Tunisie. Plainte collective déposée contre Wajdi Ghoneim
Nous annoncions les premiers hier mardi qu’une plainte était en passe d’être déposée par un groupe d’avocats, dont la militante des droits d’ l’homme Bochra Bel Haj Hmida, contre les propos tenus par le prédicateur fondamentaliste Wajdi Ghoneim lors de sa tournée encore en cours en Tunisie. L’avocate nous a livré quelques précisions sur la plainte en question. En attendant, les prédicateurs radicaux continuent d’affluer.
Interdit dans son propre pays d’origine, interdit de territoire dans plusieurs autres pays arabes pour incitation à la violence, le cheikh Wajdi Ghoneim est donc venu parader en Tunisie, notamment dans un Sahel visiblement ciblé en priorité parce qu’empreint plus qu’ailleurs de l’héritage bourguibiste. Le provocateur d’extrême droite y a rencontré des résistances attendues.
A Mahdia, dernière étape (en plein air) de sa tournée, il s’est même permis le luxe de narguer des manifestants tunisiens, chez eux, en leur lançant «Laïques, crevez de rage !» ou encore « l’islam est en route », ne laissant aucun doute quant aux visées évangélisatrices de ce raz-de-marée. Dignes, ils lui ont opposé l’hymne national. Un hymne aux paroles honnies par les salafistes.
A Sousse, ce défenseur de l’excision a prié pour que la Tunisie, après avoir été le pays pionnier des révolutions arabes, soit aussi « le premier à appliquer la Chariâa », au milieu d’applaudissements nourris.
Levée de boucliers de la société civile
Mardi à la mi-journée, des proches de l’avocate Bochra Bel Haj Hmida nous contactent pour nous apprendre qu’elle-même et un groupe d’avocats se sont constitués partie civile pour porter plainte, en référé, contre certains propos de Ghoneim.
Contactée par nos soins, Maître Bochra Bel Haj Hmida nous a confirmé que deux plaintes sont en train d’être déposées : une au civil et une autre relevant du pénal, en plus de télégrammes à l’adresse du Premier ministre et du Président de l’Assemblée constituante.
« Je suis submergée par les messages et les appels téléphoniques », nous confie-t-elle, depuis qu’elle a annoncé (à travers nous-mêmes qui avions relayé son appel) que les Tunisiens souhaitant se joindre à la plainte pouvaient lui envoyer leur nom, prénom et numéros de CIN.
Elle nous a expliqué en outre qu’elle agit au nom de nombreuses associations de la société civile qui dénoncent une tentative de semer la haine entre Tunisiens. La plainte a été déposée pour « incitation à la haine, appel à la violence et entreprise terroriste ». Elle nous a dit espérer une condamnation de principe qui ferait jurisprudence.
La vague prosélyte se poursuit
Les Tunisiens hostiles à ces visites pensaient avoir touché le fond avec la tournée de Wajdi Ghoneim. C’était sans compter les visites prochaines déjà annoncées du Saoudien Mohamed Laârifi et de l’Egyptien Mohamed Hassan, deux cheikhs probablement encore plus radicaux que Ghoneim, pour des conférences similaires. Plus modéré, Tariq Ramadan devrait quant à lui visiter la Tunisie pour la première fois fin février.
Qui est derrière ces invitations ? C’est la question récurrente que se posent la plupart des Tunisiens sur les réseaux sociaux. La réponse est parfois complexe. Dans le cas Ghoneim, quatre associationsreligieuses et coraniques locales ont été identifiées jusqu’ici et auraient œuvré de concert s’agissant de l’invitation et de la logistique. C’est elles qui feront aussi l’objet de la plainte en cours de dépôt.
Il s’agit de l’Académie « Dar Al Hadith » de Tunis, l’association « Bachaer Al Khayr », l’association « Al Forkan » pour l’apprentissage du Coran, et l’association « Al Ithar wa’Daâwa Al Islamiya ». Dans le cas de Tariq Ramadan, c’est la Fondation «Beït al-Hikma», une académie publique, qui est derrière l’initiative.
Cependant, comme nous l’avons déjà expliqué, ces associations peuvent n’être qu’une façade derrière laquelle se trouvent notamment des intérêts saoudiens parfois antagoniques avec ceux du nouveau pouvoir provisoire.
Pour autant, le gouvernement ne dispose que d’une marge de manœuvre limitée, entre la volonté d’Ennahdha de contenter sa base d’une part, et celle des pouvoirs publics de se plier à la dynamique révolutionnaire d’autre part.
Une dynamique qui, au nom d’une liberté de culte retrouvée, permet aux extrêmes les plus sonores d’avoir pignon sur rue. Ceux-ci testeront sans doute opinion et autorités jusqu’à atteindre les limites d’un projet obscurantiste, avec la création d’une première clinique privée pratiquant l’excision, un attentat, ou un affrontement armé avec les autorités.
Seif Soudani