverture de ses travaux, Iyed Dahmani interpelle le vieux président de la séance qu’il somme de suivre le protocole dont il était convenu ce jour-là.

Tahar Ben Hmila (CPR) avait entamé une tirade hors-sujet glorifiant les choix de son parti d’une rupture radicale avec le système. « Vous n’avez pas le droit d’exprimer un avis personnel, votre allocution n’est pas à l’ordre du jour de la séance », lui assène Dahmani avec la verve qu’on lui connait.

Le jeune cadre du PDP n’en est pas à son coup d’essai. Rompu à l’exercice du débat politique, il avait déjà « cloué le bec » selon ses partisans à Ben Jaâfar, en pleine campagne électorale, pas impressionné par l’expérience et la différence d’âge qui le séparaient de son interlocuteur.

Depuis, Dahmani a mis un point d’honneur à garantir la transparence que demandent une majorité de Tunisiens s’agissant des débats de l’Assemblée : élu high tech, il s’emploie à tweeter en direct des séances plénières des infos très prisées, en l’absence de couverture média continue des travaux de l’ANC et de ses commissions ad hoc.

Philosophe sur les raisons de l’échec de son parti aux dernières élections, il y mène le front de la réforme interne, n’hésitant pas à faire un sombre bilan des erreurs commises, notamment en matière de communication. Le vieillissant Néjib Chebbi (67 ans) a sans doute trouvé là un digne successeur.

Seif Soudani