Tunisie. Sami Ben Slama de l’ISIE accuse : « La durée de vie de la constituante va dépasser un an »

 Tunisie. Sami Ben Slama de l’ISIE accuse : « La durée de vie de la constituante va dépasser un an »

« Personne n’a en réalité intérêt à ce que l’ISIE reprenne aujourd’hui son travail »

Sami Ben Slama est responsable des affaires juridiques et des relations publiques à l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE). Révolté, l’homme est sorti une première fois de son silence dimanche dernier dans les colonnes d’Assabah où il assène de graves accusations : il s’agirait dans les coulisses du nouveau pouvoir d’un démantèlement méthodique de l’ISIE. Contacté ce mardi matin par nos soins, il s’est montré encore plus explicite et dénonce une stratégie du pourrissement.


Le Courrier de l’Atlas : Votre intervention hier lundi sur les ondes de Mosaïque FM a fait grand bruit. Vous y semblez catégorique sur la volonté politique de mettre à mort à petit feu l’ISIE. Savez-vous d’abord si Kamel Jandoubi (président de l’Instance) a été approché par une quelconque partie gouvernementale en vue de l’organisation de prochaines élections ?

Sami Ben Slama : Merci de me donner cette opportunité. Vous savez, nous les membres de l’ISIE, nous n’avons décidé de sortir de notre silence que parce que la coupe est pleine !

J’assume mes propos et vous pouvez déjà constater la campagne dirigée contre moi depuis hier sur les réseaux sociaux notamment où on m’attaque violemment, en me prêtant des intentions risibles, comme à chaque fois que quelqu’un ne fait qu’énoncer des vérités qui dérangent désormais.

Je réitère mes propos : l’ISIE est un formidable acquis de la transition démocratique en Tunisie. Nous y avons formé près de 400 Tunisiens qui ont aujourd’hui une précieuse expérience dans l’organisation des élections. Je vais vous expliquer pourquoi cela n’arrange personne.

Mais pour répondre à votre question, oui, Kamel Jandoubi a récemment demandé à rencontrer Hamadi Jebali afin de le sensibiliser à l’urgence de la situation. On l’a fait attendre deux semaines avant de le recevoir enfin. Au final, le premier ministère ne lui a proposé de rencontrer qu’un simple conseiller, Lotfi Zitoun.

Kamel Jandoubi a alors demandé une réponse écrite de la part du gouvernement à sa requête de saisir l’ISIE au plus tôt en vue de démarrer les préparatifs des prochaines échéances électorales. A ma connaissance, cela fait une semaine qu’il attend toujours…

Même chose au sein de l’opposition dont je trouve l’attitude affligeante. Lors du vote de la loi sur l’organisation provisoire des pouvoirs publics à l’Assemblée constituante, les élus de l’opposition se sont tout simplement absentés ou étaient à la cafétéria pendant qu’un texte de loi crucial à propos du devenir de l’ISIE aurait pu être voté.

Mais je ne suis pas étonné : cette opposition est incompétente et n’a pas conscience de ce qui se joue actuellement. Du reste, personne n’a en réalité intérêt à ce que l’ISIE reprenne aujourd’hui son travail. Il s’agit pour tout le monde de gagner du temps.

 

LCDA : Combien de temps nécessiterait la préparation des élections si l’on voudrait que les prochaines élections législatives se tiennent comme prévu le 23 octobre 2012 ?

Sami Ben Slama : Il est déjà bien trop tard ! C’est bien le problème. Tous les standards internationaux s’accordent à dire qu’il faut au minimum un an pour l’organisation d’élections nationales de cette envergure. On aurait dû commencer à enregistrer les électeurs non encore sur les listes immédiatement au lendemain du premier scrutin de la Constituante. Or, nous accusons déjà un retard de plus de 3 mois.

Voici le scénario vers lequel nous nous dirigeons : au bout de 6 mois, une fois le pays mis au pied du mur, lorsque la pression de la société civile et de l’opinion commencera à être trop importante devant le constat du retard accumulé, le nouveau pouvoir lancera une fois encore un ballon d’essai, quitte à se rétracter en cas d’échec à imposer sa solution : il essaiera dans un premier temps de placer ses propres hommes dans une instance alternative qu’il proposera alors de créer.

D’où la nécessité, prétextera-t-il, de former de nouvelles équipes en partant de zéro, ce qui demandera plusieurs mois, et autant de mois de prolongation du mandat de l’ANC…

Les membres de l’ISIE sont des patriotes, nous n’avons que faire des postes de responsabilité, d’autant que c’est un travail ingrat et usant. Mais je suis convaincu qu’Ennahdha notamment cherche à placer ses propres hommes pour nous remplacer, ne serait-ce que pour des privilèges fantasmés, y compris dans les instances régionales.

 

LCDA : Donc, vous ne pensez pas que c’est nécessairement via le ministère de l’Intérieur que le pouvoir voudra organiser les prochaines élections ?

Sami Ben Slama : Je ne suis pas devin mais la solution du ministère de l’Intérieur reste bien entendu d’actualité. C’est elle que l’on proposera naturellement, en dernier recours, lorsqu’on se dira, une fois l’ISIE démantelée, que c’est la seule institution disposant des compétences, de la logistique et de l’expérience nécessaires à l’organisation des législatives.

 

LCDA : Vous dites qu’il y a une volonté d’un démantèlement méthodique de l’ISIE, pouvez-vous nous en donner quelques exemples concrets ?

Sami Ben Slama : Absolument ! C’est une stratégie tacite et progressive. Cela consiste d’abord en un démantèlement de nos locaux. Comme vous le savez, nous avions notamment utilisé les cellules de l’ex RCD comme locaux un peu partout sur le territoire tunisien. Aujourd’hui, ils sont en train d’être réaffectés aux départements dépendant de l’Etat, dès lors qu’ils sollicitent les autorités pour obtenir des locaux qui leurs manquent.

D’autres locaux dans lesquels nous (l’ISIE) avons investi des centaines de milliers de dinars sont en train d’être réaménagés et vidés de leurs équipements.

Quand ce ne sont pas des équipements lourds, matériel, ordinateurs, chaises, imprimantes, etc, ils sont actuellement en train d’être entreposés au sous-sol de notre siège à Tunis.

Ma formation de juriste me permet par ailleurs de vous dire que lorsque les immeubles et les locaux sont ainsi transformés, ils n’ont plus le même statut au regard de la loi et, généralement, il n’est plus possible de faire machine arrière.

Propos recueillis par Seif Soudani