Tunisie. Guerre ouverte entre l’UGTT et Ennahdha
La grève des agents municipaux entamée en début de semaine à l’appel du syndicat UGTT dans tout le pays prend fin aujourd’hui vendredi. Mais le conflit germé qu’elle a révélé entre la centrale syndicale et Ennahdha survivra sans doute à cette trêve.
Le torchon brûle entre Ennahdha et l’UGTT. Rien ne va plus depuis lundi, où les évènements se sont accélérés sans doute trop vite pour que le parti islamiste ait pu penser une position réfléchie ou mener une action coordonnée. Mais le mal est fait : une fois encore des électrons libres semblent avoir agi seuls, et une fois de plus le parti peine à rappeler à l’ordre ses troupes.
Le conflit est en quelque sorte un remake, en division seniors, de l’affrontement, toujours en cours, entre l’Union Générale des Etudiants Tunisiens (UGET) d’un côté et les salafistes et Jeunesses d’Ennahdha de l’autre, dans toutes les universités du pays.
Sauf qu’en se mettant à dos l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens, le nouveau pouvoir joue vraiment avec le feu selon la plupart des analystes, après s’être mis à dos une grande partie de la presse.
C’est que la centrale syndicale tunisienne, principal syndicat ouvrier du pays, n’est pas un syndicat comme les autres. Ceux qui ont été attentifs aux évènements pré 14 janvier 2011 savent bien que c’est au lendemain de l’insurrection initiée par la puissante section UGTT de Sfax que le régime Ben Ali a réellement tremblé.
Le syndicat historique, en plus d’être probablement la seule entité capable de mobiliser dans la rue des dizaines de milliers de Tunisiens, jouit d’une aura de prestige découlant de son rôle dans la décolonisation du pays au siècle dernier.
C’est aussi cette dimension qui a été piétinée hier jeudi, avec le point d’orgue du conflit : la profanation du mausolée de Farhat Hached, figure historique que l’on pensait intouchable.
Sami Tahri, porte-parole de l’UGTT, a confirmé la profanation de la tombe du leader syndicaliste située à La Kasbah (Tunis). Selon la même source, des inconnus ont pénétré dans le mausolée où se trouve la tombe et ont perpétré des actes de pillages en volant deux grandes portes en bois d’une grande valeur.
Un face à face idéologique
Comment et pourquoi une simple grève des agents municipaux a pu ainsi dégénérer aussi vite en affaire d’Etat ?
Nous sommes ici en réalité en présence d’un authentique conflit d’ordre idéologique avant tout. Il est sous-tendu par un classique clivage gauche / droite au sens le plus originel.
Là où les militants de droite – extrême droite sacralisent les valeurs de l’ordre : « travail – famille – patrie », les prolétaires les plus radicalement à gauche sont dans une tradition qui est typiquement celle d’un Léon Blum : l’anti fascisme adopté en cause principale de la classe ouvrière. En 1934, c’est lui qui, en France, lança le célèbre : « La réaction ne passera pas ! ».
L’exercice du pouvoir a renforcé la vocation droitière des ministres issus d’Ennahdha. A l’épreuve de la gouvernance, ils sont clairement tentés par des velléités répressives.
Comme la dynamique révolutionnaire toujours en place ne le permet pas, restent deux options : assimiler toute insurrection à une contre-révolution nostalgique de l’ancien régime, ou user des filières officieuses pour mener des actions clandestines, du type de celles observées dans tout le pays cette semaine : incendie de locaux, dépôt d’ordures devant le siège de l’UGTT, etc.
Aujourd’hui encore, ce conflit idéologique reste au centre de l’actualité : des manifestants pro gouvernement menacent de s’en prendre au siège de la télévision nationale et à ses employés, ce qui trahit un certain sens des priorités : il s’agit d’abord de frapper la parole libre, en s’en prenant aux journalistes.
Cette fois, le pouvoir en place ne pourra pas dire qu’il n’y est pour rien, lorsqu’au sommet de l’Etat, des ministres, dont le Premier ministre, ne cessent de répéter que « les médias ne se sont pas encore pliés à la volonté du peuple ».
Demain sera une journée test : des milliers de Tunisiens manifesteront en soutien à l’UGTT, en partant de la Place Mohamed Ali, haut lieu de la lutte syndicale, très chargé en symbolique historique. Nous saurons alors si la Tunisie est, comme le pensent beaucoup, à nouveau en phase pré insurrectionnelle.
Seif Soudani